Haut-Rhin : Le désamorçage d'une bombe de la Seconde guerre mondiale, le 23 février à Grussenheim, ravive les souvenirs des anciens du village

La bombe aérienne retrouvée fin 2021 à Grussenheim sera désamorcée ce mercredi 23 février. L'opération, d'envergure, nécessite de faire évacuer un vaste périmètre de sécurité autour du site. Mais elle fait aussi remonter le souvenir des bombardements d’il y a 77 ans.

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Début novembre 2021, une bombe aérienne américaine de la Seconde guerre mondiale a été retrouvée à Grussenheim, un village haut-rhinois de 800 habitants. L'engin de 250 kilos se trouvait sous une dalle d'un ancien hangar à tabac, en cours de démolition.

Sécurisé depuis sous un tas de sable, il sera neutralisé ce mercredi 23 février. "Contrairement aux obus, une bombe doit être désamorcée avant d'être déplacée" précise le maire de la commune, Martin Klipfel. L'engin est constitué de 125 kilos d'explosifs et de deux fusées. L'une, placée verticalement dans le sol et déjà examinée par les démineurs, "ne devrait pas poser beaucoup de soucis" assure le maire. La seconde, "à l'arrière, et encore enterrée" réservera peut-être quelques surprises.

Le poste de commandement sera installé dans la commune voisine de Jebsheim. Sauf complications, "a priori, tout sera fait à distance." Mais un périmètre de sécurité de 800 mètres sera aménagé autour du site. Tous les habitants de Grussenheim devront être partis avant 8 heures du matin, et les accès routiers et piétons vers le village seront fermés. 

Et cette journée particulière pour les Grussenheimois remet aussi en lumière certains épisodes de la guerre, que les plus anciens ont toujours gardés en mémoire.   

Deux jours de bombardement 

"Je me souviens que les bombes sont tombées, vers 9 ou 10 heures du matin. C'était le 23 et le 24 janvier 1945." Lucie, 93 ans, avait "15 ou 16 ans" à l'époque. Mais son souvenir est resté intact. "C'était une course folle, on ne savait pas ce qui était arrivé. Chacun avait une petite cave quelque part, on s'y est abrités."

Etienne Schwein, 14 ans début 1945, garde imprimée sur sa rétine la vision de maisons qui brûlent ou s’effondrent. "C’était le matin. On avait des bêtes, et je devais aider mes parents. Ma mère cuisait encore du pain. Et soudain, les avions arrivent, on ne s’attendait pas à ça : Ils mitraillent."

Pour lui, les images défilent toujours, et l’émotion est intacte : "A l’endroit où notre fille vit aujourd’hui, la maison s’affaisse sous les bombes. Puis une autre, dans le Schüelergässel (ruelle des Ecoles). Mon oncle vivait à côté, sa cour a brûlé, ainsi que celle d’Albert Obrecht."

La maison s'affaisse sous les bombes. Et une autre...

Etienne Schwein, 91 ans

"Et après, le deuxième jour, ils ont relancé des bombes." Etienne Schwein égrène très précisément les noms des habitants touchés : "Chez Husser Georges. Et en face, l’autre cour. Chez René et Louis, la maison s’est aussi effondrée, et l’étable et la grange ont brûlé… Ça brûlait dans tous les coins."

Selon Lucie, les bombardements du 23 janvier n'ont pas fait de victimes humaines. "Dans le voisinage, une bombe est tombée sur l'étable et toutes les bêtes ont été tuées." Le lendemain, en revanche, le village a dû compter ses morts, dont plusieurs voisins de sa famille.

Malgré la distance des années, les sensations éprouvées ce jour-là ne se sont pas effacées : "C'est seulement par la suite qu'on s'est mis à l’abri dans le bunker, à l'autre bout du village. A la fin, il y avait tellement de monde là-dedans qu'on devait rester debout."

Dehors, "il y avait des morts. Et beaucoup de neige, au moins 50 centimètres. Et il faisait froid."

