Les traditionnels feux de la Saint-Jean se déroulent aux alentours du 24 juin, au solstice d'été. Mais dans certaines communes d'Alsace, les bûchers, souvent spectaculaires, se préparent des semaines en amont. Exemples.
Le solstice d'été, le 24 juin, est le jour le plus long de l'année, celui où le soleil est au plus haut. Depuis la nuit des temps, il est aussi marqué par de grands feux, allumés durant la nuit. Afin de prolonger la lumière et la chaleur solaires, au moment où, lentement, inexorablement, elles baisseront à nouveau en durée et en intensité, jusqu'au solstice d'hiver.
Cette pratique païenne ancestrale a été christianisée. L'Eglise a attribué la date du solstice d'hiver à la naissance du Christ, et celle du solstice d'été à son cousin, Jean-le-Baptiste, l'ermite du désert. Une manière de traduire symboliquement, à travers les phénomènes cosmiques, la parole de ce dernier qui disait de Jésus : "Il faut qu'il croisse, et que je diminue" (évangile de Jean, chapitre 3 verset 30).
Mais les brasiers marquant le solstice d'été n'en ont pas été délaissés pour autant. Ils ont simplement pris le nom du saint du jour. En Alsace, la tradition du "Johànnisfiir" ("feu de Jean") reste vivace dans de très nombreuses communes des deux départements.
Les anciennes croyances (nuit sacrée surnaturelle, feux aux croisements des chemins pour chasser sorcières et démons, rôle protecteur des fumigations) ont été peu ou prou oubliées. Mais l'esprit de fête, lui, est resté. Et les constructeurs de bûchers rivalisent d'imagination, parfois des mois à l'avance, pour que la fête soit belle.
Schirrhein-Schirrhoffen, un château et un spectacle
Le bûcher de Schirrhein-Schirrhoffen (Bas-Rhin) est déjà achevé, et très sophistiqué. Il représente un château, style Walt Disney, qui culmine à 14 mètres de hauteur.
Une quarantaine de pompiers "opérationnels et vétérans" a contribué à cette œuvre collective durant "cinq samedis de travail acharné" précise Gilles Metzler, président de l'amicale des pompiers. "Il y a les anciens qui aident beaucoup, et les jeunes qui suivent, pour que les traditions ne se perdent pas."
Mais ici, la tradition revêt une forme assez particulière. "Depuis plus de 10 ans, nos bûchers, on les utilise pour des spectacles son et lumière" explique Gilles Metzler. Des spectacles avec figurants, musique, vidéo-projection et feu d'artifice, auxquels le bûcher sert de décor avant d'être brûlé.
C'est la raison pour laquelle la structure doit être achevée largement en amont, "pour que ceux qui font le spectacle puissent s'approprier le terrain, voir comment régler les projecteurs et les animations 3D."
Côté originalité, l'amicale n'en est plus à son coup d'essai : "On a déjà fait un train, un phare, un avion, un arc de triomphe… plein de choses" raconte le président.
Jordan Sutter, le secrétaire de l'amicale, est "architecte et maître d'œuvre." En amont, il "schématise en détail le bûcher", puis réalise "des plans plus techniques" après validation par un petit comité d'experts, "des gens dans les métiers du bois."
Car côté sécurité, rien n'est laissé au hasard. "Notre spécialité, c'est l'empilement de rondins" précise Jordan Sutter. "Après, on ajoute des détails, des décorations, qui peuvent être réalisées en planches ou en bois plus fin." Il manque encore les décors annexes, "jardin féérique" et "forêt lugubre".
Le château est consolidé par "quatre mâts extérieurs, ancrés dans le sol à un mètre cinquante de profondeur." Et un "mât central" l'aidera à rester droit lors de la crémation, sans risque de le voir s'écrouler de manière anarchique. Car le 25 juin, après la soirée festive, le spectacle et le feu d'artifice, tout le bel édifice sera livré aux flammes.
Saasenheim, une création encore top secrète
A Saasenheim (Bas-Rhin), la construction du grand bûcher est bien avancée. Une structure insolite, mais on n'en saura pas plus pour l'instant.
