Témoignages. Présidentielle : avec le record historique de créations d’entreprises, près d’un million en France en 2021, comment soutenir celles et ceux qui prennent des risques pour créer leur propre activité ? Nous avons rencontré des Alsaciens qui ont tenté l'aventure.
A trois semaines de l'élection présidentielle, parlons des choses qui vont bien. La France a connu un record en terme de créations d'entreprises l'an dernier : +17% de plus qu'en 2020. L’Alsace partage cette bonne dynamique avec plus de 13.000 nouvelles sociétés en 2021, soit une évolution de 15,4%.
Dans la région, ce sont surtout des hommes entre 30 et 55 ans qui se lancent dans l’aventure. Si au niveau national, 4 femmes sur 10 deviennent entrepreneures, en Alsace, elles ne représentent encore que 26,3 %.
Les organismes d’aide à la création d’entreprises ont encore un vrai travail à opérer pour que les femmes osent franchir le pas.
Je me suis intéressée à ces femmes qui se lancent dans entrepreneuriat. J'ai rencontré Sabrina Fischer, DRH pendant onze ans dans la même PME. Elle a été licenciée il y a deux ans pour raison économique. A 38 ans, elle s’est dit que c’était le moment où jamais de se lancer dans un projet qui lui tenait à cœur : créer un concept store, une boutique avec des objets chinés. Mère de deux enfants de 6 et 9 ans, Sabrina a pu compter sur le soutien de son mari pour monter son entreprise.
Jusqu’à mon licenciement, juste avant l’apparition du Covid, je me voyais passer toute ma vie dans la même entreprise
Sabrina Fischer, co-gérante de Grenad'in
"Jusqu’à mon licenciement, juste avant l’apparition du Covid, je me voyais passer toute ma vie dans la même entreprise. J’ai lancé le projet seule. Au début, Pôle emploi propose un suivi renforcé après un licenciement économique. J’avais un entretien mensuel avec ma conseillère. Je savais ce que je voulais faire. Elle m’a orientée vers une formation dispensée par l’organisme BGE, spécialisé dans l’élaboration des business plans" témoigne Sabrina Fischer, co-gérante de Grenad'in.
A cause de la pandémie, son projet prend un an de retard. Au cours de ses démarches, elle se rend compte de la lourdeur de la tâche qui l’attend et trouve une associée dans le même état d’esprit qu’elle, Véronique Kuenemann. "On s’est connues à la salle de sport, on mangeait ensemble, j’ai parlé de mon licenciement et un jour elle m’a fait un appel du coude car elle est très créative."
"On s’est posées la question de la localisation de notre commerce", explique Sabrina Fischer. "Comme nous avions peur des charges trop lourdes à Mulhouse et Colmar, on s’est naturellement orientées vers les petites villes dynamiques." Elles trouvent un local de 120m2 à Guebwiller (Haut-Rhin) et participent au concours « Mon centre-ville a un incroyable commerce », porté par la Ville.
"On est arrivées 2e du concours, et cela nous a permis d’obtenir un suivi renforcé de la Chambre de Commerce et d’Industrie pendant au moins six mois. Deux conseillères nous ont orientées vers des comptables, nous ont données des conseils dans les domaines de la communication, du numérique, des études du bail, bref tout ce à quoi il fallait penser jusqu’à l’ouverture."
Grâce à ce concours, les deux créatrices d’entreprise se font repérer par le Crédit Agricole de Soultz (Haut-Rhin) qui accepte leur demande de prêt. Leur financement est assuré à hauteur de 80% par l’organisme Alsace Active. Elles ouvrent leur magasin, Grenad’in, le 10 décembre 2021.
Bilan positif au bout de quatre mois d’ouverture
Pour se faire mieux connaître, les deux associées proposent un service de relais colis depuis janvier. Et organisent des ateliers créatifs et des goûters d’anniversaire pour les enfants. Diversifier pour résister, c’est aussi l’une des clés de la réussite. Même si le rythme des journées est soutenu, les deux comparses n’éprouvent aucun regret de s’être lancées et prennent du plaisir. "Travailler ici au magasin, c’est notre vie, on est chez nous, on profite, en le partageant à tout le monde", conclut Véronique Kuenemann.
Mieux accompagner les nouveaux entrepreneurs
Sabrina et Véronique reconnaissent que beaucoup d’aides sont mises en place en France pour oser se lancer dans la création d’une entreprise. Mais quand le dossier est prêt à être bouclé, se pose la question de savoir dans quel ordre faire les choses.
"A quel moment on doit s'immatriculer, signer le prêt ? Vu qu'on a plusieurs interlocuteurs et que les organismes n'attendent pas les uns sur les autres, c'est le jeu du chat qui se mord la queue. Tous les entrepreneurs avec qui j'en ai parlé m'ont dit : bienvenue en France", déplore Sabrina Fischer, co-gérante de Grenad'in.
