"Il a déchiré le carter de ma voiture", quand les ralentisseurs de vitesse posent problème aux automobilistes

Trop hauts, hors-normes, ou bien mal positionnés, certains dos d'âne en milieu urbain posent problème. Un automobiliste alsacien a perdu une partie de son moteur. Certains ralentisseurs de vitesse sont jugés illégaux par des associations d'automobilistes qui se sont saisis de l'affaire.

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"Il est impossible de rouler même à 20 km à l'heure pour franchir ce dos d'âne. Je dois vraiment m'arrêter !" explique Gérard, un habitant du Haut-Rhin, victime d'une déchirure du carter de son moteur, en franchissant un des ralentisseurs du village d'Ammerschwihr. "Il a une hauteur hors normes et il est constitué de pavés anguleux et disjoints. Il se trouve dans la rue des Cigognes, et il y en a au moins un autre du même type dans le village."

Cet Alsacien n'a pas déposé plainte, mais il ne prend plus cette voiture pour passer à cet endroit ou passe ailleurs. "Je dois être au pas à la montée et à la descente, sous peine d'éclater la jupe avant de la voiture ou d'endommager des éléments de transmission du train avant. Les traces de frottement sur le revêtement à cet endroit parlent d'elles-mêmes."

Gérard n'est pas le seul à se plaindre des ralentisseurs trop hauts. Avec un angle d'attaque et une descente trop raide, plusieurs associations d'automobilistes se sont saisis de l'affaire.

Plus de 80 % des ralentisseurs seraient non conformes

"85 % des dos d'ânes en France, ne sont pas réglementaires" affirme Thierry Modolo-Dominati, fondateur et porte-parole de l'association "Pour une mobilité sereine et durable".

Les ralentisseurs en enrobés que les élus appellent "plateaux traversants" ou "plateaux ralentisseurs" sont en fait des ralentisseurs de type "trapézoïdal" non conformes. Ils sont interdits sur une voie de transport en commun et près d'un hôpital par exemple. Dans ce cas, la loi n'est pas respectée.

Sur 15 km de trajet, je me suis retrouvé subitement avec 29 ralentisseurs à franchir

Thierry Modolo-Dominati

Pour le porte-parole de l'association PUMSD, tout a commencé quand des ralentisseurs ont été implantés massivement chez lui. "Sur 15 km de trajet, je me suis retrouvé subitement avec 29 ralentisseurs à franchir." Suite à l'augmentation des accrocs et des accidents, il a créé une association de lutte contre ces surélévations excessives, non conformes et dangereuses par endroits. Aujourd'hui, il gère des dossiers dans toute la France.

Les caravanes, les remorques de véhicules professionnels et surtout les cyclistes et autres deux roues paient le plus lourd tribut. "Les cyclistes et motards sont parfois éjectés, certains font des vols planés contre des bus ou camions, avec des conséquences graves," précise Thierry Modolo-Dominati.

Cette éruption de ralentisseurs a en fait démarré dans les années 2000, avec la décentralisation et le transfert progressif de la gestion des routes aux communes et aux départements.

En mai 1994, sous Charles Pasqua, ancien ministre de l'Intérieur et Edouard Balladur, Premier ministre, un décret a été pris pour éviter les abus et fixer des règles pour la mise en place des ralentisseurs. En résumé, ils ne doivent pas dépasser 10 cm de haut, mesurer 4 mètres de long au maximum et ne pas être posés sur les voies de transports en commun ou à proximité des centres de soins et secours.

"Les modalités techniques d'implantation et de signalisation des ralentisseurs de type dos d'âne ou de type trapézoïdal doivent être conformes aux règles édictées en annexe du décret", précise ce texte de loi 1994.

"Les coussins berlinois rouges sont interdits depuis 2009 pour des raisons évidentes de danger," souligne Thierry Modolo-Dominati.

Qui décide de faire poser un ralentisseur ?

Le maire est le seul compétent et décisionnaire, dans le cadre de ses pouvoirs de police de la circulation, pour mettre en place des dispositifs de ralentissement sur sa commune et les routes départementales sur le territoire de sa commune. C'est souvent fait à la demande de ses administrés ou d'associations, demande qui doit se faire par écrit.

Pour le maire d'Ammerschwihr, Patrick Reinstettel, "il n'a pas connaissance de l'existence de ralentisseurs qui posent problème dans le village. L'ensemble du village est limité à 30 km/h, si les automobilistes respectent la vitesse, les dos d'âne ne posent aucun problème".

Dans son village, les ralentisseurs ont été posés avant 2014, il rappelle "qu'on ne peut pas mettre de cédez-le-passage au cœur du village historique. Il est important de faire ralentir la circulation avec tous les commerces et les croisements".

Pas un vrai ras-le-bol, mais de sérieux questionnements

Du côté de Mobilité club France, à Strasbourg, le porte-parole Yves Carra constate que beaucoup d'automobilistes s'interrogent sur la conformité de ces ralentisseurs et sur leur utilité. "Ils nous disent parfois qu'ils sont trop rapprochés et qu'en avoir quatre sur deux cents mètres ou sur de longues lignes droites, ne leur semble pas justifié."

Autre retour des citoyens, le bruit. "On a des riverains de ralentisseurs qui se plaignent du bruit. Même à trente ou quarante kilomètres heures, ça fait trop de bruit jusque chez eux dans les maisons."

"Par endroits ils ont l'impression de prendre des tremplins, ils aimeraient qu'ils soient tous conformes."

Yves Carra, Porte-parole Mobilité Club France

D'accord pour avoir un ralentisseur quand c'est justifié, aux abords d'une école ou d'un village, mais la démultiplication pose question, surtout quand ces installations sont non conformes et source de problèmes. Certains automobilistes constatent aussi qu’ils consomment davantage de carburant, parce qu'il leur faut d'abord ralentir et réaccélérer ensuite.

450 000 ralentisseurs installés en France

La France compte 450 000 ralentisseurs, dont plus de 80 % seraient non conformes. L'association PUMSD a commencé à aller en justice "car les discussions à l'amiable avec les maires n'ont pas abouti". Leur premier dossier devant un tribunal a été déposé en 2018, contre la métropole de Toulon qui compte 850 ralentisseurs. "Nous avons été déboutés par le Tribunal administratif, puis par la Cour d'Appel, car ils ne s'appuyaient pas sur le texte de loi officiel. Mais le Conseil d'État vient de rendre un arrêt le 24 octobre 2023, qui demande à la cour d'Appel de rejuger les dossiers en s'appuyant sur le décret de 1994."

Si le décret est respecté, nombre de ralentisseurs pourraient disparaître en France pour cause de non-conformité ou devraient être mis aux normes exigées par le texte de loi de 1994. Les élus n'auraient plus qu'à se conformer à la loi, sous peine de mises en demeure pour non-respect de la réglementation.

L’association a aussi assigné l’État en justice, devant le tribunal administratif de Paris, "pour la surpollution générée à chaque traversée de véhicule sur un ralentisseur " explique le fondateur de l'association. "Ces dos d'ânes engendrent une production de gaz à effet de serre et une pollution aux particules fines qui ont un réel impact sur l'atmosphère et ne répondent pas aux engagements pris par l'État, en matière de réduction de pollution." Nul doute que ces deux jugements sont très attendus et seront décisifs pour l'avenir des ralentisseurs.

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