Des généralistes qui ne prennent plus de nouveaux patients, des délais d'attente de plus de six mois pour un rendez-vous chez un cardiologue ou une gynécologue... La situation, sur l'île comme dans toute la France, est critique. Le docteur Brunel, porte-parole du collectif Médecins libéraux de Corse, fait avec nous un point sur la situation.
Durant de longs mois, ML Corsica, le Collectif des médecins libéraux de Corse, fort de plus de 300 membres, a mené le combat face à Paris pour imposer des mesures afin de faciliter l'implantation de nouveaux médecins sur l'île, où les manques se font douloureusement sentir chez les généralistes comme chez les spécialistes.
Sans succès.
Près d'un an plus tard, nous avons rencontré Cyrille Brunel, porte-parole du collectif, pour faire un point de la situation qui semble plus problématique chaque jour.
Quel bilan vous tirez de ces mois de lutte ?
C'est plutôt un constat, que le collectif a tiré de ces négociations : on a un système très rigide, qui a tracé une route, et qui n'en déviera pas. Coûte que coûte.
C'était une surprise ?
En tout cas, une découverte. On voit ça de loin, dans notre cabinet. Mais lorsqu'on en est sortis, à cette occasion, on a pu rencontrer les gens qui pensent ce système de santé, mais qui ne le pratiquent pas. Et on a mesuré le fossé qui existe entre leur manière de voir les choses, et la réalité du terrain. Une chose est sûre, en tout cas : ça nous a permis de comprendre pourquoi notre système de santé ne fonctionne pas. C'est finalement très logique.
La déception a dû être de taille. Vous n'êtes pas découragés ?
On ne peut pas se permettre de l'être. Ce sont nos patients qui nous donnent la force, par leur désespoir devant la difficulté d'accéder aux soins. On ne peut pas les laisser tomber. Mais on a l'impression de lutter sans cesse pour compenser les conséquences de la politique de l'Etat. On est le dernier rempart avant l'effondrement du système de soin.
Les jeunes docteurs ne vont pas nous remplacer, ils vont opter pour d'autres orientations professionnelles.
Docteur Brunel, ML Corsica
Mais jusqu'à quand ?
C'est tout le problème. Les générations de médecins qui arrivent n'adhèrent pas à ce système rigide, qui aligne les projets inapplicables et contre-productifs. Ces nouveaux venus ne vont pas nous remplacer, ils vont opter pour d'autres orientations professionnelles. L'avenir s'annonce très sombre.
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Vous voyez un motif d'espoir dans la nomination de Geneviève Darrieussecq, nouvelle ministre de la Santé dans un gouvernement de cohabitation ?
Non. Les équipes changent, mais les raisonnements restent. Il y a une sorte d'obstination dans l'erreur. Ils n'en démordent pas. Pour eux, l'avenir, ce sont les centres de santé, où ils veulent salarier les médecins. Ils sont persuadés que cela rendra la médecine moins chère, et l'accès aux soins plus facile. Sauf que, jusque-là les tentatives dans ce sens ont montré le contraire.
Pourquoi ils s'obstinent, alors ?
Ils ne veulent pas l'admettre, et martèlent que si ça a échoué pour l'instant, c'est parce que ca a été mal fait, et que leurs directives ont été mal appliquées.
Notre accès aux soins sera remis entre les mains du privé, qui n'est animé que par un souci de rentabilité...
Docteur Brunel, ML Corsica
Vous êtes toujours persuadé que l'on se dirige vers une santé à deux vitesses, comme au Royaume-Uni ?
Plus que jamais. Il suffit de considérer la prochaine mesure prévue, celle d'une diminution des remboursements des consultations chez les médecins. On était jusqu'à aujourd'hui à 70 % pour l'Etat, 30 % pour les mutuelles. On va passer à 60 - 40, grosso modo, ce qui implique que les mutuelles devront assumer davantage de frais. Et au prochain tour de vis, on en est persuadés, on arrivera à 50 % pour l'Etat, 50 % pour les mutuelles.
Et à ce moment-là, les mutuelles finiront par dire stop. Puisqu'elles seront le principal payeur, elles exigeront de réorganiser le système, et notre accès aux soins sera remis entre les mains du privé, qui n'est animé que par un souci de rentabilité...
L'année dernière, après la déception consécutive aux négociations ratées, nombre de médecins ont brandi la menace du déconventionnement. Qu'en est-il aujourd'hui ?
C'est tombé à l'eau, pour une raison toute simple. Des mesures ont été prises au niveau national pour le déconventionnement ne soit plus possible... Ce qui prouve au moins que l'Etat est capable de prendre des décisions radicales quand il y voit un intérêt....