Au centre éducatif renforcé (CER) Mustang, à Mouzon, dans les Ardennes, huit mineurs délinquants condamnés découvrent pendant quatre mois la campagne champardenaise et les soins aux chevaux. Une alternative à la détention, pour éviter les récidives et les remettre à terme sur la bonne voie.
A Mouzon, dans les Ardennes, la première rencontre entre les huit mineurs délinquants et les chevaux est souvent hésitante. Avant d'arriver au centre éducatif renforcé (CER) Mustang, beaucoup d'entre eux n'avaient jamais vu un tel animal de leur vie. "C'est un peu bizarre les chevaux, raconte Adam*, au début c'était dur, mais au fur et à mesure, on apprend à les connaître".
Kaddour*, lui, bichonne sa jument Naïra. C'est lui qui a choisi l'animal lors de son arrivée au CER, en février. Etrille, brosse dure, finitions, peigne pour les crins, graisse sur les sabots : c'est chaque matin ou presque la même chose à la ferme. Un rituel, entre l'animal et l'adolescent de 17 ans, qui a fini par les rapprocher. "Au début, elle avait l'air un peu excitée, se souvient-il. J'avais peur de tomber et de me prendre des coups de sabot. Mais maintenant ça va, elle m'aime bien je crois".
"L'ado farouche qui mumure à l'oreille du cheval"
Ces huit jeunes ont été condamnés pour des délits. Le juge leur a laissé le choix entre la détention et quatre mois passés dans cette ferme, nichée entre les collines verdoyantes et les cultures ardennaises.
Grâce à la médiation animale, ils retrouvent le droit chemin, selon Mohamed Karkach, directeur du CER Mustang.
A travers les soins aux chevaux, on développe l'empathie. Car un cheval, si on ne s'en occupe pas pendant plusieurs jours, il peut mourir. Le jeune devient utile, voire indispensable à son cheval. Il devient acteur, alors que, bien souvent dans son parcours, il a eu le sentiment d'être un rebut.
Plus d'empathie, mais aussi plus d'humilité : "ce sont des gamins qui jouent des coudes, sourit Mohamed Karkach. Mais un cheval, c'est un animal très impressionnant, et quand le jeune fait un peu le malin, il le remet vite à sa place".
Le crédo du centre : "l'ado farouche qui murmure à l'oreille du cheval". Babakar*, lui, dit se sentir un peu plus apaisé depuis son arrivée à la ferme. "ça m'a fait découvrir le sport et le cheval, assure-t-il. Je fais ça en étant calme, parce que des fois je suis speed. Je décolle encore un peu, mais sinon ça va tranquillou".
Des quartiers à la ferme
Outre la relation à l'animal, le cadre joue un rôle important dans le parcours de réinsertion de ces jeunes. La plupart vit dans les barres d'immeubles des quartiers des grandes villes du Grand Est. Beaucoup n'avaient jamais respiré l'air de la campagne, avec les champs de blé, de maïs ou de luzerne pour seul horizon.
Se retrouver enfermés pendant quatre mois dans une ferme, perdue au beau milieu de la campagne ardennaise, a parfois été un choc. "Au début, c'était dur, confie Babakar*, j'aimais pas être enfermé en plus. Mais maintenant on s'y fait, et je me sens bien".
Selon Mohamed Karkach, directeur du centre, ces quatre mois sont une rupture forte, dans des parcours difficiles, au sein de milieux bien souvent toxiques. Les huit garçons vivent vingt-quatre heures sur vingt-quatre ensemble, partagent leur chambre, leur petit-déjeuner, leur déjeuner et leur dîner.
Pour leur réapprendre à vivre sereinement en société, des règles très strictes sont mises en place. Plusieurs éducateurs se chargent de les faire respecter.
Les règles de base, c'est la politesse et les règles de vie en communauté. On retire sa casquette, à table on enlève les manteaux, on range les chaises, on fait la vaisselle, etc. Cela leur permet d'être cadré pour la suite, à leur sortie, et suivre ces règles chez eux et à l'école.
"Je préfère la moto, ça écoute au moins"
Des règles strictes dans la vie quotidienne, mais surtout à cheval. Dans le manège qui jouxte les box, les huit jeunes montent chaque lundi et chaque vendredi. A grand renforts de décibels, leur monitrice, Emmanuelle Bulin, leur rappelle les règles de sécurité : distances minimales entre chaque cheval, contrôle de sa monture, réajustement de la longueur des rênes, etc.
Pour certains, la tentation est grande de s'élancer à toute vitesse sur le petit parcours d'obstacles installé dans le manège. Car une fois les premières appréhensions passées, c'est la course aux sensations. "Au début, je suis tombé, et mon cheval aussi, raconte l'un des cavaliers en herbe, alors j'avais peur que le cheval me fasse encore des trucs chelous. Mais maintenant je trouve que c'est amusant, et ce qui me plaît le plus c'est le galop".
Babakar*, lui, a bien du mal à se faire obéir. Sa monture n'en fait qu'à sa tête, et enchaîne les écarts : "il y a vraiment rien de plaisant, maugrée-t-il, j'aurais préféré faire de la moto, c'est plus de sensation, c'est rapide et ça écoute au moins !"
De petites frustrations, mais des progrès immenses. La monitrice d'équitation, Emmanuelle Bulin, n'en revient pas : "ils n'avaient jamais vu un cheval avant, donc on a commencé par les bases. Mais maintenant ils savent même galoper, alors qu'on a commencé qu'en février !"
A la fin de leurs quatre mois au centre éducatif renforcé Mustang, les huit mineurs délinquants passeront leur premier galop. Pour ces "gamins en souffrance, qui ont multiplié les échecs et les ruptures", selon les termes de la direction du centre, ce diplôme est une reconnaissance de leurs efforts, et un succès fort.
* les prénoms des mineurs ont été modifiés.