Alsace : un très jeune agriculteur reprend la production des navets salés, les "Süri Rüewe"

Rund Um. Une variante de la choucroute, moins connue mais plébiscitée par les connaisseurs, ce sont les "Süri Rüewe", à base non de choux, mais de navets. En Alsace, il ne reste plus que trois producteurs, dont un jeune agriculteur de 22 ans, Gilles Jaeg, qui vient de reprendre l'entreprise de Geispolsheim (Bas-Rhin).

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On les appelle "Süri Rüewe" (navets aigres), ou encore "Kellernüdle" (nouilles de cave). Les navets salés, c'est un légume assez proche de la choucroute : de longs filaments blanchâtres, fermentés avec du sel selon le principe de la lactofermentation. Mais ils sont plus épais, et fabriqués non pas à partir de choux, mais de gros navets râpés.

Les "Süri Rüewe" sont attestés au moins depuis le 16e siècle. On en trouve en Allemagne, en Autriche, en Suisse, mais ils restent un produit assez rare. En Alsace, seuls une demi-douzaine d'agriculteurs cultivent encore le type de navets nécessaire à sa fabrication, et seuls trois producteurs en fabriquent encore.

Parmi ces derniers, le plus important, Constant Speisser de Geispolheim, proche de la retraite, cherchait un repreneur. Et a eu la chance de le trouver en la personne du jeune Gilles Jaeg, dont le père cultive ce type de navets et les fournissait justement à l'entreprise Speisser. Une suite cohérente pour le jeune repreneur, et un nouveau métier qui l'enthousiasme.

 

Un nouveau métier à apprendre

Bottes de caoutchouc immaculées aux pieds et charlotte sur la tête, Gilles Jaeg lance des poignées de sel sur les navets râpés qui viennent d'atterrir dans une large cuve de béton. "C'est le même processus que pour la choucroute" explique-t-il. "Mais on sale davantage les navets que les choux. Ensuite on ferme la cuve, on fait sortir l'air pour éviter l'oxydation, et on laisse fermenter dix jours, contre trois semaines pour la choucroute."

A ses côtés, Constant Speisser, tout jeune retraité et ancien maître des lieux, lui prodigue quelques conseils. Car le jeune repreneur de 22 ans en est à sa première année de production. Et même s'il fait ses preuves, il reste plein de petites choses à apprendre. C'est pourquoi Constant Speisser, ainsi que son épouse Cathy, restent disponibles pour lui, afin que cette transmission qui les réjouit se passe au mieux.  

"Son père nous a fourni ses navets depuis 30 ans" explique l'ancien producteur. "Quand on a cherché un repreneur, Gilles s'est manifesté, et c'était le candidat idéal. On connaît ses parents et leur exploitation, et eux nous connaissent."

"Nous sommes heureux que Gilles ait repris" renchérit sa femme, Cathy Speisser. "On le connaît depuis qu'il est bébé. Il a grandi dans les navets, et on sent qu'il aime le faire." Elle-même épaule encore le jeune homme "pour l'administratif et la traçabilité, pour qu'il note tout et n'oublie rien." Son mari le conseille pour l'entretien des machines et le salage. "Il sait que, s'il a besoin de nous, nous sommes là" assure Cathy Speisser.

L'automne dernier, avant de se décider à racheter les parts de l'entreprise et tout le matériel, Gilles Jaeg était déjà venu quelques jours "pour voir si ce travail allait (lui) plaire." Aujourd'hui, malgré un peu de stress, il est pleinement convaincu d'avoir fait le bon choix. "J'ai de la chance que Cathy et Constant soient avec moi, pour me montrer comment ça fonctionne, et corriger mes erreurs" reconnaît-il.

 

Des salariés pédagogues

A l'extérieur, les navets encore terreux sont acheminés par tapis roulant vers une cuve de lavage, puis une éplucheuse géante. Mais ensuite, chaque navet lavé est pris en main, pour vérifier s'il reste des impuretés, qui sont coupées au couteau, avant que les légumes passent dans la râpe qui les transforme en longs rubans de "Nüdle" (nouilles).

