"Ce procès mérite un autre sort", entretien avec Me Julien Pinelli, avocat d'un des accusés de l'affaire "Bastia-Poretta"

Malgré moults perturbations et rebondissements, le procès du double assassinat de Bastia-Poretta se poursuit à la cour d'assises d'Aix-en-Provence, ce vendredi 24 mai. Une décision décriée par les avocats de la défense, qui multiplient les demandes de renvoi. Me Julien Pinelli, avocat - désormais récusé - de Christophe Andreani, un des accusés, a répondu à nos questions.

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Vous faites partie de co-signataires d'un communiqué dénonçant le refus de renvoi de ce procès. Vous reprochez notamment le changement de dernière minute d'audiencement. Une lettre dans laquelle sont utilisés des termes forts, à savoir ceux de "parodie", ou encore de "conditions indignes"...

Me Julien Pinelli : Ce procès s'est ouvert le 6 mai dernier. Il était prévu sur une durée de deux mois et a nécessité de nombreux mois de préparation pour chacun de ses acteurs, tant du côté des magistrats que du côté de la défense, bien évidemment.

Bien tristement, les événements tragiques survenus le 14 mai dernier dans le département de l'Eure [une attaque d'un fourgon pénitentiaire qui a causé la mort de deux agents, ndlr] se sont répandus comme une onde de choc dans cette salle d'audience, puisque les personnels de l'administration pénitentiaire ont très légitimement fait valoir leur droit de retrait, en solidarité avec le deuil qui les frappait.

Cela a eu pour effet de suspendre l'audience pour une durée d'une semaine entière, et d'apporter des modifications considérables au calendrier d'audience qui avait été mis en œuvre, qui était convenu avec l'ensemble des parties.

Un nouveau calendrier vous a été proposé. En quoi pose-t-il souci aux conseils de la défense ?

Me Julien Pinelli : Il faut comprendre que ce nouveau calendrier vient rompre radicalement avec non seulement la logique du premier calendrier, mais avec la logique judiciaire en réalité puisque ce que nous avons observé, c'est que les enquêteurs chargés des investigations conduites dans le cadre des premiers temps de l'enquête ont été ramenés à la fin du procès.

C’est-à-dire que d'une façon tout à fait extraordinaire, il était prévu que soient entendus en cours de procédure, les différents témoins, les différents experts, et qu'en fin de course, nous ayons enfin la parole des enquêteurs. Ce qui est un renversement de la structure non seulement traditionnelle, mais aussi utile de ce qu'est un procès d'assises. 

C'est une situation totalement incongrue, inimaginable, et qui surtout interdit la mise en œuvre de quelques moyens de défense que ce soit.

Peut-on imaginer une procédure d'audience dans laquelle sont entendus des témoins qui viennent évoquer ce qu'ils ont vécu et constaté sans pour autant que les jurés de la cour d'assises soient auparavant informés des résultats de l'enquête ? C'est une situation totalement incongrue, inimaginable, et qui surtout interdit la mise en œuvre de quelques moyens de défense que ce soit.

On ne peut pas imaginer que des accusés qui encourent une telle peine, dans une procédure de telle ampleur, en soient réduits finalement à un procès désormais raccommodé, dans lequel chacun sait que les choses ne se font pas telles qu'elles le devraient, mais qui devraient satisfaire à d'autres impératifs, d'autres calendriers, d'autres charges.

Pour quelles raisons l'audiencement des enquêteurs a-t-il été repoussé à la toute fin de procès ?

Me Julien Pinelli : On est venu indiquer à la défense des accusés qu'en réalité, si ces enquêteurs n'étaient pas là en début d'audience, c'est simplement parce que ces derniers sont en congés, et qu'ils le sont parce qu'ils doivent se préparer à assurer leurs fonctions dans le cadre de l'organisation des Jeux Olympiques...

Chacun peut comprendre que dans une société, différents impératifs se conjuguent. Rien n'est à privilégier, en particulier à un instant -T, mais tout de même. Nous sommes devant une cour d'assises.

La cour d'assises d'Aix-en-Provence est-elle impuissante face à ce type de situations ?

