ENQUETE. Accidents de vélo : des routes de campagne particulièrement mortelles

Fin août, il y avait 166 cyclistes tués depuis le début de l'année. Une tendance lourde, accentuée par la pandémie de Covid 19 liée à l'usage, de plus en plus fréquent, du deux roues. Si c'est en ville que l'on a le plus d'accidents, c'est hors agglomération qu'ils sont les plus graves.

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Cela fait deux ans. Le 04 novembre 2019, Grâce, une jeune fille de 22 ans, trouvait la mort dans une collision avec un camion, à un carrefour fréquenté de Rennes.   

L'accident mortel avait déclenché une vague d'émotion dans la ville. Un hommage lui avait été rendu par 400 personnes, organisé par la famille, et l'association Rayon d'Action.   

A l'angle de l'avenue de Rochester et de l'avenue du général Patton, le vélo blanc est toujours là, décoré de fleurs. Et un jour de novembre, comme le 10 novembre dernier, la famille organisera une commémoration. Pour ne pas oublier. 

Pour ne pas oublier qu'on peut mourir en vélo, à cause de l'angle-mort d'un poids-lourd, d'un terre-plein central, de la discontinuité d'une piste cyclable ou d'un rond-point accidentogène.

Comme en juin dernier, sur la commune de Cesson-Sévigné, où une femme de 40 ans a perdu la vie.  

Là encore un vélo blanc et fleuri est venu macabrement décorer le rond-point. 

En septembre dernier, aux Portes du Coglais, près de Fougères, où un homme de 67 ans est mort après une collision avec une fourgonnette

Ces accidents viendront alimenter le baromètre de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière, qui aura comptabilisé en août 2021 24 cyclistes tuées sur les routes de France métropolitaine. Cela monte à 166 cyclistes tués depuis le début de l'année 2021, dont 15 en Bretagne.

Mais avant, ils rejoindront la base de l'observatoire des cyclistes.

Le site recense les accidents de vélo qui ont fait l'objet d'un article de presse, partout en France. Une initiative qu'à pris à titre personnel Leri Jicquel, par ailleurs fonctionnaire dans l'administration publique, et co-fondateur de Velook.fr. Il est épaulé par toute une communauté d'observateurs, qui, assistés d'outils d'alerte, font remonter les informations dans la base.   

Ce qui me frappe, c'est l'âge des personnes qui ont un accident.

Léry Jicquel

Des chiffres qui, s'ils sont peut-être incomplets, ont le mérite d'être disponibles immédiatement, sans attendre les bilans officiels. "Sur les trois derniers mois par exemple, je remarque une explosion des accidents de vélo" constate Léry Jicquel, "et ce qui me frappe, c'est l'âge des personnes qui ont un accident".

Léry Jicquel observe "un mouvement de collégiens qui se déplacent à vélo". "C'est mon intuition, je ne peux pas le mesurer, mais s'il y a plus de collégiens à vélo et que les infrastructures ne vont pas aussi vite que les usages, forcément, il y a des accidents" explique Léry. Des chiffres qui, s'ils ne sont pas des bilans officiels, ont le mérite "de pouvoir alerter les pouvoirs publics, ou mobiliser des citoyens comme des associations" estime celui qui se reconnait en un "militant vélo".   

Car rendre public des chiffres officiels récents, et pouvoir les exploiter, n'est pas chose aisée. Il existe un baromètre mensuel de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière, "avec juste quelques chiffres sur un tableau", et un bilan consolidé annuel, "une base donnée très complète, mais dix mois après" déplore-t-il. 

Des accidents en hausse 

Ce bilan, il est constamment en hausse. En 2020, il y a eu 178 personnes tuées à vélo, dont 16 en vélo à assistance électrique. En 2013, ils étaient 151. 

 En Bretagne, on est passé de 8 tués en vélo en 2013 à 17 en 2020.  

Si la courbe d'accidents mortels est relativement stable ces dernière années (bien qu'elle ait chutée d'un tiers en ville ces deux dernières années), celle des accidents impliquant un vélo est toujours à la hausse. 