A sa prise de fonction, Gilles Jaeg a également repris la petite équipe de saisonniers "qui travaillent ici depuis plusieurs années, et connaissent leur métier." Eux aussi lui ont énormément appris. "C'est moi qui encaisse l'argent, mais ce sont les autres qui doivent encore m'inculquer des choses" conclut-il, grand sourire.

Les dix jours de fermentation écoulés, les navets salés sont prêts. Ils peuvent être conservés des mois s'ils restent en cuve. Au fur et à mesure des commandes, ils sont transférés manuellement dans des seaux. 

Des clients soulagés

Chaque année, 350 tonnes de "Süri Rüewe" sont ainsi produites en Alsace, à partir de 1000 tonnes de navets crus, puisque la fermentation leur fait perdre beaucoup de jus et deux tiers de leur poids. Et sur ces 1000 tonnes, l'entreprise Speisser de Geispolsheim en transformait 450, soit près de la moitié.

C'est pourquoi, selon Constant Speisser, sa clientèle (principalement constituée de choucroutiers qui ne produisent plus de navets salés eux-mêmes, mais aiment toujours en proposer à leurs propres clients) s'inquiétait "de (le) voir vieillir, et craignait que tout s'arrête."  

Dès lors, avant même que la reprise de l'entreprise par Gilles Jaeg soit conclue, le couple Speisser a emmené le jeune homme "faire la tournée. On est passés chez tous nos clients pour leur présenter Gilles, et discuter ensemble." 

Un futur transfert à Bindernheim

A Bindernheim, les parents de Gilles, Doris et Roland Jaeg, cultivent des oignons nouveaux, de la rhubarbe, et principalement diverses sortes de navets, dont les gros navets fibreux destinés à la fabrication des "Süri Rüewe". 

"Pour obtenir les longues "nouilles", les fibres ne doivent pas casser" explique Roland Jaeg. "Celles de certaines variétés de navets cassent et on n'obtient que de petits morceaux." En plusieurs décennies d'expérience, il a donc sélectionné les variétés, et propose depuis quelques années de beaux navets ronds et tout blancs, parfaitement adaptés.

Il a semé chaque rangée à un autre moment, de cinq jours en cinq jours, afin de pouvoir proposer à chaque livraison des légumes à parfaite maturité, mais encore frais au moment d'être râpés.

Cela fait trente ans que les navets de Roland Jaeg sont transformés par l'entreprise Speisser de Geispolsheim. Mais pour lui aussi, cette année est un peu particulière. Car cette fois, son client est son propre fils, auquel il souhaite que tout se déroule de manière optimale. En outre, il doit désormais se passer de l'aide de Gilles, trop occupé pour venir le seconder lors de la récolte.  

Mais d'ici un à deux ans, pour optimiser le travail et éviter les temps de transport, Gilles prévoit de quitter Geispolsheim pour installer tout son atelier de transformation sur l'exploitation familiale de Bindernheim. Il veut construire de nouveaux hangars à côté de ceux de ses parents, et rapatrier les machines.

"Et alors, mon entreprise sera lancée, jusqu'à ma retraite" sourit-il. "J'espère simplement que les gens continueront encore longtemps à consommer des "Süri Rüewe". Tous mangent de la choucroute, mais nous, on veut faire mieux connaître les navets salés."

Navets salés qui, comme le précise sa maman Doris Jaeg, "se préparent comme la choucroute", avec un oignon piqué de clous de girofle, quelques feuilles de laurier, des graines de coriandre et des baies de genièvre. Seule la cuisson est un peu plus rapide, aux alentours d'une heure et demie.

Ils accompagnent les mêmes viandes, les knacks ou le poisson, mais "on peut également les manger avec plein d'autres choses : boudin, ou rôti de porc." Et même crus, en salade. "S'ils sont frais, en début de saison, il ne faut pas les rincer" précise Doris Jaeg. "Sinon on enlève les minéraux et les vitamines, et ce serait dommage."   

Et la texture de ces "nouilles de cave", plus douce et moins craquante que celle de la choucroute, ainsi que leur saveur inimitable, méritent bien qu'on les redécouvre.

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