Elles souhaiteraient donc une meilleure coordination entre les organismes pour éviter certaines déconvenues. Parce que le processus est "très long et pas très fluide" et les démarches administratives complexes, elles souhaiteraient que "toutes les institutions communiquent pour n’avoir au bout du compte qu’un document qui circule entre elles."
Et une requête subsidiaire : "Si on pouvait aussi obtenir une aide pour le budget communication, car ça représente beaucoup d’argent, et on le met souvent de côté pour concrétiser le reste du projet. On mise sur les réseaux sociaux mais il faudrait passer par des professionnels pour plus d’efficacité, mais c’est trop cher."
Tous les entrepreneurs avec qui j'en ai parlé m'ont dit : bienvenue en France
Sabrina Fischer, co-gérante de Grenad'in.
Les deux associées sont unanimes, il faut oser franchir le pas et ne pas hésiter à rencontrer des partenaires. Elles-mêmes ont décidé de s’associer parce qu’elles avaient les mêmes envies et que cela permettait de faire baisser la pression. Si Sabrina s’est lancée à 100% dans ce concept store, Véronique elle, a choisi de continuer à travailler à 80%. Cela permet pour l’instant de n’avoir qu’un seul salaire à verser et pas deux, de quoi rassurer aussi la banque.
Le principal frein selon elles : les enfants, surtout quand ils sont en bas âge : "on culpabilise de les laisser à des organismes de garde. Moi j’aurais pu me lancer plus tôt si j’avais eu le courage mais j’ai aussi attendu que les enfants soient plus autonomes ».
Pour se faire aider dans la création d’une entreprise, il y a plusieurs dispositifs :
- Les bénéficiaires de Pôle Emploi bénéficient de formations et disposent aussi d’un dispositif « active créa » pour l’émergence de projet destiné à ceux qui n’ont pas d’idées.
- La Banque Publique d'Investissement Bpifrance soutient aussi les créateurs d’entreprise. En 2021 dans le Grand Est, elle a accompagné 4.116 créateurs d’entreprises et 4.663 structures existantes.
- Depuis 2018, la région Grand Est accompagne les créateurs et repreneurs d’entreprise dans la globalité de leur parcours, que ce soit en termes de financement, de formation à travers son programme Be EST Entreprendre.
- La CCI Alsace Eurométropole. En 2021 son service entrepreneuriat et création a soutenu 973 personnes sur les 13.000 créations d’entreprises en Alsace. De quoi aider aussi à pérenniser son entreprise : en 2020, près de 90% des entreprises accompagnées avaient plus de trois ans d’existence.
Les micro-entrepreneurs et les autres
Parce que le monde de l'entrepreneuriat est en pleine mutation, la CCI Alsace Métropole travaille depuis plus d’un an sur la mise en place d’un observatoire de la création d’entreprises, pour mieux connaitre les profils des candidats. Sur ces records de création d’entreprise, il faut faire attention aux chiffres. En France, les micro-entreprises représentent près de deux créations sur trois : 641.500 créations en 2021, soit en hausse de 17%. Selon l’INSEE, les secteurs les plus porteurs sont les activités de transports et d’entreposage (+ 22 %), le commerce (+ 9 %) et les activités immobilières (+ 10 %).
En Alsace, près de la moitié des créations sont des micro-entrepreneurs : 5932 micro-entreprises sur les 13.071 immatriculations en Alsace en 2021.
Ces deux dernières années, ce qui a explosé ce sont les livraisons à domicile. C’est 50% des immatriculations. C’est un chiffre assez stable.
Valérie Bannwarth, responsable création reprise d’entreprise au sein de la direction entrepreneuriat de la CCI Alsace Eurométropole.
En France, le secteur de la livraison représente une nouvelle entreprise sur six. Pendant la pandémie, la fermeture des restaurants a entraîné une hausse de la demande et la perte de nombreux petits jobs étudiants, du coup, le nombre de livreurs en micro-entreprise a considérablement augmenté. Les jeunes se créent certes leur propre emploi, mais l’activité reste précaire.
Alors que je recherchais de jeunes créateurs dans un secteur pérenne, je me suis tournée vers une pépinière d’entreprise, à Soultz (Haut-Rhin). Ici, les loyers des bureaux et des ateliers sont deux fois moins onéreux qu’ailleurs, une bonne rampe de lancement pour de jeunes créateurs.
J’y fais la connaissance de Sébastien Bringel et Fanny Sperry, deux associés qui n’ont pas encore trente ans. Ils se sont lancés il y a deux ans, en pleine pandémie, dans un commerce de produits locaux. Pas de boutique, juste un site internet. Les deux associés entreposent tous les produits, près de 700 références, dans ce local de la pépinière du Florival.
