Utiliser des casques 3D pour prévenir les accidents du travail, c'est l'idée d’un ingénieur conseil de la Carsat (organisme de santé au travail), transformée en application par une entreprise alsacienne, spécialisée dans la réalité virtuelle. Le nouvel outil permet des formations sur mesure pour la grande distribution.
Depuis près de 10 ans, les organismes de santé au travail, caisse de retraite et sécurité cherchent le moyen de faire diminuer le nombre d’accidents du travail. Notamment dans un des secteurs les plus accidentogènes en France (avec le BTP), celui de la grande distribution. Grâce à la réalité virtuelle, la vie des 500.000 salariés de ce secteur devrait s'améliorer.
L'idée d'utiliser un casque de réalité virtuelle adapté au monde du travail émane d'un ingénieur de la Carsat, et a été mis au point par l'entreprise alsacienne HOLO3 Réalité virtuelle, basée à Illkirch-Graffenstaden, près de Strasbourg.
Il a fallu deux ans pour mettre au point cette application qui permet aux professionnels des grandes surfaces, de détecter, comprendre et éviter les accidents du travail.
"On est parti des statistiques d'accidentologies des organismes de santé au travail et d'entretiens avec des médecins, techniciens et autres spécialistes du secteur." expliquait Alain Bonnet, responsable technique de l'activité réalité virtuelle jusque fin 2022 chez Holo 3, "avec eux, on a établi 19 scénarios de risques".
Pierre-Yves Adam, l'ingénieur conseil à l'origine de l'idée, utilise désormais le casque de réalité virtuelle pour toutes ses formations. "Dans le secteur de la grande distribution, on dénombre 54 accidents pour 1000 salariés, quand la moyenne en France est de 30 sur 1000" souligne-t-il "c'est donc un milieu très accidentogène."
La réalité virtuelle dans la sécurité, c'est nouveau
Parmi les stagiaires, Eric Studer, directeur d'un supermarché de Rosheim dans le Bas-Rhin. Dans un des scenarios, il tient le rôle du poissonnier et doit pelleter 500 kg de glace sur son stand. Prise de conscience immédiate du poids et de la répétition des gestes : "Ce qui est très impressionnant avec la réalité virtuelle, c'est qu'on s'y croit vraiment. On se rend compte que les gens sont obligés de pousser un bac rempli de 500 kg de glace et qu'ils doivent la pelleter sur l'étal tous les matins. Chez nous, il y a peut-être même plus de 500 kg, on doit les déplacer avec des tire-pals. Alors une fois ça va, mais tous les matins, tous les jours, 300 jours par an, ça peut créer des troubles musculosquelettiques."
Pour Audrey Hausser, chargée de remplir les étagères avec des produits accessibles aux clients, l'exercice aussi est probant. "C'est très fidèle à la réalité. Je me suis retrouvée juchée sur une plateforme de mise en rayon. Impressionnant la prise de hauteur !"
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"Il a fallu une année pour établir tous les scénarios de risques et encore une année pour créer les contenus visuels et audios, les animations, les enchaînements et les avatars." précise le responsable technique chargé de ce projet. "Notre but est atteint quand on arrive à faire ressentir une émotion ou faire sursauter quelqu'un, grâce à une scène de réalité virtuelle. Ça signifie qu'il est possible de mettre employés et dirigeants en situation, et l'effet voulu est atteint."
Des améliorations à apporter dans les magasins
Dans son magasin de Rosheim, Eric Studer, a immédiatement pris des mesures pour améliorer le travail des équipes. Un de ses deux stands de poissons est déjà remplacé par un bac réfrigéré, qui nécessite beaucoup moins de glace. Au rayon des boissons, les lourds packs d'eau ne sont plus stockés à plus de 1,80 de hauteur, de sorte que les employés et les clients y accèdent sans difficultés.
"Au-delà de l'impact humain, l'aspect financier des accidents du travail n'est pas négligeable."
Pierre-Yves Adam, ingénieur conseil, Carsat Alsace-Moselle
La Carsat est un organisme de sécurité sociale et l'assureur social des entreprises. "Au-delà des incidences sur l'humain, l'aspect financier est aussi un enjeu très important." précise l'ingénieur conseil de Carsat Alsace Moselle. "Un accident mortel dans la grande distribution, c'est un coût d'environ 450 000 euros, imputé au magasin concerné, en terme d'assurance risque professionnel. Il y a donc des enjeux financiers, au-delà de l'enjeu humain, très importants pour l'entreprise et la sécurité sociale. D'où l'intérêt d'affecter l'argent au bon endroit, au bon moment, en prévention."
Les formations de prévention des risques professionnels, avec ces casques de réalité virtuelle, ont démarrées au mois de mai 2022. En six mois près de 500 employés, des managers de rayons, directeurs de magasins, décideurs régionaux et nationaux, les délégués syndicaux ont été formés.
Former les professionnels dès l'école
"Nous travaillons aussi très étroitement avec l'académie de Strasbourg pour les filières d'enseignement professionnel, sections vente et commerce" explique l'ingénieur Carsat, "pour que les mesures de prévention et bons réflexes soient enseignés dès l'école. Car chez les jeunes de 20 ans, on a 105 accidents pour 1000 salariés, alors que la moyenne française, tous âges confondus, est de 30 accidents pour 1000." Tout se joue donc au départ. Plus les jeunes seront formés tôt, moins il y aura d'accidents.
Dans ce but, 250 enseignants on déjà été formés et quatre stations de réalité virtuelle vont être déployées dans les lycées professionnels courant 2023 en Alsace et en Moselle. Les 118 000 euros nécessaires pour financer le logiciel ont été rassemblés par huit partenaires (des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail et tous les services de prévention et de santé au travail généralistes du secteur).
De son côté, l'entreprise illkirchoise est en train de développer d'autres applications 3D, adaptées à d'autres métiers. Elles permettront bientôt aux policiers, aux personnels d’équipage des avions et des bateaux de se former pour éviter les accidents et apprendre y faire face.
