Corentin Jeras est mort le 2 novembre 2014 pendant une opération à la clinique Claude-Bernard à Metz. Il avait 11 ans. Deux chirurgiens seront jugés en correctionnelle dans les prochains mois. Le père du garçon attend impatiemment l'audience, pour que "tout éclate au grand jour." Interview.
Presque six ans après la mort de son fils Corentin pendant une opération de l'appendicite à Metz (Moselle), Pierre Jeras est soulagé de voir la procédure judiciaire avancer.
Samedi 2 mai 2020, le parquet de Reims (Marne) a annoncé que les deux chirurgiens mis en examen dans cette affaire en 2016, et qui avaient participé à l'opération du garçon, vont être renvoyés en correctionnelle, pour homicide involontaire par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence.
Les docteurs Salah Benlahrir et Pierre-Noël Chipponi ont déjà été interdit d'exercer la médecine, respectivement trois et deux ans en 2016 par l'Ordre des médecins. Ils risquent trois ans de prison et 45.000 euros d'amende.
Ce dimanche 3 mai 2020, nous avons rencontré Pierre Jeras par écrans interposés. Il nous raconte à quel point le chemin a été long pour en arriver à ce résultat, et ce qu'il espère des prochains mois.
Comment avez-vous vécu cette annonce de la tenue d'un procès ?
"C'est un soulagement pour nous. J'ai maintenant hâte de me retrouver dans une salle d'audience, pour que tout éclate au grand jour, pour que nous puissions vraiment poser les questions que nous avons envie de poser aux différents intervenants. Je compte bien y prendre part avec détermination, pour qu'on ait enfin la vérité sur ce qu'il s'est passé.En revanche, je ne comprends par pourquoi la clinique Claude-Bernard n'est pas traduite en correctionnelle."C'est un soulagement !
- Pierre Jeras, père de Corentin
Il reste encore beaucoup de questions...
"J'ai bien compris ce qu'il s'est passé en salle d'opération dès que j'ai vu les comptes-rendus opérationnels. J'ai vu l'attitude des différents praticiens, j'ai entendu ce que l'on m'a expliqué par ailleurs au CHU de Nancy. Il suffirait de confronter les versions des uns et des autres pour comprendre définitivement.Il reste des points d'ombre: que s'est-il passé pendant ces longues minutes avant qu'il soit connu que Corentin avait une hémorragie, qui était pourtant évidente dès les premières secondes ? Pourquoi a-t-il fallu trois heures supplémentaires pour que mon fils soit pris en charge par un vrai chirurgien thoracique ?Nous allons profiter de cette audience pour mettre les choses à plat.
- Pierre Jeras
Nous allons profiter de cette audience pour mettre beaucoup de choses à plat, pour reprendre tout ce qui n'a pas été fait et tout ce qui n'a pas voulu être fait par la Justice rémoise : mener certaines confrontations, entrer dans un certain nombre de détails, éclaircir les motivations des uns et des autres."
Le chemin jusqu'à cette annonce de procès a été long. Trop long ?
"Au début, si nous avons été bien soutenu par le Conseil de l'Ordre des médecins de Nancy et de Lorraine, ça a été beaucoup plus difficile avec le Conseil de l'Ordre de Moselle. A Metz, tout le monde se connait. Il y a une vraie question autour de la proximité de la clinique Claude-Bernard et le microcosme messin.C'est ce qui nous a incité à demander le dépaysement judiciaire à Reims. Nous y avons moins le sentiment qu'il y a des liens étroits avec les protagonistes. Mais à Reims, nous avons affaire à la lenteur de la Justice.Nous avons eu affaire à la lenteur de la justice.
- Pierre Jeras
Il a fallu continuer à batailler avec la Justice, qui avait du mal à accepter une plainte contre la clinique Claude-Bernard. la plainte a été bloquée deux mois au commissariat de Metz, qui n'a pas voulu la transférer au Parquet de Reims.
Aujourd'hui, nous sommes presque six ans plus tard."
Vous espérez faire un exemple ?
"Nous ne sommes pas naïfs. Le système judiciaire étant ce qu'il est, les peines seront symboliques. Mais nous devons la justice à Corentin. Nous n'allons pas oublier notre fils, et nous lui devons au moins ça. C'est notre devoir à tous. Je suis médecin par ailleurs et je dois dénoncer tous ces scandales. Nous avons fini par apprendre que Corentin n'était pas un cas unique, qu'il y a vait eu d'autres sinistres auparavant en Lorraine. Je déplore profondément que la Justice et l'Agence régionale de Santé (ARS) aient voulu faire l'impasse sur cette situation.Il n'y a pas beaucoup d'affaires qui arrivent aussi loin. C'est important qu'il y ait parfois des exemples et que ça donne du courage aux nombreuses personnes qui peuvent être victimes, elles aussi, de praticiens et de cliniques peu scrupuleux."En tant que médecin, je dois dénoncer tous ces scandales.
- Pierre Jeras
Le procès doit se tenir dans les prochains mois.