En 1992 Jean-Louis Amann a commencé à planter des arbres sur un champ dont il a hérité. Aujourd’hui c’est un véritable îlot de verdure qui surplombe les champs de maïs et de colza. Avec cette forêt de plus d’un hectare, cet homme libre démontre la puissance de la nature tout en dénonçant la société de consommation.
On arrive à cet endroit secret, étrange, presque mystique, par un petit chemin. Un arboretum qui ressemble à une île de verdure et de végétation, une forêt d’un hectare et demi au milieu des champs de monoculture à Niederschaeffolsheim (Bas-Rhin). Un petit paradis caché, reculé comme à l’abri de la société. Un autre monde.
Tout a commencé en 1992. Jean-Louis Amann, le gardien et créateur du lieu, hérite alors d’un champ familial. De suite, il projette d’y faire pousser une grande forêt. Tout le monde le décourage. "C’est trop grand, tu n’y arriveras jamais, c’est un projet de fou, on va te le brûler." En particulier sa mère, et c’est précisément ce qui va encore le motiver davantage. Voilà comment ce libre penseur, qui aime citer Nietzsche, a commencé à planter des arbres.
Depuis, son défi est d’essayer d'y faire pousser toutes les variétés capables de s’acclimater ici : espèces végétales locales, mais aussi du monde entier : glycine de Chine, tulipier de Virginie, érable autochtone, pin de l’Himalaya, ginkgo, baguenaudier... apparaissent lentement au milieu des chênes, des charmes et de hêtres amandiers, ainsi que d'une multitude d’arbres fruitiers.
Un autre regard sur le monde
Ancien animateur nature de l’Eurométropole de Strasbourg, Jean-Louis Amann a beaucoup voyagé. Il a notamment exercé trois ans durant au Zaïre, en tant que technicien vétérinaire, pour y étudier les troupeaux. À son retour, il a subi un grand choc culturel, avoue-t-il entre deux strophes d’une chanson de Bob Dylan. "Ici, on gaspille tellement, alors qu’en Afrique, les gens sont différents : toujours contents, souriants, malgré les difficultés de l’existence et les maladies. Ils sont dans le partage et se soucient les uns des autres. Ici, la société de consommation nous pousse lentement au désastre, on veut toujours davantage. On consomme, on consomme, on gaspille, les bennes débordent de partout."
L'idée lui vient de bâtir au milieu de sa forêt une cabane en bois, à partir de matériau de récupération. Et c’est dans cette cabane de bûcheron qu'il passe l’essentiel de son temps. Sans eau ni électricité, mais heureux et libre. L’ancien chargé des sites de compostage de Strasbourg récupère l’eau de pluie, et installe des batteries solaires. Il aime la lumière et l’ambiance de la bougie, les livres de botanique, la philosophie, la peinture et les papillons.
Il travaille énormément – plusieurs heures par jour - car l’arboretum nécessite beaucoup d’entretien. "Sinon, en un rien de temps, ça deviendrait une jungle." Il coupe, élague, taille, brûle, sème, plante, cueille. Ce passionné connaît tous les gestes techniques. "Quand on s’intéresse aux choses, ça marche tout seul, si ça ne marche pas, c’est qu’on ne s’y intéresse pas assez", estime-t-il.
Différentes œuvres d’art d’amis artistes décorent sa forêt : le penseur bleu, des masques africains, des totems, des statues, des cachettes, des cabanes, des maisons de nains, une mare et même une pagode, comme point de médiation
Jean-Louis Amann accueille des écoles et des visiteurs pour partager son musée végétal et faire découvrir toutes les variétés référencées de son laboratoire expérimental.
Une simple parcelle de labour transformée en un écosystème de 300 mètres de long sur 50 mètres de large. "Un supertanker de la biodiversité" son créateur aime à le nommer. Un petit paradis pour les bêtes qui viennent s’y nourrir : le sol est en effet jonché de pommes pour les souris, les biches et ce grand-duc qui a élu domicile dans les arbres. Et les projets de Jean-Louis Amann sont sans fin. Car cet amoureux de la nature envisage déjà d’agrandir son jardin d’Eden, en rachetant les terrains autour.