La religion catholique perd-elle du terrain en Corse ?

Selon l'Église de Corse, 9 Corses sur 10 se déclareraient catholiques. Des chiffres largement supérieurs aux moyennes recensées à échelle nationale, mais qui masquent aussi une autre réalité : celle d'un nombre de plus en plus bas de pratiquants, qui se constate notamment avec la désertification des églises lors des messes dominicales.

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La Corse, "c'est une terre de chrétiens" ! Ces mots, ce sont ceux de Jacques, la soixantaine. Ancien ouvrier du bâtiment, ce Bastiais s'enorgueillit d'avoir été élevé "dans une famille, dans une commune et dans une île fidèles aux principes et valeurs de la religion catholique. Ce qui n'est plus le cas dans bien des endroits pourtant historiquement chrétiens."

Si aucune étude ou statistique récente ne peut l'appuyer de manière chiffrée et vérifiée, c'est un fait : le pourcentage de chrétiens, tout particulièrement de catholiques, semble plus élevé sur l'île que la moyenne nationale.

Ainsi, à en croire une enquête européenne sur les valeurs (Arval) de 2021, 32% des Français se déclaraient catholiques en 2018. Des chiffres qui seraient bien en deçà de ceux relevés en Corse : Monseigneur François Bustillo, l'évêque de région, rapporte avoir été informé "qu'autour de 90% des Corses se disent catholiques. C'est énorme !"

Il y a en Corse un lien particulier avec le catholicisme, d'un point de vue culturel, et d'un point de vue cultuel.

Monseigneur François Bustillo

Pourcentage avéré ou non, l'île, plus que "d'autres pays ou régions sur le continent", est "imprégnée par le catholicisme, par la tradition chrétienne", estime le dignitaire du diocèse d'Ajaccio. "Il suffit de voir les églises, les sommets des montagnes où il y a toujours des croix, mais aussi les processions, les confréries... Il y a en Corse un lien particulier avec le catholicisme, d'un point de vue culturel, et d'un point de vue cultuel."

La désertification des églises le dimanche

Ce lien particulier n'en reste pas moins menacé. Et certains craignent aujourd'hui de le voir s'effilocher. "Se dire catholique, c'est bien, mais le mettre en pratique, c'est mieux", souffle Louise, 70 ans "et quelques".

"Plus les décennies et les générations passent, moins les gens suivent vraiment les règles et usages de notre religion." À commencer par se rendre à la messe du dimanche [journée de la résurrection du Christ pour les chrétiens, ndlr].

On voit bien, au fur et à mesure des années, les bancs se vider, même au village.

Biberonnée aux évangiles, "j'étais très souvent gardée par ma grand-mère, qui était très pieuse, et m'encourageait à en lire et réciter des passages", Louise peut, elle, compter sur les dix doigts de ses mains le nombre de messes hebdomadaires qu'elle a dû manquer, toujours "contre son gré".

Mais elle constate désormais avec tristesse faire partie d'une minorité : "On voit bien, au fur et à mesure des années, les bancs se vider, même au village. Je le vois aussi avec mes enfants et mes petits-enfants. Ils ne se rendent plus à l'église que pour les grandes célébrations. Et encore."

Ce constat, c'est également celui des ecclésiastiques. Premiers témoins de la baisse du nombre de pratiquants, ils regrettent cette "désertification" progressive de leurs paroisses en semaine. "On n'a pas tout le monde qu'on souhaiterait, convient l'évêque de Corse.

Des absences qui sont d'autant plus notables qu'elles contrastent avec la foule nombreuse lors des grandes fêtes chrétiennes. "C'est assez paradoxal", admet Louis El Rahi, curé de la Gravona. Ordonné prêtre en 2015, il observe un territoire "où beaucoup de gens sont attachés à l'expression de la foi, aux processions, et au suivi des fêtes principales. À Pâques, aux Rameaux, à la Toussaint, à Noël, on reçoit énormément de monde, et c'est très bien. Mais en même temps, le sens de la communauté, et le fait de venir à la paroisse tous les dimanches, se perdent."

Si je dois prier, je le fais chez moi. Je ne pense pas que ce soit un problème. On peut être croyant et ne pas aller à la messe.

La cause ? Pour les uns, cela découle d'un manque de temps. "Je travaille toute la semaine, j'ai les enfants le week-end, et je n'ai souvent pas une minute pour me poser, se défend ainsi cette mère de famille. Dans le meilleur des mondes, j'aimerais bien m'y rendre, mais je ne peux pas plus élargir mon emploi du temps."

D'autres assument un manque d'envie. "Mes grands-parents y allaient assez régulièrement, mes parents y vont parfois, et moi je n'y vais pratiquement jamais, admet ce jeune bastiais. Pour être tout à fait franc, quand j'y vais, je m'y ennuie, alors je préfère ne pas y aller. Si je dois prier, je le fais chez moi. Je ne pense pas que ce soit un problème. On peut être croyant et ne pas aller à la messe."

La montée de "l'individualisme et du consumérisme" dans la foi

Pourtant, souffle l'évêque de Corse, "le dimanche, une heure par semaine, ce n'est pas une overdose de spiritualité. On peut aller à la messe pour se poser, pour se reposer, pour vivre un moment de spiritualité, pour écouter la parole de Dieu, pour recevoir la communion, pour se donner la paix... La messe, ce n'est pas juste un acte rituel froid et moral ou moraliste. Il s’agit d’un acte puissant de communion."

