Stocamine : le confinement définitif des déchets annoncé par le ministère de la Transition écologique

Le dossier très sensible de Stocamine est sur le point de franchir une nouvelle étape. Un nouvel arrêté, annoncé pour septembre, devrait relancer les travaux d'enfouissement définitif.

C'est un nouveau rebondissement dans le dossier des déchets hautement toxiques entreposés dans les anciennes mines de potasse de Wittelsheim (Haut-Rhin). Et peut-être le dernier, après deux décennies d'atermoiements et d'innombrables revirements. 

Le 26 juillet, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a annoncé aux élus locaux concernés qu'une fois encore, l'Etat se prononçait pour le confinement définitif de ces 42 000 tonnes de déchets. Un décret en ce sens devrait paraître en septembre.

Dans le sous-sol alsacien, à environ 550 mètres de profondeur, en dessous de la nappe phréatique, reposent plus de 66.000 "colis" d'amiante, de mercure, de chrome, de cadmium, d'arsenic et de cyanure, entreposés là entre 1997 et 2002.

Avec un risque de plus en plus grand d'être, tôt ou tard, touché par l'eau de la nappe phréatique, ce que dénoncent depuis des années les élus et les associations. Mais les préconisations diffèrent. Les défenseurs de l'environnement ont toujours milité pour le déstockage, alors que depuis des années, l'Etat opte pour un enfouissement définitif.

Rappel des dates-clés

  • En 1997, la mine de potasse de Wittelsheim, en fin de vie, est convertie en une "mine au service de l'environnement" afin d'y stocker 320 000 tonnes de déchets dangereux non radioactifs. L'autorisation d'exploitation est accordée à la société MDPA (Mines de potasse d'Alsace) dont le seul actionnaire est l'Etat.
  • En 2002, un incendie souterrain interrompt l'achèvement du projet, mais 44 000 tonnes de déchets sont déjà entreposées au fond de la mine. Depuis, les études s'accumulent sur les solutions possibles, et leurs dangers potentiels. Vaut-il mieux ressortir tous ces produits toxiques, au risque de devoir les manipuler, et les entreposer ailleurs ? Ou les enfouir sur place, au risque de contaminer la plus grande nappe phréatique d'Europe, qui s'étend par-dessus ?  
  • En 2012, l'Etat opte pour un enfouissement définitif, mais ordonne le retrait de 56% des déchets contenant du mercure, puis 93% de ces derniers en 2014. Mais les élus locaux et les associations exigent toujours un déstockage plus important.
  • En mars 2017, un arrêté préfectoral autorise l'enfouissement de 42 000 tonnes de déchets pour une durée illimitée. Alsace Nature décide de porter l'affaire devant la justice.
  • En janvier 2019, le ministre de la Transition écologique et solidaire François de Rugy (LREM) évoque la poursuite du chantier de confinement, puis annonce le mois suivant une nouvelle étude sur la faisabilité d'un déstockage partiel.

  • En janvier 2021, après s'être rendue sur place, Barbara Pompili, nouvelle ministre de la Transition écologique, tranche en faveur du confinement définitif, dans du béton, malgré la colère des élus locaux et des associations écologistes qui réclament le retrait d'un maximum de déchets toxiques.
  • Le 15 octobre 2021, Alsace Nature, soutenue par la jeune CEA (Collectivité européenne d'Alsace) remporte sa première victoire juridique. La cour administrative d'appel de Nancy annule l'arrêté qui autorisait l'enfouissement de déchets "pour une durée illimitée", à quelques jours du début des travaux. Les magistrats estiment que l'Etat n'a pas présenté les garanties financières nécessaires pour éviter tout risque de pollution de la nappe phréatique. Pour poursuivre dans ce sens, l'Etat devra produire un nouvel arrêté préfectoral après avoir procédé à toutes les démarches administratives et consultations de la population nécessaires.
  • En janvier 2022, un nouvel arrêté autorise des travaux préparatoires à un enfouissement des déchets, notamment la réalisation de barrières de confinement et le remblayage du bloc 15, l'une des galeries de la mine. Argument principal : l'urgence d'agir, vu que les galeries se dégradent.
  • Le 10 mai 2022, les travaux commencent.
  • Le 25 mai 2022, le tribunal administratif de Strasbourg suspend les travaux, se rangeant derrière les arguments d'Alsace Nature et de la CEA, qui estiment que certaines des opérations prévues ont un aspect définitif et irréversible. L'Etat formule une nouvelle requête, au titre de l'urgence, en évoquant la dégradation de l'état de la mine.
  • Le 12 janvier 2023, le tribunal administratif de Strasbourg confirme la suspension des travaux préparatifs ordonnée dès fin mai 2022.
  • Le 26 juin 2023, la commission d'enquête publique mandatée par l'Etat en vue de la réalisation d'un nouvel arrêté émet un avis favorable à l'enfouissement.
  • Le 26 juillet 2023, Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, annonce pour septembre la parution d'un nouveau décret en faveur du confinement définitif des 42 000 tonnes de déchets toxiques. 

