Parlementaires et associations mémorielles l'avaient demandé. L’histoire des incorporés de force durant la Seconde guerre mondiale ne sera finalement pas intégrée dans les manuels scolaires. Un document pédagogique est à disposition des enseignants, en ligne.
Il est disponible depuis le mois dernier. Un document de 7 pages relatant le destin des incorporés de force alsaciens-mosellans durant la Seconde guerre mondiale vient de faire son apparition sur la plateforme d’information et d’accompagnement des professeurs Eduscol. Une ressource pédagogique nouvelle pour expliquer l’histoire régionale qui ne satisfait qu’à moitié les associations mémorielles et les parlementaires alsaciens-mosellans. Certains avaient milité en novembre 2022 pour une mise en avant plus large, dans les programmes scolaires.
"C’est mieux que rien", réagit spontanément le député (LR) de la 7é circonscription du Bas-Rhin Patrick Hetzel, avant de tempérer, "ça reste quand même insuffisant".
Ce dernier fait partie des élus locaux qui ont interpellé à plusieurs reprises le ministre de l’éducation Pap Ndiaye sur la question. Courriers, discussions en dehors de l’hémicycle. "Ecoutez, vous devriez vraiment vous en préoccuper, ce n’est pas qu’un sujet technique, loin de là", a-t-il eu l’occasion de plaider. Sans franc succès.
Pas plus de réussite pour Emmanuel Fernandes, député (LFI/NUPES) du Bas-Rhin. Lui a adressé une question écrite au ministre en fin d’année dernière, dans laquelle il s’étonnait que "ce sujet lourd", "ne soit évoqué dans aucun programme d'histoire-géographie de l'enseignement secondaire".
De la mise au point historique à la reconnaissance politique
Trois mois plus tard, en guise de réponse, le gouvernement renvoyait au libre arbitre des enseignants, indiquant que "dans le cadre de leur liberté pédagogique, les professeurs peuvent tout à fait choisir d'évoquer le sort des incorporés de force alsaciens et mosellans".
"C’est un pas qui reste timide", juge Emmanuel Fernandes. Reconnaissant tout de même un document mis en ligne "assez complet". Allant de la mise au point historique "au total, 100.000 Alsaciens et 30.000 Mosellans, nés entre 1908 et 1927, sont incorporés dans la Wehrmacht ou la Waffen-SS.", peut-on lire, à la reconnaissance politique du drame venue de Nicolas Sarkozy en 2010.
« Je pense qu’il y a une forme de gêne, y compris dans notre région »
Emmanuel Fernandes, député (LFI/NUPES) de la deuxième circonscription du Bas-Rhin
Autant de données factuelles qui, malgré tout, ne valent pas une reconnaissance franche et assumée.
"Si on le met à côté des programmes ça veut dire que c’est accessoire. Le fait que le sujet ne soit pas encore intégré de plein droit dans les programmes scolaires provient à mon sens d’un cheminement qui n’est pas terminé pour ce qui est de la compréhension de ce qu’a été l’incorporation de force. Dans incorporation de force, il y a "de force" et je crois que ce sont ces deux derniers mots qui ne sont pas encore totalement compris hors de l’Alsace et de la Moselle".
"ce qui fait foi pour l'enseignant c'est le programme pas le manuel"
Frédérique Neau-Dufour, historienne
Un avis que partage en partie l'historienne Frédérique Neau-Dufour. "Cette mémoire de l'annexion n'a jamais été très bien intégrée dans la mémoire nationale. On a laissé cette histoire de côté et elle n'a pas trouvé sa place dans l'opinion". Mais l'ancienne directrice du Struthof va plus loin. "Je me demande si on place la question au bon endroit. Est-ce que c'est vraiment dans les manuels scolaires que ça se joue ? C'est un outil qui n'est pas systèmatiquement utilisé par les enseignants qui utilisent beaucoup d'autres ressources. Quant aux élèves, je ne suis pas certaine qu'ils vont feuilleter leur livre le soir chez eux pour leur propre plaisir. Le manuel est important mais l'enjeu est surtout de savoir comment ce thème de l'annexion et des incorporés de force peut trouver sa place dans l'enseignement."
"Le combat continue "
"Il faut continuer à travailler sur le sujet », insiste Patrick Hetzel. « Parce qu’aujourd’hui l’éducation nationale considère que c’est un fait d’histoire régionale, ce qui n’est pas le cas. C’est un fait d’histoire nationale".
Pour ce dernier, "cette histoire a dérangé dans le passé" mais "les choses ont évolué depuis", assure-t-il. "Je pense qu’aujourd’hui il y a de la méconnaissance sur le sujet. Quand on a affaire à des parties d’histoires qui ont, à un moment donné, été oubliées volontairement, les faire ressurgir est un peu compliqué".
Les députés l’assurent. Il va falloir continuer à militer, "interpeller le ministre" mais également l’inspection générale de l’Education nationale pour obtenir davantage. Passer de ce "pas timide" à un bond de géant.