C’est une petite révolution : l’Etat allemand impose depuis le premier janvier 2015 un salaire minimum de 8 euros 50 brut de l’heure. C’est la première fois dans l’histoire du pays qu’un tel minima est imposé : le débat aura été rude, 10 ans pour en arriver là !
Aujourd’hui, 86% des Allemands déclarent être favorables au salaire minimum. Un oui franc et massif, les Allemands ne veulent plus gagner pour certains moins de 5 euros de l’heure ou cumuler les emplois pour joindre les deux bouts.
Le OUI de la rue, le NON du patronat
Mais si la rue la rue allemande soutient le salaire minimum, le patronat l’a toujours combattu : un salaire minimum généralisé et fixé par l’Etat,serait un frein à la croissance, trop cher, et trop complexe à mettre en œuvre. « La paperasse va s’accumuler, notamment dans les plus petites entreprises », craint Cornelia Rupp-Hafner, de l’Union des entreprises du Pays de Bade. « Traditionnellement, en Allemagne, les politiques salariales sont négociées au sein des branches, entre partenaires sociaux. Cela a toujours fonctionné, et la plupart des salariés allemands gagnent d’ailleurs plus que ces 8 euros 50 brut de l’heure ! », ajoute t’elle. « Nous avons toujours combattu l’ingérence de l’Etat dans ce domaine, et c’est toujours notre position : ces questions sont de la compétence des partenaires sociaux. ». Autre point critiqué par le patronat allemand : une entreprise sera responsable de la politique salariale de ses sous – traitants, qui devront respecter la loi sur le salaire minimum.
Une promesse électorale tenue
Le salaire minimum, une promesse électorale des sociaux démocrates de la SPD, et une vieille revendication des syndicats. Une promesse tenue, même si la chancelière à la tête de la coalition entre conservateurs et sociaux démocrates s’est longtemps opposée au salaire minimum. Angela Merckel s’inquiétait des effets négatifs du salaire minimum sur l’emploi, craignant la destruction de 200 000 postes dans le pays. Une augmentation des coûts salariaux pourrait aussi provoquer une hausse des prix à la consommation, due à la répercussion des coûts salariaux. Mais au nom de la justice sociale, dans un pays qui a toléré ces dernières années une forme de dumping social : quelque 1,4 million de salariés allemands sont payés moins de 5 euros de l’heure, un deuxième emploi pour survivre est devenu nécessaire à beaucoup de salariés. On estime entre 2 et 3, voire 4 millions le nombre de bénéficiaires de cette mesure, selon que l’on comptabilise les temps partiels, les bas salaires, ou encore les stagiaires et les travailleurs handicapés en centre spécialisés. Les salariés des entreprises artistiques, de la gastronomie, des services de sécurité et d’entretien ou les chauffeurs de taxis dépendent souvent des aides de l’Etat pour assurer leurs fins de mois.En finir avec le dumping salarial
Il était certainement temps, en Allemagne, de rétablir un équilibre entre prestations sociales, payées par l’Etat, donc la collectivité, et salaires, payés par les employeurs ! « Le budget de l’Etat sera moins sollicité, puisque ces salariés ne bénéficieront plus de toutes les prestations sociales auxquelles ils avaient droit, étant maintenant payés correctement. Mais un ménage aura tout de même du mal à vivre de ce salaire minimum. Il permet de redonner une fierté à celui qui travaille, et à redonner de la valeur au travail », explique Reiner Geis, du syndicat des services VERDI Pays de Bade –sud. « Payer quelqu’un 2 euros 50 de l’heure, dans un pays comme le notre, c’est honteux, et les employeurs y réfléchiront à deux fois avant de proposer un salaire en dessous du minimum légal. ».Une loi, de nombreuses exceptions
1473 euros brut par mois pour 40 heures hebdomadaires, un salaire minimum dont l’introduction s’étale dans le temps. Mais il ne concernera pas tous les salariés, puisque de nombreuses exceptions sont prévues : les moins de 18 ans sans qualification, pour encourager les jeunes à se former plutôt qu’à entrer directement sur le marché du travail ; les apprentis en formation ; les stagiaires de moins de trois mois ; ou encore, les chômeurs de longue durée qui viennent d’être embauchés, pour qu’ils retrouvent plus facilement du travail.Mais ce n’est qu’en 2017 que la majorité des salariés concernés en bénéficiera, soit, selon les estimations du Ministère du travail, quelques 10% des 39 millions de salariés allemands.
De quoi soutenir la consommation des ménages, c’est le but en tout cas. De quoi aussi soulager les dépenses publiques : l’Etat devrait économiser quelques 900 millions d’euros en prestations sociales.
Le salaire minimum et l’Europe
De nombreux Etats membres de l’Union Européenne ont instauré un salaire minimum. Les niveaux de salaire minimum varient fortement : de 158 euros par mois en Bulgarie à 1874 euros par mois au Luxembourg, soit 12 fois plus. La France fait partie des Etats les plus généreux, à la cinquième place derrière le Luxembourg, la Belgique, les Pays-Bas et l’Irlande.
1 Salaires minimums entre 157 à 372 euros (Bulgarie, Roumanie, Lituanie, Lettonie, République tchèque, Estonie, Hongrie, Slovaquie, Pologne, Croatie)
2 salaires minimums entre 566 et 784 euros (Portugal, Grèce, Malte, Espagne, Slovénie)
3 salaires, entre 1264 et 1874 euros (Royaume-Uni, France, Irlande, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Allemagne).
En Autriche, à Chypre, au Danemark, en Finlande, en Italie et en Suède, un salaire minimum par branches est déterminé par la négociation entre les partenaires sociaux.