Angélique Schwein, l’épouse d’Etienne, n’avait que 8 ans. Mais sa mémoire lui restitue ce qu’elle a ressenti "en ressortant de la cave", lorsqu'elle a vu que "la maison et la grange de ma grand-mère brûlaient."

Dehors, il y avait des morts. Et beaucoup de neige, au moins 50 centimètres. Et il faisait froid.

Lucie, 93 ans

Elle se remémore aussi un bombardement, où les membres de sa famille, "plutôt que de rester à l’intérieur, dans une maison qui risquait de s’écrouler" sont sortis "se coucher dans la neige en se recouvrant d'un drap blanc" pour tenter de passer inaperçus.

Moins d’une semaine avant la Libération

La commune de Grussenheim, intégrée à la "poche de Colmar", a été libérée moins d'une semaine plus tard, entre le 27 et le 29 janvier. Mais 80% du village avaient subi de gros dégâts. Et les derniers jours, la population n'avait plus de pain.

Avant les bombardements, "le boulanger faisait encore du pain" raconte encore Lucie. "Il fallait lui apporter la farine et ma sœur en prenait un sac pour se rendre chez le ‘Beck’." Mais "à la fin, ils ont aussi tiré sur la cheminée. Les derniers jours, il n'a donc plus pu en cuire."

Angélique Schwein se rappelle aussi des blessés, emmenés à Marckolsheim, puis en Allemagne pour y être soignés. Et qui, après la Libération, ont mis du temps à retrouver leur famille côté alsacien.

Les anciens de Grussenheim ne ressassent pas continuellement ces moments douloureux. Mais au minimum une fois par an, chaque dernier dimanche de janvier. "Il y a la fête de la Libération. Et alors on en reparle" explique Lucie.

Les maisons cassées, les trous, les fenêtres arrachées. On ne peut pas se l'imaginer si on ne l'a pas vu de ses yeux.

Angélique Schwein

"C’est comme un film qui se déroule à nouveau" renchérit Angélique Schwein. "Ceux qui ne l’ont pas vécu ne peuvent pas éprouver notre peur. On voyait les avions, on entendait les tirs et les explosions. Et après, les maisons cassées, les trous, les fenêtres arrachées. On ne peut pas vraiment se l’imaginer si on ne l’a pas vu de ses yeux."

Certaines bombes n'ont pas explosé

Etienne Schwein évoque aussi plusieurs bombes "qui n’ont pas explosé." L’une "tombée sur la route, devant nous." Une autre, dont on a su par la suite "qu’elle était dans un jardin." Et peut-être d’autres encore, "qui restent encore dans les champs."

L’opération de déminage de ce mercredi 23 février mobilisera une dizaine de services : préfecture du Haut-Rhin, mairies de Grussenheim et de Jebsheim, groupement de gendarmerie départementale du Haut-Rhin, service d'incendie et de secours du Haut-Rhin, direction départementale des territoires, centre interdépartemental de déminage, ARS (Agence régionale de santé) et CEA (Collectivité européenne d'Alsace). 

Etienne et Angélique Schwein passeront la journée chez leur fils, à Marckolsheim, loin du théâtre des opérations. Lucie, elle, se rendra dans la salle polyvalente de Jebsheim, qui accueille tous les habitants ne sachant pas où aller. L'occasion, pour elle, de retrouver des connaissances et "bavarder un peu."

Et puis, elle a bon espoir que ça ne durera pas trop longtemps. En 2005, le déminage d’une bombe similaire s’était déroulé sans encombre. "A 11 heures, on était de retour chez nous" assure-t-elle. Et ajoute, malicieuse : "Tant que ça ne fait pas boum, c'est bien."

La levée du dispositif, décidée au niveau du poste de commandement opérationnel, sera communiquée à la population via les réseaux sociaux (twitter et Facebook) ainsi que les sites internet de la préfecture du Haut-Rhin et de la commune de Grussenheim.

Dès ce moment-là, les habitants pourront regagner leur domicile, et les axes routiers seront rouverts.

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