Au-delà de la messe dominicale, cette "perte" du sens de la communauté, le prêtre Louis El Rahi la déplore "dans la société en général. C'est quelque chose qui nous inquiète. L'individualisme et le consumérisme prennent leur place partout, y compris dans la foi. On va à l'église pour consommer, on vient aux Rameaux pour récupérer sa crucetta, pour des actions précises, on ne sait plus faire communauté ensemble."

Le dimanche, une heure par semaine, ce n'est pas une overdose de spiritualité.

Monseigneur François Bustillo

Avec cette baisse du nombre de pratiquants, c'est plus généralement un désaveu du christianisme que craignent les hommes d'Église. Selon une enquête Arval consacrée au déclin des croyances et pratiques religieuses en France, la part de Français se déclarant catholiques a chuté de 38% en 37 ans (70% en 1981 contre 32% en 2018). "Si le christianisme baisse, surtout les valeurs liées à l'Église, c'est parfois par ignorance, parfois par hostilité. Mais la nature a horreur du vide", avertit Monseigneur François Bustillo.

Avec la "disparation" du christianisme, ce sont d'autres idéologies qui pourraient prendre la place, craint-il. "Et si l'on abandonne les valeurs qui ont fait notre nation, on risque de tomber dans l'animalité, et de perdre nos valeurs d'humanité, de respect, de bonheur entre nous. On le voit : les tensions, les violences, les crispations, moi je pense que c'est parce que nous avons évacué Dieu. Et si on l'évacue de la société et de la vie humaine, nous risquons une réalité qui nous conduit vers le pire."

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Quel est l'état de la religion catholique en Corse ? L'interview de l'évêque de Corse, Monseigneur François Bustillo. ©Stéphane Lapera, Julia Sereni, Axelle Bouschon, Lara Finkelmeyer / FTV

La résurgence des confréries

Le tableau n'est cependant pas si noir, s'accordent à dire les ecclésiastiques. Il inviterait même plutôt à l'optimisme : les plus jeunes, public le plus susceptible de se désintéresser de la religion, "sont nombreux dans les confréries", remarque Monseigneur François Bustillo.

Apparues au Moyen-Âge, disparues pendant la Révolution, les confréries de Corse, à nouveau autorisées sous l'Empire, fleurissent - ou refleurissent - depuis une vingtaine d'années. On en comptait 66 sur l'île en 2009, contre près de cent aujourd'hui. Un bon point pour l'évêque.

"Même au sein des séminaires de Corse, nous avons des jeunes qui se posent la question vocationnelle, sourit-il. Cela m'encourage en tant qu'évêque, parce que je me dis qu'en Corse, tout n'est pas fini. Les jeunes ont encore envie de donner, de faire du bien, de rêver en grand, plutôt que de se limiter à subir l'histoire."

La foi, ce n'est pas forcément quelque chose qu'on reçoit enfant et qui grandit avec nous, mais aussi quelque chose qui peut se manifester à tout âge et à tout moment de notre vie.

Louis El Rahi

Plus encore, les ecclésiastiques se réjouissent d'un nombre grandissant de personnes trouvant la foi à des âges plus avancés de leur vie. "Il semble qu'on assiste aujourd'hui à un changement de paradigme", se félicite le prêtre Louis El Rahi, avec l'idée que la foi, ce n'est pas forcément quelque chose qu'on reçoit enfant et qui grandit avec nous, mais aussi quelque chose qui peut se manifester à tout âge et à tout moment de notre vie."

Preuve en est, pointe-t-il : "Cette année, nous baptisons pour Pâques 130 adultes dans toute la Corse. C'est un sommet : les années précédentes, on tournait plutôt autour de 90, ce qui était déjà important. 130 personnes, c'est remarquable."

Modernisme ou changement de mentalité

Jeunes ou moins jeunes, comment faire, alors, pour ramener ces croyants insulaires dans les églises ? "Il faudrait peut-être moderniser un peu la formule, indique ce jeune catholique abonné absent aux messes dominicales. C'est souvent long, peu rythmé, et on s'y endort."

Pas une fatalité pour autant, continue-t-il : "Il suffit de prendre l'exemple du gospel américain. Tout le monde participe, on danse, on chante, on passe un bon moment. C'est si réputé que des touristes paient pour y assister !"

"Je pense que cela se fera surtout via un changement de mentalité, avance de son côté le prêtre Louis El Rahi. Ce n'est pas la première fois dans l'humanité que ces choses-là se produisent : la foi est très intimement liée à ce que nous vivons."

Les gens se tournent vers la foi quand ils vivent des moments difficiles. À nous de les y inviter à tout moment.

Louis El Rahi

Avec pour exemple sa propre expérience :"J'étais à Paris au moment des attentats du Bataclan, et je célébrais la messe le samedi soir. Habituellement, nous avions 50 personnes, pas plus. Le lendemain des attaques, nous avons accueilli 400 personnes. Les gens se tournent vers la foi quand ils vivent des moments difficiles. À nous de les y inviter à tout moment."

Monseigneur François Bustillo s'en est en tout cas donné la mission : il est, affirme-t-il, grand temps de réveiller "l'animation de la spiritualité, de la vie chrétienne, et l'animation pascale dans les vies." 

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