Alors que son candidat à la présidentielle est en campagne dans l'île, le Parti Communiste souffre d'un manque de représentativité sur la scène politique insulaire. Ce qui n'a pas toujours été le cas. État des lieux.
Si Fabien Roussel s’était présenté à l’élection présidentielle de 2012, il aurait rencontré un président de l’Assemblée de Corse communiste lors de sa visite dans l'île. Mais en février 2022, Dominique Bucchini ne dirige plus les séances depuis le perchoir. La gauche n’a plus aucun représentant cours Grandval et le Parti Communiste Français peine à convaincre dans les urnes. En témoignent les 3,18% réalisés par la liste conduite par Michel Stefani aux Territoriales de juin 2021.
"Lors de ces dernières élections, on s’est forcé d’apporter des réponses en insistant sur le fait de rompre avec la cherté de la vie, les bas salaires, la nécessité de construire des logements sociaux. Eh bien nous n’avons pas été suffisamment audibles, constate Michel Stefani. Nous le regrettons, mais cela est aussi dû au fait que la gauche dans son ensemble a déçu dans ses objectifs essentiels. Ils devaient répondre à l’urgence sociale et ça n’a pas été le cas."
Perte de vitrines
À deux mois du premier tour de la présidentielle, le candidat Roussel a donc débarqué ce mercredi dans une île où la couleur du drapeau rouge est moins vive qu’il y a quelques décennies. Fort de 10.000 adhérents au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, le parti en compte environ 600 aujourd’hui sur l'ensemble de la région. "Il faut aussi ajouter les sympathisants", souligne le secrétaire régional Michel Stefani, tout en rappelant que "le parti a été l’acteur d’événements historiques majeurs comme la libération de la Corse et a toujours été là dans les grands conflits sociaux."
Aujourd’hui, le PC insulaire ne peut plus compter sur certaines de ses vitrines : dans le sud, le bastion historique de Sartène a été perdu en 2001. Dominique Bucchini en avait été le maire pendant 24 ans. En 2014, alors président de l'Assemblée de Corse, il avait tenté de reconquérir Sartène. En vain. Réélue, la droite y officie toujours.
À Ajaccio, en 2015, c'est aussi la droite qui a remplacé la municipalité de gauche dirigée par Simon Renucci avec les communistes depuis 2001.
En 2014, à Bastia, une coalition menée par Gilles Simeoni remporte la mairie face à Jean Zucarelli et à ses alliés communistes. Plus récemment, les Municipales de 2020 ont mis fin à l’alliance vieille de cinquante ans avec les radicaux de gauche en Haute-Corse.
Entre-temps, en 2017, le verdict des Territoriales est tombé : la liste commune PCF-France Insoumise ne dépasse pas les 6 %. Depuis, plus aucun conseiller communiste ne siège à l’Assemblée de Corse. Une première depuis 1982. "Nous l'avons très mal vécu, avait confié sur notre site Paul-Antoine Luciani en juin dernier. Mélenchon a désavoué la liste de la France Insoumise et a tout fait pour que les gens ne votent pas pour elle. On a essayé de faire face à cette défaite, mais on a pris un sacré coup", avouait l'ancien conseiller territorial et ex-premier adjoint communiste à la mairie d'Ajacio.
"Lorsqu’on n’est pas élu à l’Assemblée de Corse, du point de vue de la visibilité politique, ça pose un problème, reconnaît Michel Stefani. En Corse, l'Assemblée concentre tous les regards du point de vue politique et aussi toutes les attentes."
5 ans au perchoir
Les communistes en savent quelque chose. En 2010, Dominique Bucchini accède au perchoir de l'Assemblée après une alliance de la gauche insulaire menée par Paul Giacobbi. Le parti s'offre un retour sur le devant de la scène politique et médiatique pendant cinq ans. En 2015, la coalition nationaliste arrive au pouvoir. La présidence change. Et la présence du PC se fait plus discrète.
"On a fait notre travail correctement, avance Dominique Bucchini. Néanmoins, lorsqu’on est revenu aux affaires avec Paul Giacobbi et les camarades radicaux de gauche en 2010, nous n’avons pas signé un engagement en commun, parce qu’ils n’ont pas voulu, mais un engament électoral. Il n’y avait pas eu de signature de ce que nous pouvions faire en commun sur la Corse. Résultat des courses : on a travaillé, on a essayé de faire des choses, mais est-ce qu’on a réussi partout ? Non, sinon on aurait été à nouveau élu. Je pense que cela a pu affaiblir le parti mais il faut vivre avec ces conditions et tirer les conséquences de tout cela."
"On sent un frémissement"
À l’instar du continent, cet affaiblissement pourrait aussi s’expliquer par une difficulté à rallier les jeunes. Ce qui n‘a pas toujours été le cas été, loin s’en faut. "En 1974, nous étions entre 1.000 et 1.200 aux jeunesses communistes en Corse, se souvient Félix Bonardi, animateur de la radio associative Frequenza Nostra, aux Salines. Ensuite, ce qui a peut-être été incompris par le parti, c’est l’arrivée de la revendication nationaliste qui était elle aussi populaire. Pas mal de jeunes avec des sensibilités de gauche se sont alors dirigés vers le mouvement nationaliste. D'ailleurs, plus tard, avec des amis, nous avions fondé A manca naziunale."
Pour Michel Stefani, ce manque d'intérêt des jeunes pour le parti serait aussi dû "aux générations qui changent et à la bataille idéologique menée à travers les principaux médias, y compris au niveau national".
Et le secrétaire régional du PC de développer : "Tout cela conduit à un appauvrissement du débat public et politique. De ce point de vue-là, je pense que notre affaiblissement y est aussi pour quelque chose. Après, l'engagement des militants communistes est réél. Il est insuffisant certes, parce que nous sommes affaiblis, mais nous voulons travailler à la reconquête et nous adresser à la jeunesse et à tous ceux qui ont intérêt à ce que les choses bougent en Corse pour vivre mieux."
"Cette affaiblissement de la gauche communiste est conjoncturel et s'étend à l'Europe, relève de son côté Marc-Antoine Leroy, responsable des jeunes communistes de Corse-du-Sud. On n'est pas un bastion unique. Néanmoins, en Corse, on résiste encore un peu. On l'a d'ailleurs vu aux dernières Élections Européennes (en 2019, ndlr). Le score de Ian Brossat dans l'île était supérieur à son score national. On arrive donc encore à toucher des gens en Corse. Désormais, avec cette élection présidentielle, on affirme et on réaffirme notre identité communiste."
"Depuis le début de la campagne, on sent un frémissement, note Michel Stefani. On a reçu de nouvelles adhésions. Ça bouge."
Peut-être le signe d’un renouveau dans l'île. Et des premiers effets de la campagne de Fabien Roussel…