C'est un nom bien connu des amateurs de musique : Pleyel, le fabricant de pianos, revenu sur le marché l'an dernier après des années d'errance. C'est aussi celui d'Ignace, un compositeur d'origine autrichienne, de passage en Alsace au 18e siècle pour être maître de chapelle de la cathédrale de Strasbourg. Une histoire de succès (un peu) alsacienne.
Un piano Pleyel, c'est d'abord un son. Romantique, léger, typiquement français. C'est ce que vous dira Michel Cahn, responsable des ventes au sein du magasin Arpèges-Armand Meyer, à Strasbourg. "Lorsqu'on parle de Pleyel à un pianiste, ses yeux s'illuminent", dit-il. D'autant plus que la marque renaît depuis quelques mois.
Le groupe familial Algam, basé à Nantes, s'est lancé dans la fabrication de nouveaux pianos, aussi proches que possible des anciens, après la fermeture de la dernière manufacture Pleyel de Saint-Denis en 2013. "Ils ont gardé le pied caractéristique en forme de lyre", détaille le vendeur.
La création de cette manufacture date de 1807. A l'époque, Ignace Pleyel, compositeur d'origine autrichienne, décide de se lancer dans la fabrication de pianos, d'abord à petite échelle. Il s'est installé à Paris après la Révolution française, période durant laquelle il était maître de chapelle en la cathédrale de Strasbourg. Inquiété durant cette période mouvementée de l'histoire, on raconte qu'il s'en est sorti grâce à ses talents de musicien, après avoir composé L'Hymne à la Liberté en 1791, puis La Révolution du 10 août en 1793.
Un compositeur admiré par Mozart
Né en 1757 à Ruppersthal, en Basse-Autriche, le jeune Ignaz est vite repéré pour ses talents de musicien, et devient l'élève de Joseph Haydn. Mozart dit de lui qu'il est le meilleur d'entre tous : "Quel bonheur pour la musique !" En 1783, il part à Strasbourg pour prendre la direction de l'école de musique du Prince de Rohan, puis devenir maître d'orchestre de la cathédrale. Il pourra ainsi obtenir la citoyenneté française et être rebaptisé "Ignace". Pleyel habite quelque temps à Strasbourg, puis acquiert le château d'Ittenwiller, près de Barr, devenu aujourd'hui un domaine viticole. Populaire, on lui prête un rapprochement avec Rouget de Lisle - d'aucuns soufflent même qu'il serait le véritable compositeur de La Marseillaise !
A Paris, le facteur de pianos peine d'abord à vendre ses instruments, mais il est soutenu par des amis musiciens, comme Kalkbrenner ou Rossini. Son fils Camille, né à Strasbourg, se lance ensuite dans l'aventure avec lui. Le jeune homme est, lui aussi, un pianiste émérite, grand ami de Frédéric Chopin. L'entreprise familiale perfectionne, invente, dépose des brevets - Pleyel sera le premier à remplacer les cadres en bois des pianos par du métal, facilitant ainsi l'accordage. Le succès est au rendez-vous. "En l'an 1860, Pleyel a construit 3000 pianos, un record pour l'époque", relate Michel Cahn. "Il a fait mieux que les constructeurs anglais ou allemands !"
Pleyel renaît de ses cendres
L'histoire se poursuit, jusqu'à la crise de 1929, qui touche durement la manufacture. Au fil des années, un atelier ouvre dans le Gard, puis en région parisienne, avec une politique plutôt orientée vers la fabrication d'instruments d'exception, esthétiques, décorés par des stylistes. La stratégie ne s'avère pas gagnante. La manufacture de Saint-Denis disparaît, et avec elle le dernier facteur de pianos français. Mais les entrepreneurs nantais Gérard et Benjamin Garnier ne l'entendent pas de cette oreille. En 2017, ils reprennent l'entreprise et relancent peu à peu la fabrication de Pleyel, en Indonésie et en Allemagne, mais de conception française.
"Pleyel doit se refaire une place sur le marché", explique Yannick Bauer, gérant du magasin strasbourgeois Arpèges. "Mais c'est un peu une madeleine de Proust.. les pianistes ont ce son dans l'oreille qu'ils ont entendu souvent chez leur grand-mère, ou ailleurs, étant petit". Et puis, ces instruments-là sont moins onéreux que d'autres, de marque allemande, par exemple. Autre avantage.
Il est un piano Pleyel, au moins, qui n'a pas de prix en Alsace : le modèle double, exposé aux Dominicains de Haute-Alsace, à Guebwiller. Le fruit d'une donation effectuée il y a vingt ans. "Lorsqu'on regarde à l'intérieur, on peut voir une double table d'harmonie. Les deux claviers face à face permettent à deux musiciens de jouer simultanément, en se regardant. C'est une sorte de mini orchestre," explique Pierre Aubry, délégué général des Dominicains. Une rareté, accessible uniquement aux musiciens capables d'en jouer.