Me Julien Pinelli : Ce qui est je crois le plus attristant, et en réalité le plus inquiétant pour tous, c'est d'observer qu'ici, dans une cour d'assises qui a en France une telle autorité, doit dans le même temps s'incliner devant les impératifs réels ou supposés d'enquêteurs, qui, simplement, refusent de déférer à une convocation. Et que devant une telle situation, la cour d'assises n'ait d'autres choix que de s'incliner, et n'ait en tout cas pas le pouvoir de l'imposer.

Il y a là je crois un renversement extrêmement inquiétant de l'autorité.

Les moyens existent : un président de cour d'assises en a sa disposition un éventail considérable, à la hauteur des enjeux. Il peut prononcer un mandat d'amener à l'encontre de quiconque parce qu'il le veut devant sa juridiction.

Il fut un temps où un président d'assises, et c'était tout à fait normal, je ne dirais pas claquait des doigts, mais faisait savoir sa volonté qu'un enquêteur devait être présent tel jour, à telle heure devant sa juridiction. Et ce dernier se faisait un devoir - et c'était d'ailleurs une obligation -, d'y déférer à la minute. Aujourd'hui, c'est strictement l'inverse. Il y a là je crois un renversement extrêmement inquiétant de l'autorité.

Le président de la cour d'assises, Jean-Yves Martorano, a balayé vos demandes multiples de renvoi du procès. Les neuf accusés détenus refusent depuis de comparaître. La salle d'audience ce vendredi est presque déserte, avec seulement deux des quatorze accusés présents, et un unique avocat... Vous êtes-vous résigné à ce que le procès aille malgré tout à son terme dans ces conditions ? 

Me Julien Pinelli : Le président se trouve aujourd'hui à la barre, en quelque sorte, d'un radeau qui évolue ainsi au gré des flots, d'une façon totalement chaotique. Il est nécessaire que peut-être d'autres autorités nationales se penchent sur cette question. Que la représentation nationale notamment du barreau puisse s'exprimer, que les chefs de cour, son premier président, son procureur général, puissent observer cette situation qui n'est pas acceptable.

On ne peut pas imaginer qu'un procès se déroule dans de telles conditions : sans accusés, sans avocats, avec des enquêteurs absents, des témoins venus livrer des dépositions qui, je le crois, s'évanouissent un peu dans l'esprit des jurés...

Elle n'est acceptable pour personne en réalité. Il n'est pas question de dire qu'il y a d'un côté des magistrats répressifs, avides de je ne sais quelle brutalité, et de l'autre côté une défense qui serait, elle, éclairée de toutes les vertus. Il y a en réalité une somme de personnes qui tentent, autant qu'elles le peuvent, de trouver une façon de pouvoir rendre les choses dignes, et à la hauteur des enjeux.

On ne peut pas imaginer qu'un procès se déroule dans de telles conditions : sans accusés, sans avocats, avec des enquêteurs absents, des témoins venus livrer des dépositions qui, je le crois, s'évanouissent un peu dans l'esprit des jurés... Je pense que cette procédure mérite un autre sort.

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"Ce procès mérite un autre sort", entretien avec Me Julien Pinelli, avocat d'un des accusés de l'affaire "Bastia-Poretta" ©Pierrick Nannini, Enzo Giugliano

Certains avancent que vous subissez le coup d'éclat que vous avez tenté [en demandant aux accusés de les récuser, ndlr], et que cela prendrait source dans une composition de la cour qui ne vous satisfaisait pas. Qu'y répondez-vous ? 

Me Julien Pinelli : Personne n'a rien à gagner dans cette situation. Il n'a jamais été question ni de coup d'éclat ni de bras de fer dans cette juridiction. Nous étions préparés. Cela fait des années, en réalité, que ce procès est en préparation du côté de la défense. Qu'avions-nous à attendre d'une telle situation ? Strictement rien. Lorsque le procès s'est ouvert, aucune protestation n'a été émise, aucune démarche n'a été faite de façon à en ralentir la bonne marche. 

Ce fut strictement l'inverse. Les accusés présents ont pris la parole autant qu'ils pouvaient, ce qu'ils n'avaient jamais fait jusqu'à présent. Tout était réuni pour que ce procès puisse enfin se tenir utilement. Il n'y avait du point de vue de la défense aucune stratégie pour faire en sorte que ce procès soit ralenti et se trouve aujourd'hui dans un tel état.

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