Le nombre d'accidents est passé en Bretagne de 195 en 2013, à 300 pour l’année 2020. Un bilan que l’on peut établir à partir d’une fonctionnalité du portail Geobretagne, qu'alimente la DREAL (direction régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement).  

Il permet de filtrer les données sur les accidents de la route que l’on souhaite intégrer à un tableau. Tableau qu’il faudra recompiler ensuite si l’on veut, comme nous, exploiter les données. 

La Bretagne n’échappe pas à cette tendance à la hausse, avec, on le voit, 301 blessés en 2020, contre 201 en 2013. Une hausse de 66% en 7 ans. 

Une hausse que Florian Le Villain attribue "de manière un petit peu fataliste" à la hausse du nombre de pratiquants, car "plus il y aura de vélo, plus il y aura d’accidents". Et ce malgré les aménagements, qui ne vont pas aussi vite que les usages.   

C'est assez net en agglomération, où la hausse des accidents sans gravité ou causant des blessures légères est la plus forte : 79,5% en 2020. Une hausse particulièrement nette chez les moins de 25 ans, et les 25-35 ans, "car c'est dans cette catégorie de population que l'usage du vélo, en ville, s'est le plus développé". 

Autre effet : celui des vélos à assistance électrique, qui apparaissent dans les statistiques depuis quelques années, et dont la part dans les accidents est toujours plus importante. Un constat que n'étonne pas Florian Le Villain, qui constate qu'"aux Pays-Bas, ils ont une augmentation du nombre d’accidents liés au développement de la pratique du vélo électrique, alors qu'on est dans un pays très cyclable".    

L'effet de la vitesse, "on passe de 15km/h en moyenne à 21 ou 22 km/h", et peut-être une catégorie d'usagers qui ont peu, ou qui ont perdu, les "reflexes vélo". D'ailleurs, conseille Florian Le Villain, "il vaut mieux reprendre la pratique du vélo en commençant par le vélo classique, avant de se mettre au vélo électrique."    

Les chiffres de vente de VAE, qui aujourd'hui nécessite une attente de plusieurs mois à l'achat, à l'instar d'une voiture neuve, sont à cet égard éloquents. 

Reste qu'une hausse des pratiquants, même si mécaniquement elle fait grimper la courbe des accidents, est une bonne chose. "Car plus il y a de cyclistes, plus il se développe une culture vélo" explique Florian Le Villain, "plus il y a de vélo, plus les automobilistes font attention aux vélos. C’est ce qu'on appelle la sécurité par la masse".   

"On le voit dans les pays où le nombre de cycliste augmente, la proportion d'accidents finalement diminue" remarque Florian Le Villain. Et de citer des chiffres pour la capitale, où le nombre de pratiquants a augmenté de 330% depuis le Covid, et où les accidents n'ont augmenté "que" de 120%, "donc finalement le risque d'avoir un accident diminue".   

Il reste, selon l'Onisr, trois fois plus élevé que pour un automobiliste, mais dix fois moins que pour un usager de deux -roues motorisé. 

Mortelle randonnée 

Hors agglomération, la pratique du vélo ne change guère au fil des années. Une pratique majoritairement loisir, sportive, avec toutefois de plus en plus d'adepte. Mais aussi la pratique où le vélo s'avère le plus dangereux.   

On le constate, 65% des accidents mortels ont lieu hors-agglomération en 2020 en Bretagne. Dans 1 cas sur 2, la victime est âgée de plus de 65 ans. 88% ont plus de 45 ans. Et qu'on ne dise pas la faute à la météo : il faisait beau dans 65% des cas. 

Sur le site Geoportail, la DREAL  établit une carte des accidents mortels sur les routes de Bretagne en temps réel. On peut ainsi voir très nettement que les accidents mortels à vélo ont lieu majoritairement hors agglomération. 

C'est peut-être lors d'une sortie loisir que l'on meurt le plus à vélo en Bretagne.   

