Moins haute et plus productive, cette houblonnière expérimentale devrait mieux résister aux changements climatiques

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Sujet Rund Um en alsacien sous-titré ©France Télévisions

C'est l'année de la première récolte dans la houblonnière-test du lycée agricole d'Obernai. Véritable parcelle-test, le houblon y est cultivé avec des méthodes différentes qui devraient l'aider à mieux s'adapter à l'humidité et à la chaleur excessives, sans perte de rendements.

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A première vue, devant cette houblonnière expérimentale, l'oeil non averti ne perçoit pas vraiment de différences. Pourtant, pour les spécialistes du lycée agricole, cette "houblonnière de rupture" - qui marque de réelles ruptures avec des habitudes bien ancrées - cumule plusieurs paramètres inédits.

Premièrement sa hauteur : 6 mètres, au lieu des 8 mètres habituels. Un quart de longueur de moins, donc, tant pour les lianes de la plante que pour la structure de support, gros mâts de bois et câblage. L'objectif est d'offrir ainsi moins de prise au vent. Car de forts coups de vent parviennent à détacher certaines lianes de leur support aérien. "Alors les rameaux latéraux cassent, se brisent et sèchent, et on n'en fait plus rien, explique Freddy Merckling, directeur d'exploitation au lycée agricole. Et plus il y a d'effets du vent, plus c'est terrible."

Ces dernières années, en Alsace, des mini-tornades locales d'une force inédites ont jeté plusieurs houblonnières à terre, créant un enchevêtrement irrécupérable de lianes et de câbles. Une perte sèche, et des semaines de travail simplement pour tout démêler et nettoyer le terrain. "D'où l'idée d'une houblonnière de 6 mètres de haut, au lieu de 8. Si ça fonctionne, on le verra."

Quatre lianes par pied

Autre nouveauté : le nombre de lianes par pied de houblon. Chaque printemps, chaque pied produit plusieurs jeunes pousses. Traditionnellement, on en garde trois, entortillées à la main autour d'un support, fil de fer ou, comme au lycée agricole, fibre de coco.

Ce sont ces trois pousses qui, en quelques mois, donnent une longue et solide liane qui, à la fin de l'été, finit par s'accrocher aux câbles horizontaux tout en haut de la structure. "C'est le modèle standard : un pied pour une liane de 8 mètres de haut", résume Freddy Merckling.

Mais dans ce nouveau concept, un seul pied fournit... quatre lianes. Chacune constituée de trois pousses entrelacées. "On exige donc beaucoup plus du pied : 4 lianes, au final, ça lui fait 4 x 6 mètres, c'est-à-dire 24 mètres, au lieu des 8 mètres habituels. On lui demande trois fois plus."

Chaque plant a beaucoup plus d'espace

Mais en échange de cette exigence accrue, chaque plante de la "houblonnière de rupture" a davantage de place, et bénéficie donc de plus d'éléments nutritifs tirés du sol. Ici, les rangées sont plantées à 3,30 mètres de distance, contre 2,75 habituellement. Et par rangée, les pieds sont espacés de 3 mètres, contre 1,20 dans la houblonnière traditionnelle.

"Comme on veut que le pied alimente quatre lianes, il a besoin de plus d'espace autour de lui pour puiser suffisamment d'énergie dans le sol, nécessaire à sa croissance, insiste le directeur d'exploitation. Ceci devrait aussi le rendre plus fort et plus résistant. On verra si le concept fonctionne."

L'idée de renforcer ainsi le pied est de le rendre plus apte à résister à de futurs climats extrêmes, grosse chaleur ou forte humidité. Et, parallèlement, de l'aider à mieux contrer les attaques du mildiou, et lui assurer une meilleure longévité.

La récolte ne pose pas de problème

Dans la houblonnière-test, la manière de récolter diffère aussi. D'ordinaire, la machine coupe coupe une liane à la base tous les 1,20. Là, tous les 3 mètres, elle doit en couper deux, très rapprochées, puis faire demi-tour en bout de rangée pour couper les deux autres. Mais malgré quelques craintes en amont, cette première récolte ne semble pas poser de problèmes.

"Les réglages de la machine sont les mêmes, liés à la vitesse d'avancement, précise Maxime Ott, le technicien qui pilote l'engin. Comme les lianes sont plus courtes, il y a plus de poids vers l'avant, donc je recule le tapis durant la charge, mais il n'y a pas de problème particulier. On s'inquiétait un peu (...) mais ça fonctionne bien."

