Un élève de 5e au collège de Montesoro, pris pour cible par ses camarades, a été hospitalisé après avoir envisagé de mettre fin à ses jours. La situation met une nouvelle fois en lumière un fléau qui fait des ravages, même si l'Education nationale assure prendre le problème très au sérieux.
"Vendredi, Cédric* m'a dit qu'il n'en pouvait plus. Il voulait en finir, se jeter par la fenêtre. Il m'a demandé de ne pas le dire à sa mère, pour ne pas lui faire de peine... J'ai beau faire 1m80, j'ai craqué. Je me suis effondré..."
A l'évocation de ce moment tragique, la voix du père de Cédric se fissure.
Humiliations
Depuis la rentrée dernière, il se rendait bien compte, avec sa compagne, que tout ne se passait pas bien pour Cédric au collège de Montesoro, où le jeune adolescent de 13 ans était entré en 5e. "Il était irritable, il jetait son téléphone par terre, il ne voulait plus aller à l'école, mais on l'envoyait quand même en cours, comme l'auraient fait tous les parents. On ne pouvait pas se douter..."
Et puis, il y a une semaine, c'en est trop pour Cédric. Mardi, il avoue à ses parents qu'il leur a menti, et que, depuis des mois, il moralement par plusieurs élèves du collège, "qui ne le trouvaient pas assez bien", confie son père. "C'était des brimades permanentes, des insultes, ils l'humiliaient à longueur de journée".
On vit un cauchemar
Père de Cédric
Dès le lendemain, les parents sont reçus au collège, pour s'entretenir du problème avec la direction. Le problème est "pris très au sérieux", et le proviseur reçoit une deuxième fois la famille le jeudi. Un signalement a été transmis au procureur de la République durant le week-end. Et les auteurs de ces actes devraient passer devant le conseil de discipline en parallèle à la procédure judiciaire.
Le problème, c'est que les élèves qui s'en prenaient à Cédric n'apprécient pas vraiment la démarche de ses parents. "C'est devenu l'enfer. Notre gosse a été jeté en pâture sur les réseaux sociaux, sur le Snapchat de la 5e. On lui a envoyé des messages, qu'on a gardés sur le répondeur, pour la police. On entend des gamins le menacer : "si tu continues à parler ça va être encore pire que toi". Avec leurs parents à côté, dans la voiture... Mon gosse ferait ça à côté de moi, je peux vous garantir que ça ne se passerait pas comme ça !"
Impossible de résister à la fronde menée par les harceleurs. "Au collège, on nous a assuré que cela finirait par s'arrêter, mais cela n'a fait qu'empirer, jusqu'à ce que notre enfant menace de se suicider, vendredi après-midi...". Le choc est terrible pour les parents, qui ont encore en mémoire le suicide de Lindsay le mois dernier et celui de Gobey, en janvier. Tous les deux étaient victimes de harcèlement scolaire. Tous les deux avaient 13 ans, comme Cédric.
Très inquiets, ils emmènent leur fils aux Urgences de l'hôpital de Bastia. "Le médecin l'a interné tout de suite au service pédiatrie, après avoir discuté avec lui. Il a estimé qu'il n'était pas en état de rentrer à la maison, vu les propos qu'il tenait. Le pédopsychiatre qui l'a examiné nous a dit qu'il était trop gentil, et qu'il n'était pas équipé pour faire face à ce qui lui arrivait".
Former une communauté protectrice
Du côté du rectorat, on déplore la situation, et on reconnaît qu'on a eu "très peu d'informations pour régler cette situation au plus vite", alors que Cédric ne s'est ouvert de ses problèmes que la semaine dernière.
Quand on lui demande ce qui est fait, du côté de l'Education nationale, pour éviter de telles situations, Michel Piferini, conseiller technique en charge du harcèlement au rectorat de Corse, rappelle que depuis la rentrée 2021, les établissements de l'île ont adopté une politique volontariste, qui va au-delà des préconisations du ministre de l'Education nationale d'alors, Jean-Michel Blanquer.
À partir de la classe du CP jusqu'à la 3e, dans tous les établissements, a été mis en place le programme phare. Il a pour but de lutter contre le harcèlement et le cyberharcèlement.
Le programme s'articule autour de quatre axes principaux : informer, former, prévenir et traiter. "Le but, c'est former une communauté protectrice, qui réunit les élèves, les enseignants, les administratifs et les parents". Dans chaque établissement, il y a une équipe ressource composée de cinq personnes, "qui est formée pour reconnaître les signes forts et les signes faibles de harcèlement".
Un cas de harcèlement, c'est un cas de trop
Rectorat
Il existe également une plateforme alimentée par les chefs d'établissement, "qui nous informe de harcèlement et de cyberharcèlement", et Michel Piferini l'assure, de très nombreux cas sont désormais traités et résolus rapidement.
Et puis les plateformes ouvertes aux élèves et à leurs familles, au 3818 et au 3020.
Mais l'inspecteur d'académie le reconnaît, "un cas de harcèlement, c'est un cas de trop".
Michel Piferini estime que "malgré les ambassadeurs-élèves qu'on a mis en place, la possibilité de se confier, de communiquer, il y a des élèves qui peinent à le faire. Qui sont timides, ou ne parviennent pas à trouver le courage de se livrer. Et puis tout n'est pas dicible, à cet âge-là. Alors on garde trop de souffrances en soi, et ce sont ces souffrances qui, un jour, débordent".
Plainte
Une plainte a été déposée au commissariat de Bastia par les parents du petit Cédric, et Arnaud Viornery, procureur de la République, a confirmé qu'une enquête pour harcèlement moral en milieu scolaire avait été confiée à la DDSP, la Direction départementale de la sécurité publique. Plusieurs auditions ont déjà eu lieu.
Le changer d'école, ce serait la double peine, et un aveu d'échec
Père de Cédric
Cédric est attendu à Montesoro, dans sa classe, dans les prochains jours. Mais cela semble compromis. "La reprise de l'école est impossible, pour le moment", estime son père. "On est trop inquiets, Cédric est fragile. Sa mère et moi avons été contraints de nous mettre en maladie pour rester constamment avec lui, et le surveiller".
Cette nouvelle affaire sera dsans doute l'occasion pour les établissements scolaires de sensibiliser de nouveau les élèves au risque du harcèlement et du cyberharcèlement.
* Le prénom du jeune adolescent a été modifié à la demande des parents