Le lithium, indispensable pour fabriquer les batteries, est un métal soluble. On en trouve même dans l'eau des puits géothermiques d'Alsace du Nord. Dès mi-septembre, des travaux de prospection vont commencer, afin d'identifier un site d'extraction optimal.
[Article mis à jour le 03/10/22 à la suite d'un message envoyé par un collectif d'habitants de Kuhlendorf]
Le lithium, excellent conducteur thermique et électrique, est indispensable pour produire des batteries de téléphones et de voitures électriques. On l'utilise aussi pour fabriquer du verre, ainsi que des produits chimiques et pharmaceutiques.
Ce métal est extrait de gisements miniers souterrains en Bolivie, au Chili ou en Australie. Mais, très soluble, il se retrouve également dans certaines eaux souterraines, puisées pour les besoins de la géothermie.
Dans les eaux géothermales du fossé rhénan, sa concentration est relativement élevée. Et une jeune entreprise basée à Bischwiller, Lithium de France, vient d'obtenir un permis de prospection sur environ 170 km carrés en Alsace du Nord, dans le but de repérer un site adapté à son extraction.
De mi-septembre à fin octobre, une forme d'échographie du sous-sol sera réalisée sur une première soixantaine de kilomètres carrés, dans le secteur de Betschdorf et Surbourg. La prospection d'autres zones suivra. L'objectif est de déterminer, d'ici mi-2024, le site de forage le plus intéressant destiné à faire remonter l'eau profonde, afin d'en récupérer à la fois la chaleur et le lithium.
Un métal alcalin comme le sodium
Au contact de l'eau, "le lithium se comporte de la même façon que le sel de table, il peut se dissoudre" explique Guillaume Borrel, directeur de l'entreprise Lithium de France. On en trouve même dans l'eau de mer, mais "en quantité et en concentration extrêmement faibles, et du coup il est difficilement exploitable."
En Alsace du Nord, ce métal est présent dans des roches volcaniques, un type de granit du sous-sol. Et les travaux de géothermie menés depuis plusieurs décennies ont permis de constater que les eaux géothermales avaient une teneur en lithium intéressante, "suffisamment élevée pour le rendre exploitable" précise Guillaume Borrel.
Un site de forage à trouver
Le projet est donc de trouver le site d'extraction idéal. Le 22 juin dernier, l'entreprise a obtenu un permis exclusif pour prospecter sur un territoire d'environ 170 km carrés "décomposé en quatre sous-zones". Sur la première de ces zones, 62 km carrés autour du secteur de Betschdorf et Surbourg, une première phase d'exploration commence mi-septembre, et durera jusqu'à fin octobre. L'idée est d'établir "une échographie en 3D du sous-sol".
Durant une vingtaine de jours, des mesures topographiques seront réalisées, avec l'installation de petits capteurs. Ensuite, durant dix jours, des camions vibreurs vont parcourir la zone en s'arrêtant à intervalles réguliers pour envoyer des vibrations dans le sous-sol et générer des ondes.
Guillaume Borrel assure que "toutes les mesures sont prises pour ne pas causer de dégâts" lorsque ces camions parcourront des zones habitées. Des distances de sécurité seront respectées, et par ailleurs, "la puissance des vibrations est moindre que celle d'un marteau piqueur, et ça va se faire rapidement : la durée du passage sur une zone équivaut à celle d'un camion-poubelle qui ramasse des ordures."
Suivront plusieurs mois d'analyses et de traitement des données. Puis dès l'été prochain, la zone de la Sauer fera l'objet de la même étude, avant celle de Morsbronn, et pour finir, celle de Niederbronn-Mertzwiller.
Des forages à moins de 2.500 mètres pour un double usage
"On s'apprête à faire une belle cartographie du sous-sol" se réjouit Guillaume Borrel. Lorsque l'emplacement idéal sera déterminé, c'est au second semestre 2024 que le forage des deux puits devrait commencer. Ils sont prévus sur une profondeur maximale de 2.400 mètres. On est donc loin des 5.000 mètres du site géothermique du groupe ES à Soultz-sous-Forêts, et surtout des 6.000 mètres de Fonroche, à Vendenheim, à l'origine de plusieurs séismes depuis 2019.
L'un des deux puits servira à remonter l'eau, afin d'en extraire son lithium, mais également ses calories. Car il s'agit de faire d'une pierre deux coups, et de permettre par la même occasion de chauffer des bâtiments industriels ou des serres agricoles dans un rayon d'une quinzaine de kilomètres.
Ensuite, l'eau sera réinjectée dans le second puits, avant d'être à nouveau puisée, en un cercle vertueux. "C'est un circuit fermé" précise le directeur de Lithium France. "Et ce n'est pas de l'eau de consommation, on est loin des nappes phréatiques."
