La "petite année", douze journées très particulières entre Noël et l'Epiphanie pour prédire la météo

La période entre Noël et l'Epiphanie est un espace-temps singulier. Selon la tradition, les douze jours du 26 décembre au 6 janvier seraient un concentré de l'année à venir, permettant de prédire la météo. Autrefois, c'était aussi le moment de régler ses dettes, et de changer d'employeur.

Entre la naissance du Christ et la révélation de sa divinité par les mages, s'étend un intervalle temporel pas comme les autres : douze journées, qui débutent à la Saint-Etienne, lendemain de Noël, le 26 décembre, et se terminent à l'Epiphanie, le 6 janvier.

Six jours pour l'ancienne année, six pour la nouvelle, qui encadrent le passage à l'an neuf. Un entre-temps, dont la haute valeur symbolique a aussi des racines dans l'ère pré-chrétienne. Car cette période du solstice d'hiver, passant des jours les plus sombres à la promesse d'une lumière renaissante, a toujours fasciné.

En Alsace, ces douze journées sont surnommées "s'kleine Johr" ("la petite année"). Ou encore les "Loosdäij" ("jours du sort" – ou "jours du destin"). De nombreuses croyances populaires leur attribuent des pouvoirs particuliers. Selon différentes méthodes, elles permettraient de prévoir la météo pour l'année à venir.

Autrefois, en Alsace comme dans d'autres zones germaniques, elles offraient aussi l'opportunité de trouver un nouveau patron, ou un nouveau salarié. Et de régler enfin ses comptes avec ses créanciers.

Douze jours pour prédire la météo des douze prochains mois

 L'une des pratiques les plus courantes, qui a toujours ses adeptes, est de considérer que, d'un point de vue météorologique, chaque jour de la "petite année" correspond à un mois de l'année suivante. Ainsi, le 26 décembre 2021 équivaut à janvier 2022, le 27 décembre à février… et le 6 janvier 2022 à décembre 2022.

Durant ces douze jours, Jacqueline de Truchtersheim (Bas-Rhin) fait des relevés très réguliers. Une pratique héritée "de mes grands-parents, et de mes parents, aussi" explique-t-elle. "Je note ce qui se passe dans la journée, s'il pleut, s'il y a des éclaircies…"

Ses observations lui permettent de prédire le temps qu'il fera dans les mois à venir. "Ça ne se vérifie pas à 100%" reconnaît-elle. Mais très souvent, elle a le sentiment "qu'il y a quelque chose." Ainsi, elle se souvient que l'an dernier, fin décembre, "il ne faisait que pleuvoir. Et j'ai dit à tout le monde qu'on allait avoir une année pourrie."

Pour 2022, elle pronostique "un début d'année apparemment pas trop génial." Mais vu le beau soleil et la température clémente de ce 31 décembre, "pour l'instant, juin, et probablement juillet, ça devrait le faire."

L'an dernier, durant la "petite année", il ne faisait que pleuvoir. Et j'ai dit à tout le monde qu'on allait avoir une année pourrie.

Jacqueline

Violette, qui vit près de Marlenheim, est encore plus méticuleuse. Dans son cahier, chacune des douze journées est subdivisée en quatre tranches horaires : "de minuit à 6 heures, de 6 heures à midi, de midi à 18 heures et de 18 heures à minuit" correspondant aux semaines des futurs mois concernés.

Parfois, Violette va jusqu'à transcrire ses observations de demi-heure en demi-heure. "Je note chaque phénomène. Je relève tout, la pleine lune, tout" précise-t-elle. Un arc-en-ciel, un "épais brouillard", rien n'échappe à sa vigilance.

C'est une femme de ménage du musée alsacien, Emma, aujourd'hui décédée, qui a initié Violette à cette pratique. Puis des discussions avec des agriculteurs lui ont permis d'affiner sa démarche. Mais l'interprétation n'est pas toujours aisée. Car d'autres facteurs interviennent : "la direction du vent, l'hygrométrie, tout peut jouer. C'est assez compliqué."