"Le thème du bûcher est top secret. Personne ne le connaît, à part le comité restreint au montage" lâche Christophe Lachmann, président du FCS, l'association maître d'œuvre.
Un sigle trompeur, et à dessein. Il n'a rien à voir avec le ballon rond, mais désigne le "Frend Club Vo Saasa" ("club des amis de Saasenheim") qui, depuis quelques années, a succédé au club de foot pour créer des bûchers hors du commun.
A titre d'exemple : un château Disney en 2017, un colisée romain en 2018, un temple maya en 2020… Tous les espoirs sont donc permis pour une version 2022 surprenante. Car la joyeuse bande s'en donne les moyens.
"On a des charpentiers dans l'équipe, des maçons" raconte Christophe Lachmann. "On a démarré lundi dernier. C'est un mois de boulot. On travaille les week-ends, et tous les soirs, après le travail. Ce n'est pas fait en cinq minutes."
Mais s'adonner ainsi corps et âme à cette réalisation éphémère est pour eux un grand plaisir : "celui de se retrouver, de créer quelque chose ensemble. Et de refaire une belle fête." Avec dégustation de tartes flambées, pour prendre des forces avant de voir leur création partir en fumée.
Kruth, une "Fàckel" de quinze mètres de haut
Dans la vallée de la Thur (Haut-Rhin), les bûchers de la Saint-Jean sont appelés "Fàckel" (bûcher, ou torches), dont ils reprennent la forme élancée. En ce début juin, le "Fàckel" du village de Kruth, tout au bout de la vallée, est déjà presque terminé.
"Il manque juste la couronne" précise Mickaël Welker, le président de la classe des conscrits de 2004, chargés de sa construction. L'édifice aura quinze mètres de hauteur, "la limite maximale autorisée par la commune", et affiche quelques petites fantaisies : "un losange, et au-dessus, une coupole. Tous les ans, il y a autre chose" explique fièrement le jeune président d'à peine 18 ans.
Cette année, ils étaient une demi-douzaine à s'atteler courageusement à cette tâche. "On y travaille à six, depuis février, c'est un gros boulot" reconnaît Mickaël Welker. Mais un boulot extrêmement gratifiant : "Ça nous plaît, on rejoint nos copains, on se revoit."
Pour ces jeunes, cette activité est aussi une manière de s'inscrire dans une histoire locale bien plus ancienne. En devenant ainsi, à leur tour, maillons d'une longue chaîne. "Je connais les "Fàckel" depuis que je suis né, et mon père en construisait déjà" confie Mickaël Welker.
Il n'empêche. Il sait déjà que ce 25 juin, il vivra les feux de la Saint-Jean avec des sentiments mêlés. Même si c'est inéluctable, voir leur chef-d'œuvre livré aux flammes auxquelles il est destiné lui donnera "un pincement au cœur. On a mis tant de temps à le faire, et on le brûle" soupire-t-il.
Soultzbach-les-Bains, le franchissement du feu
A Soultzbach-les-Bains (Haut-Rhin), la particularité du bûcher n'est pas esthétique. Et il n'est pas encore construit. "Chez nous, c'est juste un gros tas assez conséquent de sarments de vigne", explique le maire de la commune, Jean Ellminger.
Ici, la prouesse est ailleurs. En effet, "à un moment donné, les conscrits sautent par-dessus le feu. Avec des chapeaux qui leur protègent la tête, et des foulards sur le visage" raconte le maire. Bien sûr, avec "toutes les mesures de sécurité" et en présence des pompiers.
"C'est un exercice qui demande du cran" reconnaît Jean Ellminger. Il est bien placé pour le savoir, car il l'a lui-même pratiqué dans sa jeunesse : "Je suis issu du village, et j'ai fait ça."
Tous les jeunes gens de seize à dix-huit ans sont concernés. Ils y participent "trois année de suite : la première année, on est apprenti, ensuite confirmé et à la fin on devient chef" précise encore le maire.
Cette tradition, très locale, "remonte à la nuit des temps". Autrefois, on racontait qu'elle avait une influence sur les futures récoltes, et sur la fécondité des couples du village.Son origine reste inconnue. Mais elle s'apparente manifestement à un rituel de passage à l'âge adulte, par lequel ces jeunes manifestent leur courage et leur virilité.