Un travail simplifié

Une chose est sûre : cette houblonnière d'un nouveau genre rend le travail plus agréable, car elle permet de se baisser moins souvent. "Au printemps, devant chaque pied, il faut s'agenouiller pour tortillonner les jeunes pousses autour du fil" détaille Freddy Merckling.

Dans une houblonnière normale, vous avez un pied tous les 1,20 mètre. C'est donc un travail très physique : durant sept à huit heures, à genoux, debout, à genoux debout..."

Mais ici, en une seule génuflexion, on prépare quatre lianes d'un coup. "C'est beaucoup pour un seul mouvement. Et ensuite vous vous levez, et vous avancez de trois mètres avant de remettre un genou à terre. Ça soulage vraiment. Au printemps dernier, tous nous ont dit que c'était beaucoup moins fatigant."

Des filets et des arbres

D'autres paramètres interviennent également dans l'expérimentation. La "houblonnière de rupture" est partiellement couverte d'un filet, du type déjà utilisé par les producteurs de pommes. L'objectif est de protéger les plantes contre la grêle, mais également contre la brûlure du soleil. Car un certain pourcentage de fils sombres (17%, ici) a été tissé dans la toile afin d'atténuer la luminosité. Il s'agira, à terme, de trouver le bon équilibre entre besoins en lumière et nécessaire protection contre des rayons trop ardents.

"On a aussi installé un système d'irrigation, qui permet de rafraîchir la plantation avec un goutte à goutte" précise Véronique Stangret, responsable du service d'expérimentation du lycée. "Mais 2024 est une année atypique, avec beaucoup d'humidité. Donc ce système n'est pas adapté cette année."

Par ailleurs, des arbres ont été plantés en bordure de la houblonnière. "Ils sont encore petits, même s'ils ont bien poussé. Là, on attend des résultats à moyen et long terme, explique Véronique Stangret. "On teste là un système agro-forestier, dont l'objectif est de modifier le climat de la parcelle. On associe le houblon à des arbres pour lui apporter de l'ombre, de la fraîcheur et de l'humidité quand il fait chaud."

Cinq ans renouvelables

L'expérimentation de cette "houblonnière de rupture" est prévue pour une première période de cinq ans, renouvelable. En effet, il faudra du temps pour analyser l'ensemble des paramètres. D'autant plus que les années ne se ressemblent pas, et que ce printemps-été 2024, particulièrement pluvieux, ne permet aucune conclusion hâtive. Chaque année donnera des réponses différentes, qu'il s'agira de mettre en perspective.

A priori, malgré un plus grand espace entre les pieds de houblon, il ne devrait pas y avoir de perte de rendement, bien au contraire. Il suffit de sortir sa calculette. "Une houblonnière classique compte 2700 pieds avec une liane de 8 mètres" explique Freddy Merckling. Soit 21600 mètres de lianes. "Ici, ce sont 1350 pieds, avec chacun quatre lianes de 6 mètres", soit 32400 mètres de lianes.

Cependant, à cause de la robustesse inédite de leurs pieds, certaines variétés ont produit cette année énormément de feuilles et moins de cônes (des fleurs, en réalité). "Or ce qui nous intéresse, ce sont les fleurs" rappelle le directeur d'exploitation. Il faudra donc voir si le phénomène se reproduit lors d'années plus chaudes et sèches.

En revanche, il semble déjà clair que la "houblonnière de rupture", si elle se généralise, sera moins chère à l'installation. "Les poteaux sont plus bas. Et une structure qui a seulement 6 mètres de haut nécessite un système d'ancrage moins solide." Ce qui pourrait permettre quelques substancielles économies... à vérifier.

"Aujourd'hui, on ne sait pas quelle sera réellement l'évolution du climat, ni celle du pied de houblon si le climat change, conclut Freddy Merckling. Tout reste une hypothèse. C'est pourquoi cette parcelle est là, pour tester et analyser tout ce qui va arriver. Et peut-être qu'on se plante complètement."

Le lycée agricole d'Obernai produit du houblon bio sur 33 hectares. La "houblonnière de rupture" en fait partie. Après la récolte, il faut immédiatement cueillir les cônes, c'est-à-dire les détacher des lianes, puis les sécher à 60-65° durant plusieurs heures dans de grands séchoirs pour assurer leur conservation, avant de les stocker dans des ballots de 62 kg. Ces derniers sont ensuite récupérés par la Cophoudal, la coopérative houblonnière alsacienne, qui se charge de la transformation ultérieure et de la commercialisation.

 

 

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