Violette "note en rouge" tous les phénomènes qui l'interpellent. Et poursuit ses observations tout au long de l'année, afin de vérifier jusqu'à quel point ses conjectures se réalisent. "Je ne suis pas Madame Irma, je n'affirme jamais rien" explique-t-elle. "Mais dans mes cahiers, souvent, je constate que ça correspond." Du moins à un niveau très local.

La prédiction par les oignons

Rémy Gullung, un retraité de Hartmannswiller (Haut-Rhin), se passionne également pour ce type de prévision annuelle. Toutes les six heures, il relève la température, la force du vent et l'hygrométrie.

Mais pour un diagnostic plus affiné, il combine cette méthode à celle des oignons. Là, il faut commencer un peu plus tôt, dès la veille de Noël. Chaque 24 décembre au soir, Rémy Gullung épluche donc six oignons qu'il coupe en deux.

Il parsème chacune de ces douze moitiés – une pour chaque mois de l'année – d'un peu de sel, et va les déposer sur le rebord de la fenêtre, "le temps d'aller à la messe de Noël." Et quelques heures plus tard, les oignons ont dégorgé plus ou moins d'eau, annonciatrice de la future pluviométrie des mois correspondants.

Contacté ce 31 décembre par France 3 Alsace, Rémy Gullung n'a pas encore voulu révéler les résultats de ses observations combinées. Tout en promettant d'en dire plus dès le 7 janvier prochain.

Mais pour 2021, il avait vu juste. En prédisant "une année de rattrapage des déficits en eau des quatre dernières années avec un printemps pourri, un été mitigé avec un déficit d’ensoleillement et sans fortes chaleurs, un automne variable plutôt sec".

Il avait même vu juste pour la date du début des vendanges "vers le 13 septembre"

Le "jour du baluchon"

En Alsace et ailleurs, la "petite année" était aussi la période où se situait le "Bindelesdàà" (version bas-Rhinoise) ou "Bindalétag" (version haut-rhinoise) : le "jour du baluchon".

En clair : la journée où les salariés, ouvriers ou domestiques, pouvaient prendre leurs cliques et leurs claques pour se chercher un nouvel employeur. Cette journée permettant de rompre le contrat implicite avec un patron se déroulait souvent autour du 26 décembre.

Ce jour-là, les employés donnaient donc leur congé, réunissaient leurs maigres affaires dans un tissu, et partaient en quête d'un nouvel employeur. Avec l'espoir d'un salaire plus conséquent, d'une meilleure table ou d'un peu plus de chaleur humaine.

La tradition du "Kerbholz" ou "bois de comptage"

Cette période si particulière, au tournant de l'année nouvelle, était aussi le moment de régler ses dettes, ou de réclamer son dû, grâce au "Kerbholz" ("bois de comptage" ou "bâton à encoches"). Une méthode infaillible pour savoir qui devait combien à qui, bien avant l'invention des livres de compte.

Le "Kerbholz", c'était une longue planche ou un bâton, sur lequel on gravait quelques symboles. Chaque achat, ou chaque journée de travail méritant salaire, était matérialisé par une encoche. Puis on fendait le bois dans le sens de la longueur et chaque protagoniste en récupérait une moitié.

Le jour du règlement, les deux moitiés de bois étaient réajustées avec exactitude, ce qui permettait d'éviter toute triche. Et le débiteur payait ce qu'il devait.

Cette pratique, tombée en désuétude, a laissé des traces dans l'expression alsacienne "ebs uff em Kerbholz hàn" ("avoir quelque chose sur le bois de comptage" – autrement dit "avoir des dettes" ou "avoir quelque chose à se reprocher".

Traditionnellement, ces "jours du destin" étaient donc l'occasion unique de se libérer d'anciens passifs, et d'espérer des lendemains meilleurs. Une opportunité qui peut trouver écho jusqu'à aujourd'hui. D'autant plus si la météo - et le réchauffement climatique - s'en mêlent.     

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