Durant 4 ans, le photographe français Charles Fréger était en résidence artistique à Strasbourg à l'invitation du Musée alsacien et de la Chambre, galerie spécialisée en photographie. L'exposition "Souvenir d'Alsace" qui en découle, est riche et dense. Elle détourne, d'une manière inattendue, quelques icônes alsaciennes.
Parmi les objets qui symbolisent l'Alsace, le service Obernai occupe une place de choix. Cette vaisselle dessinée par Henri Loux et fabriquée à partir de 1904 à la faïencerie de Sarreguemines, orne encore aujourd'hui les tables alsaciennes. Scènes de la vie rurale au centre, petites fleurs sur les bords, elle figure depuis plus de 100 ans une Alsace idéale.
Dans l'exposition du Musée alsacien, 41 assiettes Obernai sont accrochées au mur. Les scènes pastorales sont barrées d'un gros trait noir, brillant. L'oeuvre s'appelle "Le paradis perdu" en référence à la perte de l'Alsace par la France après la guerre de 1870.
Au cours de ses quatre ans de résidence, c'est cette partie de l'histoire alsacienne qui a particulièrement occupée Charles Fréger. Il a passé aux cribles les représentations de l'Alsace après 1870, Hansi et ses caricatures de "Boches", Léo Schnug et ses peintures au château du Haut-Koenigsbourg, les uniformes allemands et français de la Première Guerre mondiale.
Charles Fréger s'est concentré tout spécialement sur la grande coiffe alsacienne noire devenue objet de propagande. À l'image de son travail réalisé en 2015 appelé "La suite basque", il a photographié des Alsaciennes costumées en contre-jour pour une série intitulée "Mariage à Seebach". Les silhouettes sombres laissent transparaître des détails de broderies, des fleurs colorées sur les jupons. L'Alsacienne devient une madone, une icône. Dans une danse macabre à vous donner la chair de poule, elle danse en ligne au bras d'un Poilu et d'un Feldgrau sur un rythme et une musique qui ne laissent aucun doute sur l'issue de la danse guerrière que se livrent l'Allemagne et la France.
Dans cette exposition, le célèbre photographe français, interroge la barbarie, la guerre - la Première et la Seconde, comme celle qui agite l'Europe aujourd'hui.
Dans le catalogue de l'exposition, Marie Pottecher, conservatrice du Musée alsacien rappelle que les mécanismes de la propagande n'ont pas changé et qu'ils sont toujours à l'oeuvre aujourd'hui. Elle conclut sa présentation par cette phrase :" Souvenons-nous de l'Alsace".