La cour d'appel antiterroriste de Paris a rejeté ce jeudi 29 septembre la demande d'aménagement de peine déposée par Pierre Alessandri. Une décision qui a donné place à de vives réactions parmi les élus insulaires, notamment au sein du camp nationaliste.
Refus "incompréhensible" ou "indignation générale" : la décision de la cour d'appel antiterroriste de Paris de rejeter, ce jeudi 29 septembre, la demande d'aménagement de peine de Pierre Alessandri a entrainé de multiples réactions parmi les élus insulaires.
Presque aussitôt la nouvelle annoncée, peu après 14h, la session de l'Assemblée de Corse a été suspendue, jusqu'à la tenue de la conférence des présidents, prévue à 17h30.
"Difficile de reprendre les travaux dans ces conditions. Nous verrons après la conférence ce que nous ferons", a ainsi indiqué Hyacinthe Vanni, vice-président de l'Assemblée de Corse et membre du groupe de la majorité territoriale Fà Populu Inseme.
"Nous sommes enfermés à notre corps défendant, dans un cercle infernal"
"Chaque fois que dans un pays il y a un conflit qui a vocation à s’éteindre, il y a des artisans de la paix et il y a des faiseurs de guerre. Aujourd’hui à Paris, je pense sincèrement qu’il y a des artisans de la paix, même s’ils sont trop timides, trop timorés y compris dans leur expression publique et dans leurs choix, et il y aussi, nombreux, des faiseurs de guerre", estime Gilles Simeoni, président du conseil exécutif.
"Je pense d’abord à Pierre Alessandri et Alain Ferrandi. Plus de 23 ans de prison, conditionnables depuis près de 6 ans, ballottés de procédures en centres de détention, de décisions positives en appels suspensifs, de procédures d’évaluation en procédures d’évaluation. Je pense à eux, je pense à leurs familles, je pense aussi aux militants et militantes dont nous sommes partie prenante et qui nous font confiance, je pense à notre jeunesse, je pense à d’où nous venons et où nous ne voulons plus aller."
Je pense qu’il faut que nous nous donnions le temps de parler ensemble pour choisir le meilleur chemin.
Gilles Simeoni
"Les décisions que nous aurons à prendre dans les heures, les jours à venir, seront des décisions lourdes, poursuit-il.
"Je pense qu’il faut que nous nous donnions le temps de parler ensemble pour choisir le meilleur chemin. Je termine en disant puisqu’un certain nombre d’éléments commencent à apparaître, que la décision d’infirmation de la libération conditionnelle repose sur une motivation que je trouve pour ma part incompréhensible et structurellement dangereuse. Le seul argument qui a conduit les juges d’appel à infirmer la décision de libération conditionnelle, j’ai la décision sous les yeux, c’est le trouble à l’ordre public que pourrait constituer la libération de Pierre Alessandri et nous sommes donc enfermés à notre corps défendant, dans un cercle infernal."
"Encore une fois, une décision incompréhensible et indigne qui va à l'encontre du droit le plus élémentaire, regrette dans un tweet Marie-Antoinette Maupertuis, présidente de l'Assemblée.
"Cette attitude de vindicte doit cesser pour laisser la place à l'apaisement que tous les Corses appellent de leurs vœux."
La "désagréable impression" d'une "logique de vengeance"
"Nous avons la désagréable impression que nous restons dans certaines sphères de l’appareil d’Etat dans la logique de vengeance, et la logique politique", reproche Jean-Félix Acquaviva, conseiller exécutif Femu a Corsica et député de la deuxième circonscription de Haute-Corse.
Les arguments motivant le rejet de la demande d'aménagement de peine de Pierre Alessandri avancés par la cour d'appel antiterroriste de Paris sont des arguments "politiques" estime-t-il. "Puisqu’ils n’ont rien à voir avec les parcours des personnes concernées, ni avec leurs différentes évaluations en prison validées à maintes reprises, mais à voir avec des jugements liées à un contexte politique, pour justifier le fait qu’on ne puisse pas aménager la peine et arriver à une libération conditionnelle après près d’un quart de siècle d’emprisonnement effectué."
Il y a ceux peut-être qui veulent avancer, et il y a ceux qui ne veulent pas avancer du tout. Et à ce stade cela pose un problème politique majeur.
Jean-Félix Acquaviva
La preuve, poursuit-il, "que l’état d’esprit dans certaines sphères reste le même. Cela prouve aussi qu’il peut y avoir différents visages dans l’appareil d’Etat. Il y a ceux peut-être qui veulent avancer, et il y a ceux qui ne veulent pas avancer du tout. Et à ce stade cela pose un problème politique majeur qu’il faudra appréhender dans toute sa direction."
"Combien de temps faudra-t-il pour que l'on prenne l'exacte mesure de la situation vécue ?"
"Indignation générale de l'Assemblée de Corse en ce moment même et je le crois, de notre peuple tout entier face à cette décision, souffle Jean-Christophe Angelini. Nous ne comprenons plus. Et avec sérénité, et détermination, nous n'accepterons pas."
