Au septième et avant-dernier jour de son procès devant la cour d'assises des Ardennes, Philippe Gillet n'a pas été épargné par les avocats de la famille Guillaume. Une journée qui a également été marquée par les auditions des deux filles de l'accusé.
"Pour moi, il est incapable d'avoir fait ce qu'on lui reproche. Je le soutiendrai jusqu'à la fin." A la veille du verdict attendu le 3 avril, Victoria, la fille aînée de Philippe et Céline Gillet, entendue "à titre de renseignement", défend son père avec dignité. Celui-ci comparaît depuis le lundi 25 mars devant la cour d'assises des Ardennes pour la mort de son épouse, mais aussi pour l'assassinat d'Anaïs Guillaume, sa maîtresse."Il a l'air dur, il a l'air froid, mais chez nous, on est comme ça, on met de la distance avec ce qui arrive", explique Victoria, assurant que son père, agriculteur, n'était "pas violent", qu'elle et sa soeur n'ont "jamais manqué de rien". "Quand j'entends qu'il n'a pas eu de peine (après le décès de Céline Gillet), ça me fait mal, rectifie la jeune fille de 18 ans. La ferme, c'était notre passion à tous les deux. Quand maman est partie, il ne pouvait plus voir les vaches."
Plus tôt, sa soeur cadette, âgée de 15 ans, s'est aussi exprimée devant les jurés. "J'avais une relation privilégiée avec ma mère. Ma soeur était plus proche de mon père, a-t-elle déclaré, émue. Aujourd'hui, je suis seule avec ma soeur. Mon père, je ne le vois qu'une demi-heure le samedi." Comme l'a souligné son conseil, Me Delgenes, rappelant la position très particulière de sa cliente, "elle ne peut concevoir que son père a tué sa mère"."Chez nous, on ne dit jamais je t'aime"
- Victoria, fille aînée de Philippe Gillet
En fin de matinée, le petit frère d'Anaïs Guillaume a souhaité prendre la parole, rappelant sa relation complice avec sa soeur, une "bosseuse" qui avait "la joie de vivre". Il raconte le soir où il a vue Anaïs pour la dernière fois. "Elle m'a dit: 'Je dois y aller. On se revoit tout à l'heure.' Je ne l'ai plus jamais revue." Face à la cour, le jeune homme affirme, formel : "C'est impossible qu'elle soit partie. Elle avait ses frères, sa famille, son chien. Elle aimait trop les Ardennes, l'agriculture, les chevaux." Avant de conclure : "Tout ce que je veux, c'est la justice".
Le grand frère, lui, n'a pas pu parler devant les jurés. Il a écrit une lettre - bouleversante - que son avocat a lue. Il y évoque sa "petite soeur qui ne se laissait pas marcher sur les pieds", la relation d'Anaïs avec Philippe Gillet qu'il a "tout de suite désapprouvé", sa culpabilité de "n'avoir pas su la protéger" et ses convictions quant à la responsabilité de l'accusé : "J'ai tout de suite suspecté Philippe Gillet d'avoir fait du mal à ma soeur"."Elle n'était pas assez organisée pour pouvoir organiser son départ. Elle n'était pas organisée du tout."
- Clément, petit frère d'Anaïs Guillaume
"Le samedi soir précédant sa disparition, elle m'apprend sa séparation avec Philippe Gillet et sa relation avec Cyrille", rappelle-t-il. Sa lettre se termine par ces mots : "Elle me manque terriblement, sa disparition m'a complètement anéanti".