On roule plus vite, en groupe, avec "peu de départementales qui comportent des pistes cyclables qui soient adaptées" constate Florian Le Villain. Lorsqu'elles existent, elles ne sont pas utilisées par les sportifs "qui ont besoin d'aller vite". Une piste cyclable, indique le président de Rayons d'Action, "il faut qu’elle soit large et surtout roulante, avec des revêtements qui soient lisses, sans bordure... au Tour de France, ils font sauter toutes les bordures… tout ce qui dépasse ne doit pas rester.

Refus de priorité

En agglomération, il suffit d'être un peu observateur : ce sont les actifs qui ont enfourché, ou réenfourché les vélos. A la faveur des aménagements, à commencer par les "coronapistes", et les efforts de rendre la ville plus cyclables, ceux qui utilisent le vélo pour aller travailler sont de plus en plus nombreux. Selon la FUB, ils étaient 2% à se rendre au travail en vélo en 2015, contre 4% en 2021.    

Et c'est ainsi que l'on retrouve la catégorie des moins de 25 ans, ajoutée à celle de 25-35, majoritaires dans les accidents impliquant un vélo en 2020. En agglomération, il y a eu en 2020 : 300 accidents impliquant un vélo en Bretagne. Parmi eux, 24,66% des victimes ont moins de 25 ans, et 16% entre 25 et 35 ans. 

Des accidents plus nombreux, mais qui - statistiquement - sont d'une gravité moindre. Sur les 5950 blessés en France d’un accident de vélo :  76,6 % sont des blessés légers et 23,4% nécessitent une hospitalisation. 3,36% des accidents ont entrainé un décès en 2020. 

Dans 2 cas sur 3, c'est un refus de priorité qui est à l'origine de l'accident. "C'est à un carrefour, lorsque le feu passe au vert, une voiture qui tourne, et qui ne voit pas le cycliste" explique Florian Le Villain, "où lorsque la piste cyclable prend fin, à l'approche d'un carrefour." Ou sur un sens giratoire, l'autre grand classique. 

Autre cause, le changement de voie : lorsque le vélo se déporte. Sur les fils Twitter, d'éloquentes vidéos de camionnettes en livraison, ou de véhicules en double-file mettent en rogne les cyclistes. Ils ne sont pas rares à arborer, à l'instar des motards ou des chauffeurs de taxi, une caméra sur leur casque, qui filme l'intégralité de leur trajet. 

Reste que sur les voies partagées, en imaginant que les pistes cyclables en site propre se multiplient, c'est la vitesse qui fera baisser le nombre d'accidents impliquant un cycliste en agglomération. "C'est très clair, lorsque je roule en voiture à 30 km/h, je suis à peine plus rapide que les vélos" souligne Florian Le Villain, qui avant d'être un cycliste, "prenait [sa] voiture tous les jours". Dans beaucoup d'agglomérations, les voies à 30 km/h se multiplient. L'agglomération de Lorient est passée en "ville 30 km/h".   

"En ville, le débat d'idée sur la place du vélo est gagné" constate Florian Le Villain,  "mais hors agglomération, ce n'est pas le cas". Hormis, souligne le président de Rayons d'Action, le département d'Ille-et-Vilaine, qui a voté un budget conséquent - 70 millions d'euros - pour l'aménagement de routes "plus cyclables".   

Léri Jicqel, analysant l'observatoire du vélo, reste stupéfait du nombre de camionnettes et de poids-lourds impliqués dans les accidents de vélo qu'i voit passer sur sa base. "Dans certains pays, les poids-lourds doivent être équipés de caméras pour éviter l'angle-mort, et qui leur permet de voir les vélos, en France, et on sait que cela ne marche pas, on leur demande de mettre un auto-collant sur l'arrière, pour demander aux cyclistes de faire attention" s'insurge-t-il. 

 

A Rennes, un premier carrefour giratoire "à la hollandaise" a été aménagé, dans lequel vélos et véhicules à moteur sont plus à même de se voir aux entrées et sorties.

Derrière Paris, Lyon et Strasbourg, la métropole bretonne souhaite devenir l'une des villes les plus cyclables de France.

 

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