Si le confinement nous concerne tous, il n'est pas forcément vécu de la même façon en ville et à la campagne. Direction l'Alsace bossue, mon "chez moi" pour passer un peu de temps avec ces villageois qui attendent des jours meilleurs souvent loin d'Internet et des réseaux sociaux.

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"S'Doarf ìsch tod! - le village est mort" me dit maman quand je l'appelle le soir. Le village en question, c'est Keskastel (Bas-Rhin) : 1.500 habitants, trois restaurants, un snack, deux boulangeries, un boucher, un coiffeur, une boutique déco, un traiteur et quelques petites entreprises. Un village qui vit en temps normal, mais là tout s'est arrêté, "même le boucher ne passe plus avec sa camionnette, stell d'r vor - rends-toi compte".   

"Je sors juste pour chercher le pain" me lance maman désespérée. Elle qui aime discuter avec les gens, aller boire son café pour "rätsche - bavarder" avec des amis, se retrouve coincée à la maison. Et il faut avouer qu'elle, comme beaucoup de gens du village, n'est pas une pro des nouvelles technologies. Ici, les utilisateurs de skype, facetime ou whatsapp sont rares : "wàs ìsch denn dìs - c'est quoi ça ?" qu'elle me dit. Alors elle décroche son bon vieux téléphone fixe pour prendre des nouvelles : "j'ai appelé la coiffeuse pour savoir comment elle va, elle m'a dit : "redd m'r nìt - m'en parle pas". 

Petit à petit la vie au village s'est arrêtée, "je ne peux même plus aller me balader en forêt" raconte ma tante "j'y allais deux, trois fois par semaine." 
Si au début du confinement les restaurants proposaient des plats à emporter, la situation est telle qu'aujourd'hui ils ont arrêté ce service. L'une des deux boulangeries a carrément fermé pour stopper le virus avant de rouvrir pour proposer de la livraison de produits avec un choix limité. Dans le village, comme dans tous les autres, on sort ce qu'on a dans le congélateur, on sait faire suffire les restes et se contenter des derniers légumes d'hiver conservés à la cave en attendant des jours meilleurs.

Quand j'arrive chez les personnes âgées, je les aide aussi 
- Hervé Bovi, traiteur

Face à la situation, le tout nouveau traiteur du village a décidé de cuisiner chez lui (il n'a pas encore de lieu professionnel) pour livrer une trentaine de plats du jour en semaine et trois suggestions le week-end. "Quand j'arrive chez les personnes âgées, je les aide aussi parfois, même si c'est juste pour ouvrir une bouteille..." toujours avec les gestes barrières nécessaires. 

Le groupe scolaire accueille deux enfants de personnels soignants 
- Gabriel Glath, maire (SE) de Keskastel

Fermé depuis plus de deux semaines maintenant, l'école du village accueille deux enfants de personnels soignants. Pendant la pause méridienne et les périodes extra-scolaires, les enfants sont pris en charge par deux animatrices équipées de protections pour la circonstance.

La commune met en place une chaîne de solidarité 
- Gabriel Glath
 

"Nous avons progressivement mis des mesures en place au niveau communal et sur tout le territoire et nous distribuons, ce week-end, un flyer à l'attention des personnes ne pouvant se déplacer" me dit le maire, Gabriel Glath, qui a fermé la mairie (les secrétaires sont en télétravail) et propose devant la porte une boîte pour tous ceux qui ont besoin d'une attestation de déplacement.

Les flyers sont postés dans chaque boîte aux lettres pour indiquer aux habitants qu'une chaîne de solidarité a été fondée pour celles et ceux qui ont besoin d'aide pour les courses et celles et ceux qui souhaitent venir en aide. "Une chaîne de solidarité mise en place est constituée par les membres du conseil municipal, anciens et nouveaux renforcés par des jeunes volontaires du village". Et pour celles et ceux qui n'ont pas internet, il suffit d'appeler la mairie.

Ce flyer, ma grand-mère aussi l'a réceptionné. Heureusement elle vit aux côtés de ses deux filles qui veillent sur elle. Et oui, ma grand-mère a cette chance de pouvoir encore être chez elle.

Ces derniers temps je pense souvent à la Seconde Guerre mondiale
- Ma grand-mère
 

Cette vie confinée, chamboulée nous fait réfléchir et plonge les plus anciens d'entre nous dans des souvenirs très douloureux. Au début de l'épidémie, ma grand-mère ne comprenait pas trop ce qui se passait. Elle pensait que ce virus ne pouvait pas arriver jusqu'à la campagne. Jusqu'à ce qu'un ami lui dise, il y a presque trois semaines, qu'il y avait un malade dans le village voisin. "S'ìsch doch net meilisch - c'est pas possible" qu'elle m'a dit.

Depuis ma grand-mère mais aussi ma maman et ma tante (elles vivent l'une à côté de l'autre) ont pris la mesure de cette réalité difficilement supportable. Et l'autre soir ma grand-mère a fini par me dire "in de letscht denk isch oft àn de zweid Weltkriej - ces derniers temps je pense souvent à la Seconde Guerre mondiale". Elle vient de fêter ses 90 ans. C'est la première fois de ma vie (j'ai 41 ans) que je n'ai pas pu la prendre dans mes bras pour lui faire un gros Schmùtz. Alors, pour être un peu avec elle virtuellement en ce jour anniversaire, j'ai proposé à mon cousin qui habite sous le même toit un appel par facetime pour que nous puissions nous voir. Elle était sidérée par cette technologie et du coup elle est restée sans voix. J'espère bientôt pouvoir lui faire un vrai calin, la serrer à nouveau contre moi, ma "Mutti".

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