Archéologie : les ravages de la détection sauvage

Au Ministère de la Culture, on parle d'une "menace sans précédent" sur le patrimoine archéologique. Depuis une quinzaine d'années, la "chasse au trésor" avec un détecteur de métaux est devenue une pratique très répandue. Loisir du dimanche ou véritable business, cette pratique n'est jamais anodine.

Combien sont-ils ? Difficile de le savoir, les "poêleurs" (utilisateurs de la "poêle à frire") n'ont rien à déclarer, le matériel est en vente libre. Mais il suffit de taper "détection" sur votre navigateur pour constater qu'il s'agit d'une pratique très partagée... et d'un marché florissant pour les vendeurs de matériel. De plus en plus puissants et sophistiqués, les détecteurs ne se limitent plus à peigner plages et pistes de ski. Ils sondent en profondeur.

Boostée par quelques découvertes sensationnelles, la "chasse au trésor" est devenu un phénomène de société. Au point que le Conseil National de la Recherche Archéologique soit saisi, en 2010, par le Ministre de la Culture.

Rapport du CNRA "détecteurs de métaux et pillage"

En Lorraine, les champs de bataille 14/18 sont depuis longtemps le terrain de chasse favori des prospecteurs. Mis à part le risque d'explosion, la plupart ignorent, ou semblent ignorer, que c'est interdit... En réalité, toute opération de détection, n'importe où, est soumise à autorisation.

Quelques idées reçues

"Ici, ce n'est pas un site archéologique"
FAUX : Tout site recèle potentiellement des richesses archéologiques, comme le révèlent chaque année les fouilles menées sur des chantiers.
"Ce n'est pas vieux, ce n'est pas de l'archéologie"
FAUX : 14/18, c'est de l'archéologie. 39/45 aussi. Et même après. L'archéologie est irremplaçable pour expliquer des pages de notre histoire qui n'ont pas été écrites (il y en a beaucoup).
"On ne creuse pas profond"
VRAI... Les détecteurs les plus puissants (1000 €, parfois beaucoup plus) annoncent une profondeur maxi de 43 cm pour détecter "une boucle de ceinture"... MAIS quand on a creusé, rien n'empêche de repasser un petit coup de poêle à frire au fond du trou... et ainsi de suite !
"Je déclare tout ce que je trouve"
PAS TOUJOURS VRAI ! et même quand c'est vrai, l'objet ne vaut pas grand'chose en dehors de son contexte.

Voir le reportage avec Henri Cassin, détecteur amateur, et Rolande Simon-Millot, Conservateur en chef du Patrimoine de Lorraine :
durée de la vidéo : 00h01mn58s
©INA

Le sujet est brûlant, il suffit d'aller sur les sites "Vive la détection" d'un côté, ou "Halte au pillage" de l'autre, pour mesurer le fossé qui sépare les deux parties... sans parler des espaces de "discussion" où le débat vole, comme la poêle à frire, au ras des pâquerettes.

Que dit la loi ?
Archéologues et "poêleurs" tomberont peut-être d'accord sur un point : la législation en la matière ne simplifie pas les choses. Le Code du Patrimoine est pourtant bref sur la question des détecteurs de métaux :
Article L542-1
"Nul ne peut utiliser du matériel permettant la détection d'objets métalliques, à l'effet de recherches de monuments et d'objets pouvant intéresser la préhistoire, l'histoire, l'art ou l'archéologie, sans avoir, au préalable, obtenu une autorisation administrative délivrée en fonction de la qualification du demandeur ainsi que de la nature et des modalités de la recherche."
En clair, l'autorisation administrative n'est pas obligatoire pour détecter, sauf si le demandeur a l'intention de chercher des objets anciens...
  • Vous détectez "à l'effet" de recherches archéologiques : c'est simple, vous faites une demande au Service Régional d'Archéologie,
    6, Place de Chambre, 57045 Metz cedex (Tél. 03 87 56 41 10, Fax 03 87 56 41 71). En cas d'autorisation, la recherche en question sera encadrée par ce même service pour préserver le caractère scientifique des fouilles.
  • Vous détectez pour trouver n'importe quoi, mais surtout pas des objets archéologiques : dans ce cas vous êtes libres. Mais si vous trouvez (par hasard, bien sûr) un objet pouvant intéresser l'archéologie, c'est une découverte fortuite.
Article L531-16 du Code du Patrimoine sur les découvertes fortuites :
(...) "Les découvertes de caractère mobilier faites fortuitement sont confiées à l'Etat pendant le délai nécessaire à leur étude scientifique. Au terme de ce délai, qui ne peut excéder cinq ans, leur propriété demeure réglée par l'article 716 du Code Civil. Toutefois, l'Etat peut revendiquer ces découvertes moyennant une indemnité fixée à l'amiable ou à dire d'experts. Le montant de l'indemnité est réparti entre l'inventeur et le propriétaire"(...)

Et pour finir, le célèbre article 716 du Code Civil, que tous les chasseurs de trésor connaissent (et bien entendu respectent) depuis Napoléon !
"La propriété d'un trésor appartient à celui qui le trouve dans son propre fonds ; si le trésor est trouvé dans le fonds d'autrui, il appartient pour moitié à celui qui l'a découvert, et pour l'autre moitié au propriétaire du fonds.
Le trésor est toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard.


Il est clair qu'en 1803, le problème des détecteurs de métaux ne se posait pas. Une découverte faite avec l'aide d'un tel engin n'étant pas "le pur effet du hasard", le propriétaire du terrain peut, à bon droit, parler de vol s'il n'a pas donné son autorisation. De même que l'Etat peut considérer ces découvertes comme une spoliation du bien commun si elles ont une valeur patrimoniale, et ne lui sont pas déclarées.
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