"Combien de temps faudra-t-il encore pour que l'on prenne l'exacte mesure de la situation vécue ? [...] Je n'entrerai pas à dessein dans l'analyse politique, le temps n'est pas à ça. Le temps est à l'exaspération, pas à la résignation. Le temps est à la dénonciation, pas à la capitulation. Le temps est à la levée de boucliers, à la montée au créneau, de tous les élus qui partagent ce point de vue, de manière sereine et apaisée mais de manière ferme, et en aucun cas au fait de renoncer à ce qui aujourd'hui constitue dans la société corse, un des fondamentaux du débat actuel."
Le temps est à la levée de boucliers, à la montée au créneau, de tous les élus qui partagent ce point de vue, de manière sereine et apaisée mais de manière ferme.
Jean-Christophe Angelini
"Des gens qui devraient être sortis de prison depuis longtemps déjà n'ont pas à vocation d'y rester plus longtemps, conclut-il. C'est le contraire qui vient d'être décidé aujourd'hui. Avec amertume et sans désespoir, nous en prenons malheureusement acte."
Dans un communiqué, son parti, le PNC, estime "qu'après des années de sacrifices, de drames et de deuil [...] il est enfin temps de régler ce conflit. Nous en appelons à l'ensemble de notre peuple, et à la classe politique dans son ensemble, pour obtenir la libération de Petru, d'Alanu et de tous les prisonniers politiques. Ùn ci sarà micca suluzioni pulitica è paci senza a libarazioni di tutti i patriotti".
Paul-André Colombani, député PNC de la deuxième circonscription de Corse-du-Sud, considère lui que "ces refus répétés, cette opposition systématique à ses demandes d'aménagement de peine, témoignent d'un acharnement judiciaire certain et d'un esprit de vengeance indubitable. Comme je l'ai fait savoir au gouvernement à de multiples reprises, une telle décision envoie un signal plus que négatif à l'heure où débute le processus de négociation autour de l'évolution institutionnelle de la Corse."
Il en va désormais de la responsabilité de Paris de se mettre au diapason et de sortir au plus vite de cette logique de vengeance d'Etat et de répression judiciaire.
Paul-André Colombani
"Il était pourtant grand temps d'enfin aller dans le sens de l'apaisement et de refermer la douloureuse page de l'assassinat du préfet Erignac, continue le député. La volonté de la société Corse de construire son avenir dans la paix et dans le respect de la démocratie est claire et assumée. Il en va désormais de la responsabilité de Paris de se mettre au diapason et de sortir au plus vite de cette logique de vengeance d'Etat et de répression judiciaire. C'est la condition indispensable pour trouver une solution politique globale pour la Corse."
Core in Fronte suspend sa participation aux délégations à Paris
"Aujourd’hui, nous sommes face à une attitude janusienne de l’Etat, qui d’un côté se retranche de manière désobligeante derrière le principe fondamental et international de la séparation entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir politique, mais qui d’un autre côté, lorsque le pouvoir judiciaire prend des décisions qui sont favorables à l’expression d’une justice équitable - entre autre une simple adaptation des conditions de détention après près d’un quart de siècle d’incarcération dans des conditions reconnues, y compris par le ministre de l’Intérieur comme exemplaires -, se permet d’instrumentaliser au travers de la tutelle forte que le pouvoir politique français exerce sur son parquet pour faire appel systématique", dénonce Paul-Félix Benedetti.
Aujourd'hui, ce n’est pas une décision de justice qui est rendue, c’est la décision d’Etat instrumentalisée par le parquet.
Paul-Félix Benedetti
"Aujourd'hui, ce n’est pas une décision de justice qui est rendue, c’est la décision d’Etat instrumentalisée par le parquet. Et je crois qu'on doit demander des clarifications. C’est blanc ou noir, nous on ne marche pas dans le gris."
Dans ce cadre, le chef de file de Core in Fronte fait savoir la suspension de la participation du mouvement indépendantiste aux discussions avec le gouvernement, dans le cadre du cycle de réunion engagé depuis septembre avec Paris au sujet de l'avenir institutionnel de l'île, "tant qu'il n'y aura pas de clarifications".
Corsica Libera énumère ses conditions pour la reprise d'un dialogue
Corsica Libera est sur la même position, concernant les discussions avec Paris. L'autre mouvement indépendantiste demande "solennellement à l'ensemble de la classe politique corse, à l'ensemble des élus concernés de reporter leur présence à ces discussions jusqu'à la libération de tous les prisonniers politiques comme cela a été le cas lors des discussions de 81 et 89".
Corsica Libera, qui rappelle également son exigence d'une "désignation de TOUS les responsables de l'assassinat d'Yvan Colonna", parle de "préalable simple", "ciment de l'unité populaire traduite dans les rues de notre Pays".
Enfin, dans un tweet, Jean-Charles Orsucci, maire de Bonifacio, indique lui regretter "profondément cette énième décision, incompréhensible dans ses motivations et à contrepied de l’apaisement de la situation de la Corse souhaité par tous. Pierre Alessandri comme Alain Ferrandi doivent sortir de prison. La Justice, ce n’est pas cela."
Des réactions qui appellent encore à celles, pour l'heure non-publiques, de Paris.