Habituellement, la cueillette bat son plein en octobre, mais faute de pluie et en raison des températures élevées, les champignons ont déserté les forêts alsaciennes. Le naturaliste Lionel Juif nous explique comment le réchauffement climatique agit sur cette espèce.
Les amateurs de champignons, de plus en plus nombreux, attendent cette période de l'année avec impatience. Septembre, octobre, pour beaucoup, c'est la promesse de belles cueillettes. Et en Alsace, il y a de quoi faire : la région compte environ 5 000 espèces dont une soixantaine comestible. Oui, mais voilà, les sols sont secs. Il n'a pas plu depuis plusieurs semaines et il n'a jamais fait aussi chaud pour un début d'automne. Or, le champignon, s'il n'a pas d'eau, ne pousse pas. Pour sortir de terre, il a besoin d'humidité.
Lionel Juif est naturaliste. Dans le cadre de ses rendez-vous nature à l'Ecomusée d'Ungersheim, où il emmène des groupes sur le terrain, il a pu dresser ce triste constat : les champignons sont absents. Ou presque. Lors de sa dernière sortie, le 8 octobre, il n'a trouvé qu'une dizaine de champignons. En prospectant dans les forêts vosgiennes alentour, le naturaliste a fait le même constat accablant : il n'y a rien. Pourtant, nous dit-il, normalement, à cette époque, on trouve tous les champignons classiques de l'automne : russules, bolets, amanites, etc.
Pour nous, Lionel Juif démontre les mécanismes du réchauffement climatique et ses effets sur les champignons, en répondant à quelques questions.
Comment réagissent les champignons aux grosses chaleurs et aux sécheresses successives ?
"L'année dernière, en octobre, après un été sec et caniculaire, il y a eu une explosion de champignons lors d'un épisode pluvieux. Il y avait des champignons partout. On en a déduit que 2022 était une bonne année à champignons. En fait, non, ce n’était pas une bonne nouvelle pour cette espèce : en période de canicule et de sécheresse, le mycélium, la principale partie du champignon (qu’on ne voit pas parce que souterraine) est en recherche d’humidité. En ne trouvant pas d'eau, il subit un stress hydrique et s'épuise".
Les champignons sont tous sortis en même temps, en grand nombre et rapidement.
Lionel Juif, naturaliste
"À la faveur de quelques jours de pluie, le mycélium se gorge d'eau et émet des sporophores, la partie aérienne du champignon (et celle que l'on consomme), l'équivalent du fruit pour cette espèce. Là, en octobre, ils sont tous sortis en même temps, en grand nombre et rapidement, alors qu'habituellement, ils sortent progressivement".
"Après l'épuisement dû au stress hydrique, le champignon s'est épuisé une deuxième fois lors de l'émission de sporophores. Cette opération est en effet très énergivore".
Et en 2023 ?
"Cette année, en ce début d'automne et avec ce temps sec qui dure, on est dans la phase où le mycélium est en train de s’épuiser. Il ne trouve pas assez d'humidité et subit un stress hydrique. Au prochain épisode pluvieux, plus ou moins prévu à la mi-octobre, on risque d'avoir, comme l'année dernière, une explosion de champignons. Et donc, un deuxième épuisement".
Les champignons sont rabougris et émettent très peu de spores.
Lionel Juif
"On voit que, d'année en année, ce schéma tend à se répéter. Cela signifie que les champignons de nos forêts finiront par s'épuiser totalement. Il y a un risque de diminution, voire de disparition du mycélium sur la durée. Peut-être plus rapidement qu'on ne le pense".
"Autre conséquence du réchauffement climatique : les champignons sont rabougris et émettent très peu de spores. J’ai trouvé des bolets qui ne faisaient pas plus de 5 cm de haut alors que d’habitude, ils atteignent jusqu’à 20 cm. Or, plus ils sont petits, moins ils peuvent émettre de spores".
Avec le réchauffement climatique, voit-on apparaître de nouvelles espèces ?
"Oui, mais il faut relativiser les choses, c’est le milieu qui va évoluer et non le champignon. La plupart sont inféodés à des espèces d’arbres. Racines, rhizomes et mycéliums forment un réseau interconnecté, en interaction. Des variétés de champignons ne poussent qu’à côté de certaines espèces d’arbres".
"Le bolet des pins, par exemple, est inféodé aux résineux. La truffe ne se trouve presque exclusivement que sous les chênes. Ces champignons disparaissent avec la disparition des arbres auxquels ils sont inféodés. Dans les forêts vosgiennes, beaucoup de résineux sont malades, s’ils disparaissent, des champignons disparaîtront avec eux. A contrario, si de nouvelles espèces d'arbres arrivent, elles amèneront avec elles de nouveaux champignons".
C'est nouveau ?
"On a toujours connu des périodes avec des apparitions d’espèces, d’autres qui s’en allaient, mais jamais aussi rapidement que ces dernières années. Chez les oiseaux, les papillons, les libellules on commence à voir apparaître des espèces méditerranéennes. Le problème, actuellement, c’est la vitesse à laquelle les espèces doivent s’adapter".
Lionel Juif rappelle qu'en forêt privée, il est interdit de cueillir des champignons, sauf avec l'autorisation du propriétaire. Dans les forêts domaniales, c'est le code forestier qui s'applique. La cueillette est permise, mais limitée à cinq litres par personne, ce qui correspond à un panier de taille moyenne.
Le naturaliste organise régulièrement des rendez-vous nature. Le prochain est prévu le dimanche 15 octobre.