Coronavirus : ma vie de journaliste confinée dans le nord de l'Alsace, à Schleithal

S'isch schrecklisch ! Voici le quatrième épisode de mes « chroniques villageoises à l'heure du coronavirus ». Pourquoi ai-je commencé à les écrire ? Je m'interroge encore...

 

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Quand je rencontre des gens pour un reportage en alsacien pour Rund Um, c'est toujours la première question que l'on me pose : « Ja, vun wu kummen er haare fe so ze rede? D'où venez-vous pour avoir un accent pareil ? ». Je réponds invariablement : « ich bin a Madel vun Schladel ! Je suis une fille de Schleithal ! ».
 

Entre mon alsacien et celui de mes interlocuteurs, il y a souvent un monde. Je parle le francique, la langue régionale partagée avec nos voisins du Palatinat, ailleurs en Alsace ( à part en Alsace bossue), on parle plutôt l'alémanique, du haut, du bas, ou du milieu ! J'ai des mots dans ma langue qui n'existent pas ailleurs et inversement. Un seul exemple : je dis « Fixfeier » pour allumettes là ou ailleurs on dit « Schwawelheltzle ». L'alsacien est donc ma langue maternelle et Schleithal mon village familial puisque mon père et ma mère sont originaires du village, tout comme mes quatre grands-parents, mes arrière grand-parents, mes arrière-arrière grands-parents... C'est vous dire que cet héritage, c'est du lourd.
Etudiante, mon seul objectif c'était de partir d'ici : études de sciences politiques, journalisme, pigiste dans le réseau régional de France 3, Paris, Berlin. Partir pour finalement revenir. Il y a 10 ans, mon mari et moi avons pris la décision de reprendre la maison d'origine de ma branche paternelle, une maison à colombages de 1825, afin qu'elle reste dans la famille. Nous avons donc aujourd'hui un appartement à Strasbourg pour le boulot et une « résidence secondaire » à Schleithal. Nous faisons partie de ces privilégiés qui ont pu quitter la ville pour se confiner à la campagne.

Wie geht's ? Brausch abs, Bàrthel ? - (Comment vas-tu ? as-tu besoin de quelque chose ?) - Les villageois échangent à bonne distance 

Car le grand luxe du confinement à la campagne, c'est incontestablement le jardin. On taille les haies, on bêche, on retourne le compost (le compost c'est essentiel, ceux qui me connaissent le savent). On échange quelques mots avec mes parents qui habitent juste de l'autre côté du chemin de terre derrière notre maison, ou avec les voisins par dessus le grillage et à bonne distance ou de fenêtre à fenêtre. On s'enquiert de leur état de santé, de leurs besoins : « Wie geht's ? Brausch abs, Bàrthel ? ». Quitte à hausser le ton parfois avec son propre père : « brausch jetzt niet de Gazon ze mesche, aba màchts schun fe disch ! Geh jetzt nei, de Gazon kànn wàrde ! Ton gazon peut attendre, quelqu'un s'en occupera plus tard. Rentre ! »
 
Certains matins, nous avons la surprise de trouver une baguette fraîche devant notre porte, déposée par ma sœur agricultrice dans le village? Ma nièce ? Mon voisin ? Je ne sais même pas qui remercier. Une routine s'est installée. Les enfants travaillent les devoirs le matin en compagnie de leur professeure improvisée (ma nièce embauchée pour l'occasion, elle est redoutable!). Mon mari et moi télé-travaillons. Il m'a gentiment fabriqué un bureau avec les anciens meubles de ma grand-mère, sacrilège ! (mais franchement, et ce message s'adresse à mes tantes qui liront peut-être ce papier, le buffet et la table de mamama étaient vraiment trop...moches).Voilà pour le décor.
 

 S'isch e so, wàs wit ! C'est comme ça, que veux-tu ! - Les villageois de Schleithal

J'ai commencé à écrire ces « Chroniques villageoises au temps du coronavirus » presque instinctivement, choquée par l'énorme décalage entre la vie chamboulée à Strasbourg et celle d'ici, inchangée, comme si la forêt de Haguenau faisait barrière et protégeait les habitants de l'Outre-Forêt de l'arrivée du virus. Je regarde comment les villageois s'adaptent, avec fatalisme : « S'isch e so, wàs wit ! C'est comme ça, que veux-tu ! ». Je consigne ce qu'ils me disent. La vie dans un village comme le mien est quelque chose de particulier et de précieux. J'ai le sentiment d'avoir derrière moi un filet à la maille bien serrée. Cette impression me fait penser à mon autre grand-mère, mémé Rose, décédée elle aussi il y a longtemps. A chaque fois qu'un de ses petits enfants passait un examen, elle allait à l'église allumer un cierge pour lui. Chacun de nous savait et était en communion de pensée avec elle. Et chacun se sentait plus fort.
 







 
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité