La sécurité sociale de l'alimentation : tout savoir sur ce dispositif en plein essor

En pleine grogne agricole, c'est l'une des solutions proposées pour résoudre du même coup les problèmes de pouvoir d'achat des consommateurs et de rémunération des producteurs : la sécurité sociale de l'alimentation sera bientôt expérimentée en Alsace.

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D'un côté, il y a les consommateurs au budget alimentaire de plus en plus serré, mais qui souhaitent mieux se nourrir. Selon une étude IPSOS publiée en 2023, 55% des Français déclarent que manger équilibré coûte trop cher, plaçant toutefois le fait de « manger sain » en tête de leurs priorités, avant les critères plaisir et prix.

De l’autre côté, il y a ces agriculteurs désemparés, partis bloquer les autoroutes avec leurs tracteurs pour réclamer une rémunération décente de leur travail.

Et puis il y a ceux qui ont peut-être une idée pour permettre aux uns de mieux se nourrir tout en protégeant les conditions de travail des autres : la sécurité sociale de l'alimentation.

Porté depuis 2017 par des associations de solidarité et des agriculteurs, dont ceux de la confédération paysanne, le concept se veut calqué sur celui de l’assurance maladie qui permet à tous sans distinction d’accéder aux soins.

"Force est de constater que nous sommes aujourd’hui dans une impasse sur l’accès pour tous à une alimentation de qualité, sur la trop faible rémunération de beaucoup de producteurs et sur les impacts environnementaux de l’agriculture, explique Eloi Navarro, délégué général du groupe local « pour une sécurité sociale de l’alimentaire en Alsace ». Face à ces impasses, on ne peut plus laisser la concurrence décider des prix. Il faut réfléchir à la notion de démocratie alimentaire, en permettant aux consommateurs d’arbitrer – via leurs achats - en connaissance de cause sur les méthodes de production et les conditions de travail des producteurs".

Les consommateurs seraient en effet les principaux acteurs de cette sécurité sociale de l’alimentation. Comme sa cousine dédiée à la santé, celle-ci reposerait sur une contribution universelle, avec le même fonctionnement que les cotisations sociales. Chaque Français cotiserait, pour ainsi bénéficier de 150 euros par mois à dépenser pour son alimentation. "Par ce biais, il faut se réinterroger sur l’argent que l’on consacre pour bien manger", interpelle Eloi Navarro qui s’appuie sur l’évolution de la part du budget moyen consacré à l’alimentation, passé de 35% en 1960 à 21% en 2020, selon le ministère de l’Agriculture. 

Ces 150 euros, les familles ne pourraient les dépenser que dans des points de vente conventionnés par les consommateurs eux-mêmes. "Ainsi tout le monde pourrait avoir accès à une alimentation choisie, en ayant la main sur les producteurs et les méthodes de production ou de transformation de leur nourriture", précise Eloi Navarro.

Si on enlève la barrière financière, les gens choisiront peut-être des produits biologiques ou issus de l’agriculture raisonnée, et locaux quand cela est possible.

Romain Deiber, héliciculteur (Bas-Rhin)

Un coup de pouce pour mieux manger, et pour aider à garantir la pérennité des petites exploitations locales. "On nous dit que les gens n’ont plus d’argent pour bien manger", déplore Romain Deiber, héliciculteur (éleveur d’escargots) à Dachstein (Bas-Rhin) et secrétaire de la Confédération paysanne d’Alsace. "Si on enlève la barrière financière, les gens choisiront peut-être des produits biologiques ou issus de l’agriculture raisonnée, et locaux quand cela est possible", espère-t-il à travers ce projet auquel il croit.

 

Certains y verront sans doute une belle mais irréalisable utopie. "C’est vrai que c’est utopique, répond le porteur du projet en Alsace. Mais ça pourra marcher quand tout le monde y verra son intérêt : avoir accès à des produits plus sains pour les consommateurs, et avoir plus de débouchés pour les producteurs partenaires".

"Cela pourrait relancer l’attractivité pour notre métier, abonde Romain Deiber. Et quand un paysan s’installe sur un territoire, on voit en général quatre emplois se créer autour de lui. C’est bon aussi pour l’économie et le dynamisme de nos territoires" vante le producteur d’escargots bas-rhinois.

 

Déjà à Montpellier et Grenoble, bientôt en Alsace

C’est à l’échelle de petits territoires que déjà des expérimentations sont lancées, sur des modèles mutualistes. À Montpellier, depuis un an, les familles peuvent cotiser à une caisse alimentaire commune lancée par un collectif d’associations. Chaque adhérent verse le montant qu’il peut et perçoit 100 euros, quelle que soit sa contribution. Une somme à dépenser dans des magasins bio, des marchés et des producteurs en vente directe. Début février, la municipalité de Grenoble a voté l’investissement de1,4 million d’euros par an pour soutenir une initiative locale. D'autres projets fleurissent en région parisienne, en Nouvelle Aquitaine, en Bretagne, en Auvergne-Rhône-Alpes.

En Alsace, trois premières initiatives sont en cours de réflexion. Elles concerneront le nord de Mulhouse avec le quartier de Bourtzwiller, un groupement de communes du pays du Sundgau et le quartier Koenigshoffen à Strasbourg.

Les porteurs du projet n’ont guère eu de mal à embarquer la municipalité écologiste strasbourgeoise dans son projet. "On vit désormais dans le monde de Tricatel [référence au film « L’aile ou la cuisse » dénonçant la malbouffe et l’essor de l’industrie agroalimentaire], ironise Antoine Neumann, adjoint à la Ville en charge de l’alimentation et de l’agriculture. Dans l’Eurométropole de Strasbourg, on voit les cas d’obésité infantile et de maladies cardiovasculaires exploser. Il est urgent de repenser notre agriculture et notre rapport à notre alimentation."

Trop tôt pour définir les modalités précises de la mise en place de ce dispositif mutualiste à Strasbourg. "Mais ces expérimentations vont nous amener à réfléchir aux nouveaux liens entre paysans et citoyens. On le fait déjà à travers des groupements d’achat à destination des habitants des quartiers prioritaires qui ont peu de moyens : cela leur donne accès à des produits bio locaux", détaille Antoine Neumann.

Mais loin de lui l’idée de voir dans cette mutuelle de l’alimentation une nouvelle forme d’assistanat. "À travers ce dispositif, parce que les consommateurs seront acteurs en choisissant les points de vente qu’ils conventionnent, cela les amènera à réfléchir à ce qu’il y a dans leur assiette, mais aussi à l’impact de ce qu’ils mettent dans leur assiette sur le monde qui les entoure".  

Les premiers prototypes de cette sécurité sociale de l’alimentation devraient être expérimentés à partir de l’automne 2024 en Alsace.

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