Albert Kahn, l'Alsacien qui voulait empêcher la guerre

Rund Um. Après six ans de travaux, le nouveau musée Albert Kahn a ouvert ses portes au public le samedi 2 avril à Boulogne-Billancourt. Il présente des milliers d'autochromes et des centaines d'heures de films, collectés par ce banquier alsacien richissime, pacifiste et philanthrope.

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Le musée Albert Kahn a la forme d'un oiseau plié suivant les techniques de l'origami. Ce n'est sans doute pas un hasard si l'architecte de l'édifice, Kengo Kuma, est japonais. Ce n'est pas un hasard non plus, si ce musée évoque d'emblée le Japon, pays qu'Albert Kahn a visité à trois reprises et qu'il affectionnait tout spécialement. Albert Kahn avait d'ailleurs fait aménager dans le jardin attenant, un espace dédié au Japon, avec des espèces végétales et maisons traditionnelles en bois venues directement de l'empire du Soleil-Levant. Il avait également eu le privilège de recevoir la famille impériale japonaise dans sa résidence de Cap-Martin. 

L'exposition permanente du musée accueille des murs d'autochromes, l'ancêtre de la photographie couleur, des plaques de verre de 9 cm sur 12, sur lesquelles les images sont imprimées. L'espace principal comprend quelques centaines de reproductions, rétroéclairées, choisies au hasard dans une collection qui en compte 72 000, les fameuses "Archives de la planète".

On y voit des paquebots prêts à embarquer les voyageurs sur les mers lointaines, des princes arabes, des soldats de la Première Guerre mondiale, une Alsacienne en costume traditionnel, une famille de paysans chinois...Pêle-mêle, le monde est là, le monde tel qu'il a été saisi entre 1909 et 1930 par des opérateurs envoyés par Albert Kahn dans une cinquantaine de pays.

Connu en région parisienne, Albert Kahn l'est beaucoup moins dans sa région d'origine, l'Alsace. Il y naît en 1860, à Marmoutier, dans une famille juive. Son père est négociant en bestiaux. Albert Kahn est doué à l'école, en mathématiques notamment. Son instituteur, Hercules Heimann intervient auprès de la famille pour lui permettre de poursuivre ses études au collège voisin, à Saverne. Mais le père n'a pas les moyens c'est donc l'instituteur ainsi que quelques généreux donateurs qui se cotisent pour permettre à Albert Kahn de poursuivre ses études. Sa mère décède en 1870, il a 10 ans, la guerre éclate, l'Alsace devient allemande. Six ans plus tard, son frère Salomon meurt également. Albert, qui s'appelait alors Abraham, part pour Paris, est pris en charge par des membres de la famille et de la communauté juive parisienne. Il travaille, reprend des études. Devient banquier, autodidacte, un très riche banquier. En 1898, il crée sa propre banque et devient un des hommes les plus riches du pays.

Son métier le fait voyager, lui fait faire le tour du monde. C'est au tournant du XXème siècle qu'il prend conscience, avec la révolution industrielle, de l'évolution rapide du monde et de la disparition inexorable de certaines civilisations.

Installé dans sa maison de Boulogne-Billancourt, il crée les bourses Autour du Monde, sa première oeuvre philanthropique. Il permet à des étudiants de voyager au Mexique, Pakistan, en Malaisie...Entre 1898 et 1931,150 hommes et femmes en profiteront. Viendra ensuite le projet colossal de collecte de clichés sur le monde, les Archives de la planète. Il enverra une douzaine d'opérateurs dans une cinquantaine de pays. Ils constitueront la plus grande collection du genre au monde, plus importante que celle du National Geographic.

En 1914, extrêmement affecté par la Première Guerre mondiale, il envoie certains de ses opérateurs sur la ligne de front et à l'arrière, photographier la vie des soldats et les conséquences de la guerre sur les civils. Il instaure un Comité de secours national qui collecte des fonds à destination des victimes de la guerre et des plus pauvres.

Parallèlement aux voyages, Albert  Kahn financera une dizaine de fondations à vocation sociale. Toujours très attaché à l'Alsace, il est par exemple à l'origine du service de médecine préventive de l'hôpital de Strasbourg. 

En 1916, il crée le Comité national d'études sociales et politiques. Toute sa vie, il n'a cessé de réunir les plus grands intellectuels pour réfléchir à des alternatives politiques. Dans son livre "Des droits et des devoirs des gouvernants", il exhorte les élites à mettre en oeuvre les conditions d'une paix durable. 

Ruiné par la crise de 1929, cet homme énigmatique meurt seul, sans famille, sans descendance, dans sa maison, au début de la Deuxième Guerre mondiale.

Le musée de Boulogne-Billancourt rappelle le parcours hors norme de ce philanthrope qui a mis toute sa fortune au service d'un idéal de paix...jamais atteint.

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