Médecins et pharmaciens ont en cette 3e semaine de mai l'autorisation de vacciner les moins de 55 ans, grâce au vaccin Moderna. Mais ils ne savent pas quand ils seront livrés, donc ne peuvent pas programmer leurs rendez-vous. Et ont l'impression de subir encore une "totale désorganisation".
Le vaccin Moderna devait faire son entrée dans les pharmacies, à raison de deux flacons (donc 20 doses) par officine ce lundi de Pentecôte, et dans les cabinets des médecins généralistes - un flacon par médecin - ce jeudi 26 mai. C'est en tout cas ce qui était prévu, affiché, communiqué. Objectif : qu'ils puissent vacciner les moins de 55 ans, auxquels le vaccin AstraZeneca, le seul distribué aux médecins et aux pharmaciens depuis le mois de mars, est interdit.
Ils ont donc passé leurs commandes. Mais attendent toujours ce 25 mai la date de livraison. Sans visibilité, impossible pour eux de planifier des rendez-vous. Un bis repetita des couacs de distribution qui n'étonne même plus le docteur Claude Bronner, médecin à Strasbourg et vice-président du syndicat Union généraliste. La voix est désabusée, l'agacement perceptible lorsque nous l'avons joint par téléphone.
Comment cette nouvelle phase de vaccination s'organise-t-elle dans vos cabinets ?
Pour l'instant, elle ne s'organise tout simplement pas puisque nous n'avons aucune visibilité. Le 22 mai, en plein week-end prolongé, les autorités sanitaires nous écrivent, pour nous dire "ok, vous allez vacciner avec le Moderna", et depuis, silence radio. Pas de date de livraison, donc pas de rendez-vous planifiés. Exactement comme au mois de mars, lorsque nous avons commencé à pouvoir vacciner.
Ils sont simplement incapables de s'organiser, c'est incroyable ! Nous ne vaccinerons pas cette semaine, et sans doute pas la suivante, car nous ne pouvons pas risquer de prévenir nos patients sans leur donner de date.
Comme expliquez-vous cette désorganisation ?
Il y a plusieurs explications. Déjà, ils n'ont pas les bons outils. Ils n'ont pas voulu de celui que nous proposions, une application toute simple, qui ne demandait qu'à être améliorée, pour mieux échanger entre nous, pour organiser la bonne distribution des doses, connaître les besoins de chacun, qui ne sont pas les mêmes selon la taille des cabinets, l'emplacement, à la ville, à la campagne, le type de population à vacciner... Cet outil, nous étions prêts à le développer!
Ensuite, il y a une telle multitude de strates de décisions qu'on s'y perd. C'est un mille-feuille administratif, et à chaque niveau, chacun veut avoir son mot à dire! C'est une perte de temps, d'énergie, d'informations...
Au tout début de la crise, on pouvait comprendre les tâtonnements d'organisation, mais là, c'est une incurie!
Enfin, je pense qu'il y a aussi une explication politique : selon moi, il aurait fallu organiser la vaccination d'abord en proximité, avec les médecins, les pharmaciens, avant de passer aux centres de vaccination dans les grandes villes. C'est l'inverse qui a été décidé, donc maintenant, il faut montrer que ces centres sont un succès. On leur donne la priorité. Et ils passent à côté d'une partie des patients...
Continuez-vous en attendant à vacciner avec l'AstraZeneca?
Nous avons éclusé toute la population qui était éligible à ce vaccin (les plus de 55 ans), et volontaire. La défiance reste importante à son égard, et le fait de l'interdire aux plus jeunes a été catastrophique : j'ai des patients qui étaient prêts à me signer une décharge pour que je les pique, mais cela m'est interdit, je n'ai pas le droit. Résultat, il y a des stocks énormes de ce vaccin, c'est un vrai gâchis... Qu'on évite de l'administrer aux plus jeunes, parce qu'il semble qu'il y ait un risque peut-être un peu plus important, même s'il reste minime, soit. Mais l'interdire ainsi de façon définitive à toute une partie de la population, c'est une vraie erreur. On a fait un tel cinéma avec ce vaccin qu'il nous reste sur les bras!
Comment voyez-vous l'ouverture à la vaccination pour tous ?
Toujours pareil... la clé, c'est la fluidité de l'organisation, et on en est loin! Des doses, il y en a, on le sait... Quasiment depuis l'été dernier, on connaît à peu près le calendrier de livraison des doses! Donc il n'y aura pas de pénurie... Mais tant qu'on ne nous écoutera pas...
Il faudrait qu'on puisse vacciner tout le monde dans nos cabinets, prendre les patients tels qu'ils arrivent, pour d'autres consultations, et pouvoir leur proposer à ce moment-là de se faire vacciner, et de payer simplement pour cet acte supplémentaire. Là, ce n'est pas possible, alors nous, on est découragé...
Regardez le mépris avec lequel nous sommes considérés, avec un seul flacon par semaine à notre disposition. Les pharmaciens en ont deux : quelle image cela donne de nous? Ce n'est pas tant sur le nombre qui nous est attribué que nous sommes en colère, puisqu'au final quand nous sommes plusieurs médecins dans un cabinet, nous avons plus de doses que les pharmaciens... mais quel est le message donné? Un vrai manque de considération...