80 ans du massacre d'Oradour-sur-Glane : la plaie est encore ouverte entre l'Alsace et le Limousin

Le 10 juin prochain marquera le 80eme anniversaire du massacre d'Oradour sur Glane, en présence du chef de l'Etat Emmanuel Macron. Oradour-sur-Glane, un village entier rayé de la carte par la Division Das Reich de la Waffen SS. Dans les rangs nazis, 14 Alsaciens, dont 13 Malgré-Nous. Une page sombre de l'histoire, que la justice des hommes n'a pas réussi à apaiser.

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10 juin 1944 : 200 Waffen SS encerclent la commune d'Oradour sur Glane. Le village est pillé, incendié, les habitants abattus. 643 morts, dont 11 étaient Alsaciens. Un massacre méthodique, glaçant, insoutenable. Parmi les soldats nazis, 14 Alsaciens, dont 13 Malgré-Nous.

Aujourd'hui, les ruines du village anéanti sont sanctuarisées. Pour ne jamais oublier. Mais parce que le temps a tendance à effacer ce qui fut, la préservation des lieux coûte cher. En janvier 2024, une femme, restée anonyme, a fait un don de 500 000 euros pour aider à sauvegarder le village martyr. On ne saura rien d'elle, exceptée qu'elle est Alsacienne et originaire de Strasbourg.  Agathe Hébras, petite fille d'un des rares rescapés du massacre, Robert Hébras, né à Oradour en 1925 et décédé en 2023, a exprimé sa reconnaissance. 

Pourtant, la réconciliation n'est pas aussi simple. Elle est même terriblement compliquée. Car de part et d'autre, en Alsace comme dans le Limousin, chacun se perçoit victime d'une histoire monstrueuse. Des victimes qui se sentent incomprises, et donc, toujours en souffrance.

Le fiasco du procès de Bordeaux

Le 12 janvier 1953, 9 ans après le massacre d'Oradour, s'ouvre devant Tribunal militaire de Bordeaux "le procès de l'hitlérisme", selon les termes du président du Tribunal . Or, sur le banc des accusés, il y avait "uniquement les exécutants, et pas les donneurs d'ordre", observe Jean-Laurent Vonau, historien du Droit,  qui a écrit un livre, “Le procès de Bordeaux, les Malgré-nous et le drame d'Oradour”. 

Les 13 Malgré-Nous sont condamnés à des peines de prison ou de travaux forcés. L'Alsace se soulève. À Strasbourg, le monument aux morts est recouvert d'un voile noir. Manifestations, grèves administratives, la région est au bord de la sédition. "Dans toutes les familles, il y avait au moins un ou deux incorporés de force. Et chacun de ces incorporés de force aurait pu se trouver à Oradour", explique Jean-Laurent Vonau. "Pour les Alsaciens, après l'abandon qu'ils ont connu en1940 (NDLR l'annexion de facto), ce jugement a été vécu comme l'infamie suprême (....) On les abandonne et en plus, on les accuse."

Devant la colère de l’Alsace, l'Assemblée nationale vote l'amnistie des incorporés de force : 319 voix pour, 211 contre, et 83 abstentions. L'historienne américaine Sarah Farmer, auteure d'un ouvrage sur Oradour a cette analyse lapidaire : l'Etat a préféré "s'aliéner une région pauvre et rurale plutôt que de provoquer l'agitation permanente d'une région prospère et peuplée".

C’est au tour du Limousin de se sentir trahi. Le fiasco est complet, le tribunal n’a rendu justice à personne, ni à Oradour ni aux Malgré-nous. Entre les deux régions, la rupture est consommée, et elle est totale. "Dès qu'ils voyaient un 67, ils s'attaquaient à la voiture" raconte Nicole Bruder, présidente de l'Association des Evadés et Incorporés de force du Bas-Rhin.

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La plaie est encore ouverte entre l'Alsace et le Limousin ©France Télévisions

Le difficile rapprochement

Il faudra attendre près d'un demi-siècle pour initier un début de réconciliation. En 1998, à l'invitation du maire d'Oradour, Raymond Frugier, Roland Ries, premier magistrat de Strasbourg et fils de Malgré-Nous, participe aux commémorations du massacre. "Je viens à vous pour vous tendre la main, pour renouer le dialogue et pour partager votre immense douleur", déclare-t-il. 

À l'initiative des deux élus, un début de réconciliation. "Le courant est passé entre lui et moi", dit aujourd'hui encore Roland Ries à propos de Raymond Frugier. "On s'était dit qu'il fallait qu'on dépasse cette méfiance, ces accusations réciproques. C'est devenu possible parce que le temps est passé, les émotions du début ont été atténuées."

Le temps peut cicatriser les plaies, mais ne les guérit pas. En 2010, deux associations de Malgré Nous portent plainte contre Robert Hébras, l'un des rares survivants du massacre (décédé en janvier 2023), estimant qu'il mettait en doute l'incorporation de force des Alsaciens dans une réédition de son mémoire. Robert Hébras a finalement été blanchi en Cassation, la Cour expliquant que les propos "s'ils ont pu heurter, choquer ou inquiéter les associations demanderesses, ne faisaient qu'exprimer un doute sur une question historique objet de polémique, de sorte qu'ils ne dépassaient pas les limites de la liberté d'expression."

"L'Alsace et Oradour sont deux victimes du nazisme, commente Jean-Laurent Vonau. Il faut que les deux le reconnaissent pour permettre une intégration dans la mémoire nationale. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas", conclut-il.

Nicole Bruder, quant à elle, se refuse à participer à toute cérémonie officielle à Oradour. "Ce n'est pas encore possible", confie-t-elle.

L'espoir tient dans ces quelques mots : "pas encore", qui laissent entrevoir un "après" , possible.  

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