Le forum du local
A la fin de leurs études en 2019, les deux vingtenaires reviennent en Alsace. Après un master en économie et gestion, Sébastien signe un CDD à l’aéroport Mulhouse Bâle pour gérer le site internet du service parking. Un an plus tard, le Covid se déclare, et son CDD n’est pas renouvelé : "Fanny avait cette idée de faire une boutique avec des produits locaux, en vrac, avec zéro déchet. On s’est retrouvés tous les deux sans emploi et elle n’avait pas envie de continuer dans ce qu’elle faisait. On a eu le temps de potasser le projet pendant le confinement."
Pour monter leur dossier, Fanny et Sébastien s’appuient sur les aides de Pôle Emploi et de la CCI Alsace Eurométropole. Ils bénéficient aussi d’une garantie de leur prêt par l’association Alsace Active. Leur boutique en ligne, le forum du local, a démarré le 1er octobre 2020.
"Au départ, on avait l’intention d’ouvrir un commerce. Et puis, finalement, on a choisi de faire une boutique en ligne. Il y a plusieurs avantages et cela nous ressemble plus. On ne va pas attendre les gens dans un magasin mais on va les chercher, les livrer, c’est une approche différente. Les clients se connectent sur le site et choisissent des produits 100% locaux. Ils ne se déplacent pas c’est nous qui les livrons. Cela correspond pour nous au service idéal."
Pendant trois ans, la pépinière du Florival leur loue un local de 130 m2, adapté à leur besoin : "L’accès est facile pour le chargement car il y a beaucoup de manutention. Non seulement la pépinière, c’est moitié moins cher, mais en plus il y a des services comme des salles communes, une cafétéria, du coup on rencontre d’autres entrepreneurs, il y a des échanges, et ça permet de se nourrir d’autres expériences."
Deux années convaincantes
"Les clients sont fidèles, on ne le pensait pas. On s’imaginait avoir des gens différents, et sur les 500 personnes inscrites qui ont déjà passé une commande, une centaine revient régulièrement".
Les deux jeunes associés ont rempli leurs objectifs à savoir, un chiffre d’affaire de 100.000 euros la première année, 200.000 euros la deuxième. Pour la suivante, ils projettent l’achat d’un deuxième véhicule et l’embauche d’un salarié pour s’occuper des livraisons.
Ils précisent qu’ils y a des mois plus difficiles que d’autres où ils ne peuvent pas toujours se verser le même salaire. Et puis, ils ne comptent pas leur temps, entre le fait de trouver de nouveaux producteurs, de s’approvisionner, de gérer les livraisons. Mais au bout du compte, s’il fallait retenter l’expérience, ils n’hésiteraient pas. "Il y a des aides pour faire des prêts. C'est sans risque sur deux ans. Le seul risque, c'est d'apprendre plein de choses, c'est super concret", se réjouit Sébastien Bringel, président du forum du local
"C’est vrai qu’une fois lancé, on découvre les difficultés administratives pour bien comprendre comment le système fonctionne avec l’URSSAF, la TVA, les retraites complémentaires, les assurances. Les informations ne sont pas toujours claires."
Motiver les jeunes à l'entrepreneuriat
"Si c’était à refaire, je pense qu’on aurait fait un plus gros prêt, pour avoir plus de possibilités, car le problème quand on lance un projet et qu’on est trop juste, on est restreint. Alors je dirais à un jeune qui démarre de se faire plus aider sur ces questions car on passe beaucoup de temps à trouver des solutions sur ces sujets alors qu’il y a des gens dont c’est le métier. Nous on a tout voulu faire nous-mêmes. Payer les services d’un expert-comptable ça permet de gagner du temps", conseille Sébastien Bringel, président du Forum du local.
Mieux aider les créations d’entreprises
Sébastien souhaiterait la mise en place d’un site internet pour synthétiser tout ce à quoi il faut penser quand on créé une société. Selon lui, cet aspect synthétique manque encore. Les sites existent mais ne sont pas très précis. Il témoigne : "avec l’administration, ça n’était pas simple, on a échangé des dizaines de fois avec la TVA. Le dossier est revenu plusieurs fois à cause d’une case mal cochée. Quand on est face à ces institutions, c’est pas toujours évident, on sait pas trop comment se positionner, je n’ai pas trouvé de tierce personne pour m’aider dans cette situation."
Moins de défaillances d'entreprises
Bonne nouvelle, en Alsace, les entreprises sont plus pérennes qu'avant. La CCI Métropole Alsace relève qu’il y a moins de défaillances en 2021 (6.616 établissements) qu’en 2020 (7.296 établissements).
L’organisme précise que la stratégie du "quoiqu'il en coûte" du gouvernement semble avoir fonctionné, puisque l’Alsace enregistre une baisse de 16,2 % des radiations. "Un choix qui a peut-être permis de maintenir le tissu économique français en vie malgré la crise du Covid qui se poursuit et éviter les faillites en cascade", estime la CCI.