Le précieux métal présent dans l'eau devrait être récupéré à l'aide d'une résine, qui fera office de filtre. "Ce sera comme une éponge sélective, qui ne va capter que le lithium, et ensuite, il ne restera plus qu'à rincer l'éponge" détaille Guillaume Borrel. Le procédé existe déjà pour d'autres applications, mais doit encore être affiné pour permettre de produire ce lithium avec le moins d'énergie carbone possible.
"On veut s'assurer dès le départ que le procédé qu'on met en œuvre sera effectivement celui avec le plus faible impact environnemental" assure le directeur de Lithium de France. "Ce sera une production nationale, et on estime à 80% la réduction du CO2 qui sera nécessaire."
Dans l'immédiat, le projet ne concernera qu'un seul site d'extraction. Il n'est pas question d'aller trop vite en besogne. "Pour l'instant, et c'est aussi une leçon retenue de Fonroche, on prend les choses les unes après les autres" explique Guillaume Borrel. "On va se concentrer sur notre première centrale, et faire les choses proprement. C'est aussi un devoir moral vis-à-vis de la population. On doit montrer qu'on sait travailler de façon correcte et propre, avant d'envisager la suite."
L'étape du raffinage
Une fois extrait, le lithium doit être raffiné. La solution liquide chargée en lithium doit être transformée en sel de lithium que les fabricants de batteries pourront utiliser. "Là aussi, des procédés innovants existent, que nous sommes en train d'évaluer" affirme Guillaume Borel. "D'autres sont plus classiques. Et de la même façon, on évalue leur impact environnemental, pour s'assurer qu'on reste dans la ligne fixée."
Dans l'immédiat, il n'est pas encore clair si ce processus de raffinage se déroulera sur le site de l'extraction, ou sera réalisé ailleurs – éventuellement du côté de l'antenne du port autonome à Lauterbourg, où une entreprise de raffinage pourrait s'installer. "Toutes les portes restent ouvertes" assure le directeur.
Des inquiétudes et des élus favorables
Lors d'une réunion d'information qui a rassemblé plus d'une centaine de personnes à Preuschdorf, samedi 10 septembre, certains habitants des communes concernées ont exprimé des craintes, concernant d'éventuels risques de fissures de leurs maisons suite au passage des camions vibreurs. Ou de séismes provoqués par ces futurs forages.
Selon les maires, la majorité des participants auraient obtenu les réponses aux questions qu'ils se posaient. Du moins jusqu'à nouvel ordre. Un avis loin d'être partagé par un collectif d'habitants de Kuhlendorf, selon qui cette réunion "a été houleuse, n'a rassuré ni convaincu personne" et pour qui "les habitants sont toujours hostiles au projet contrairement à leurs élus".
Concernant les risques liés aux vibrations, Christophe Schimpf, maire de Soultz-sous-Forêts, a été "convaincu" lorsqu'il a appris que des études similaires "ont été faites au centre de Genève, en Suisse." Et que "ça s'est très bien passé, sans retour négatif. J'imagine qu'ici, vu l'espacement de notre habitat, et notre type de sol, le risque est extrêmement limité" estime-t-il.
Le maire de Soultz-sous-Forêts a aussi apprécié le fait que les représentations de Lithium de France "sont allés à domicile chez chaque personne, chaque agriculteur" pour les avertir du passage d'un camion vibreur leur propriété. Et des indemnisations ont d'ores et déjà été promises en cas de dégradation de cultures.
"Je comprends les inquiétudes, et je soutiens toutes les questions posées" s'exclame de son côté Olivier Roux, maire de Surbourg. Pourtant, lui-même se dit "tout à fait favorable" à cette étude du sous-sol de sa commune : "L'exemple de Fonroche, c'est ce qui fait peur" rappelle-t-il. Mais c'est aussi ce qui va déclencher des éléments sécuritaires supplémentaires au niveau des règlementations en France."
Adrien Weiss, maire de Betschdorf, se dit lui aussi "extrêmement positif" par rapport à cette étude de sol. "Ce n'est pas fait dans l'improvisation" s'exclame-t-il. Comme ses collègues, face à "cette problématique de l'énergie qui devient de plus en plus rare et chère", il estime qu'il faut "au moins se donner la chance de trouver des solutions alternatives."
Les trois élus se sentent également rassurés par le fait que Lithium de France ait pris comme directeur technique pour la partie géothermique de son projet un ancien d'ES, Jean-Jacques Graff, qui travaille depuis plusieurs décennies sur les projets de géothermie en Alsace du Nord, et connaît le sous-sol de l'Alsace du Nord comme personne.