Comportement "inapproprié"
Cette septième journée du procès a démarré avec l'audition des derniers témoins. A commencer par la dame qui, avec son mari, a en partie élevé Céline Gillet. Danielle M. était aussi la marraine de Victoria, la fille aînée du couple Gillet. "La dernière fois que j'ai vu Céline, à la Toussaint (soit trois mois avant son décès), elle n'était pas bien, elle m'a dit: 'S'il m'arrive quelque chose, je voudrais que tu t'occupes de mes filles', se souvient-elle. Céline se doutait que Philippe avait une liaison avec Anaïs." Mais elle ne charge pas l'accusé : "Même sous airs durs, je ne pense pas qu'il ait pu faire ça."A la question de l'avocat général qui lui demande de préciser le comportement de Philippe Gillet aux obsèques de son épouse, elle répond : "On avait l'impression qu'il était extérieur. A l'église, il a dit: 'On a perdu une bataille, mais on va se redresser et remporter la guerre.' Et puis il y avait Anaïs qui était là, c'était inapproprié."
Puis c'est au tour de sa fille, Lisa, de s'avancer à la barre. Sous la demande du président de la cour d'assises, elle évoque la soirée du 20 avril 2013 où elle a fêté ses 20 ans. Anaïs avait disparu depuis quatre jours. "Philippe nous a dit qu'il n'avait plus de nouvelles d'Anaïs, qu'elle était partie, qu'on ne la retrouvera pas." La jeune fille relativise : "C'est sa façon de parler, il a lâché ça comme ça. Cela veut dire tout et son contraire. Soit elle est partie à l'étranger, soit il s'est passé quelque chose." Un des avocats de la famille Guillaume lui rappelle alors qu'elle était plus "précise" en 2017 devant les gendarmes. "Là où elle est, on ne la retrouvera jamais", rectifie-t-il. "C'est une phrase qui choque."
De nombreuses "coïncidences"
L'après-midi a été consacrée aux plaidoiries des parties civiles. Me Delgenes, le conseil de la fille cadette des Gillet, a souligné "la place à part" de sa cliente dans ce procès. "On s'est placé dans le rôle d'un juré, avec l'inclinaison de croire en M. Gillet, explique-t-il. Objectivement, on a des expertises qui trouvent que c'est bizarre, mais sans les confronter", pointant du doigt une instruction bâclée : "On découvre tout à l'audience."Dans une plaidoirie de plus de deux heures, Me Delavenne, avocat de la famille Guillaume, énumère ensuite les nombreuses "coïncidences" de l'affaire Anaïs Guillaume : les 50kg de chaux achetés la veille de sa disparition, la manipulation troublante de trois téléphones portables, la remorque aperçue devant la ferme la nuit de sa disparition ou encore la fameuse phrase qu'il aurait prononcée : "Là où elle est, on ne la retrouvera jamais..."
L'avocat est persuadé que les parents d'Anaïs repartiront du procès sans la réponse à cette question centrale : "Où se trouve le corps de leur fille disparue depuis le 16 avril 2013 ?"
Citant l'accusé, "je n'ai pas besoin qu'on me respecte, mais qu'on me craigne", Me Menut, l'autre conseil de la famille Guillaume, a dressé le portrait d'un homme qui ne supporte pas la contrariété, ni ne connaît l'empathie. D'un homme très amoureux d'Anaïs qui n'aurait pas supporté d'être quitté. "On ne naît pas assassin, on le devient parce qu'on n'arrive pas à gérer la contrariété."
"Il y a vingt points incontournables qui nous mènent à Philippe Gillet", renchérit-il. "N'est pas un spécialiste du crime parfait qui veut." L'avocat souligne notamment la "naïveté" de certaines manipulations de l'accusé, comme le texto avec la faute de conjugaison "tu peut", propre à Philippe Gillet et non à Anaïs Guillaume.
Face à un Philippe Gillet stoïque, l'avocat lance : "On n'aura pas d'aveu. Il faut trop de courage pour cela." S'adressant aux jurés, Me Menut conclut : "Ce courage, je vous demande de l'avoir pour Anaïs.""Pour avouer, il faut se regarder en face."
- Me Olivier Menut, avocat de la famille Guillaume
Le procès se terminera ce mercredi 3 avril par le réquisitoire de l'avocat général et les plaidoiries de la défense. Le verdict est attendu dans la soirée.