Le maire de Wittelsheim résigné

Parmi les élus reçus au ministère, le maire de Wittelsheim, Yves Goepfert, longtemps défenseur d'une solution de déstockage des déchets et opposé à l'idée d'un enfouissement irrémédiable. En 2021, il confiait encore à nos confrères de l'Alsace que "tout laisser au fond, ça voudrait dire définitivement qu'on ne peut plus avoir confiance envers la classe politique quelle qu'elle soit."

Mais aujourd'hui, il se résigne, par pragmatisme. En effet, selon lui, le temps est compté. Et le dossier doit avancer, quelle qu'en soit l'issue. Car durant ces vingt années de recherches de solutions et de batailles juridiques, certaines galeries, creusées dans des couches instables, ont commencé à s'affaisser, et rendent les manœuvres de plus en plus compliquées au fil des ans.

En outre, si rien d'autre n'est décidé d'ici-là, il craint l'échéance de 2027, année de la fin de la concession minière, et des prescriptions de sécurité et de surveillance qui y sont liées.

"Le temps nous est contraint, c'est bien aujourd'hui le principal problème, a-t-il expliqué ce 27 juillet au micro de France 3 Alsace. "Ne rien faire, c'est la pire des solutions. On avance vers 2027 à grands pas, et ça rendra vraiment impossible la descente des personnes."

Lors de sa réunion avec les élus, Christophe Béchu aurait cependant laissé la porte ouverte à d'autres solutions, du moins partielles. "Effectivement, des solutions alternatives nous ont été présentées, qu'il va falloir améliorer" raconte Yves Goepfert.

"Il ne m'appartient pas de dévoiler tous les sujets. Je laisserai au ministère le fait de décliner toutes les propositions en détail. Elles sont très techniques."

Ne rien faire, c'est la pire des solutions.

Yves Goepfert, maire de Wittelsheim

L'une des grandes préoccupations, relayée depuis des années par les défenseurs de l'environnement, est que de l'eau de la nappe phréatique risque de s'infiltrer vers les déchets entreposés plus profondément, et cette eau pourrait contaminer le sous-sol. L'objectif serait donc de sécuriser l'ensemble par des sortes de "bouchons" étanches, et d'installer des systèmes pour pomper ces infiltrations d'eau à l'avenir.

"La première chose, aujourd'hui, c'est de retarder au maximum l'arrivée d'eau dans le stockage, estime le maire de Wittelsheim. Donc il est urgent de faire ces bouchons en béton pour gagner du temps. C'est la première mise en sécurité à faire. Ensuite, il faut très bien surveiller l'évolution du noyage de la mine. Evidemment." 

Alsace Nature retourne au combat

Mais pour Alsace Nature, le combat n'est pas terminé, loin de là. L'association de défense environnementale vient de lancer, le 17 juillet dernier, une cagnotte en ligne destinée à financer une contre-expertise scientifique indépendante.

"Aujourd'hui, l'élément de langage de l'Etat, c'est de dire qu'après 2027, il n'y aura plus moyen de descendre dans la mine. Nous, on est persuadés du contraire", martèle Stéphane Giraud, directeur de l'association.

"Donc on demande une étude qui ne soit pas partisane, pour démontrer qu'on peut faire autrement que simplement laisser ce cadeau empoisonné aux générations futures."

On demande une étude qui ne soit pas partisane pour ne pas laisser ce cadeau empoisonné aux générations futures.

Stéphane Giraud, directeur d'Alsace Nature

Concernant les risques d'effondrement de certaines galeries, il en rejette la responsabilité sur l'Etat. "C'est parce que la mine n'a pas fait l'objet d'entretien depuis 7 ans, ce qui est intolérable. Il faut sans doute investir de l'argent pour la renforcer. Tout ça est faisable."

"Aujourd'hui, on est face à un problème économique, pas à un problème technique, ajoute-t-il. Quand il y a une volonté politique, il y a un chemin. Si on n'est pas capable de protéger l'eau, élément vital pour tout le monde, on ne sera pas capable de faire la transition écologique."

Avec cette contre-expertise indépendante qu'elle appelle de ses vœux, Alsace Nature espère encore pouvoir empêcher ce confinement définitif, en obtenant une victoire juridique en cour d'appel.

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