Les photographies de Rimbaud sont rares mais célèbres. Nous pensons connaître ces images qui ont pourtant été détournées, retouchées et réinventées pour correspondre à son mythe. Au-delà de l'icône fabriquée au fil du temps, que reste-il du véritable visage du poète ? C'est l'objet du documentaire d'Alexis Metzinger "Les trois visages d'Arthur Rimbaud".
Il n'existe que de rares photographies d'Arthur Rimbaud qui, à l'instar de son œuvre littéraire, ont chacune contribué à la fabrication du mythe qui entoure l'auteur. À travers trois facettes du poète, le communiant, le génie rebelle, et l'aventurier, le réalisateur Alexis Metzinger part à la recherche du véritable visage d'Arthur Rimbaud et tente de discerner ce qu'il reste de l'homme au-delà de l'icône fabriquée sur plus d'un siècle. En remontant la piste de ces photos retouchées, recadrées, et détournées, le film cherche à comprendre comment s'est forgée la légende rimbaldienne, entre fantasme et réalité.
Voici trois excellentes raisons de regarder le documentaire Les trois visages d'Arthur Rimbaud, ou la fabrication d'une icône en replay sur France.tv
1- Parce que le mythe de Rimbaud s'est forgé autant sur son œuvre que sur ses photos
Outre l'œuvre littéraire qui a marqué et révolutionné durablement la poésie, ce sont aussi les photos de Rimbaud qui sont restées et qui ont eu un impact considérable sur la culture française et mondiale.
À titre d'exemple, la photo la plus connue d'Arthur Rimbaud est aussi la photo la plus reproduite du XIXe siècle. Cette image est présente partout, notamment à Charleville-Mézières, ville de naissance de l'auteur d'Une saison en enfer. On y voit le poète, âgé de 17 ans, en jeune génie rebelle et débraillé. Selon Adrien Cavallaro, maître de conférences et auteur de Rimbaud et le Rimbaldisme, le portrait tiré par Étienne Carjat à l'initiative de Paul Verlaine a largement contribué à cristalliser "un imaginaire collectif" fait de jeunesse, de révolte et de bohème littéraire.
Tout au long du XXe siècle, le portrait accompagne le succès littéraire de Rimbaud et transforme le poète en archétype du génie rebelle. De nombreux artistes se nourrissent de cette icône à l'instar de Pablo Picasso, Alberto Giacometti ou Sonia Delaunay. Avant cette photo, c'est Rimbaud en communiant qui inspire les surréalistes, les premiers à s'emparer de son image, avec notamment Jean Cocteau, Robert Lanz ou Valentine Hugo. Puis, avec les photographies de Rimbaud voyageur à travers le monde, qui a marqué les chanteurs des années 1960 et les écrivains la Beat Generation, c'est l'idéal de l'homme qui a osé rompre avec la société qui prédomine et vient alimenter sa légende.
2- Parce que les photos de Rimbaud ont été retouchées pour correspondre à son mythe
La première photo donnée à voir de Rimbaud est celle du communiant sur laquelle le poète apparaît, seul, en petit garçon sage et pieux. Un cliché qui s'éloigne de la réalité puisqu'il a été recadré par Isabelle Rimbaud, dans le but de réécrire l'histoire de son frère. Une histoire qu'elle ne découvre qu'après sa mort. Pour forger le mythe et remédier à sa réputation de jeune homme "insupportable, mal élevé, aux mœurs douteuses", elle décide de resserrer la photo en faisant disparaître Frédéric Rimbaud, le frère "raté" qui se tenait debout à côté d'Arthur. Par cet acte, Isabelle Rimbaud se lance dans une véritable entreprise de mystification, lui donne une image de fervent catholique et donne naissance à une légende créée de toutes pièces.
La seconde photo, le très célèbre portrait réalisé par Étienne Carjat, montre un Rimbaud jeune et rebelle qui fait voler en éclat la représentation souhaitée par Isabelle Rimbaud. "Le petit problème, comme le précise Jacques Desse, libraire et auteur de Rimbaud, dernières retouches à la légende, c'est que l'original a disparu. On a à la fois un document qui est ultra-célèbre, qui a eu un impact considérable puisqu'au XXe siècle on peut uniquement le comparer à la photo de Che Guvara ou de Marilyn Monroe, donc c'est entré dans l’imaginaire collectif mondial, mais on ne connaît pas l'original, et jusqu'en 2010 à peu près, personne ne s'est jamais posé la question de savoir où était l'original." Porteuse d'un idéal de jeunesse et de révolte, cette photo n'est pourtant pas la seule réalisée par Carjat. Un second portrait existe, qui montre un visage différent de Rimbaud, raconte le documentaire, "à tel point qu'on a pu douter qu'il s'agisse de lui alors même que des témoins affirmèrent que cette photo était la plus ressemblante des deux. Le mythe de Rimbaud est devenu plus fort que la réalité".
Quant aux trois autoportraits réalisés par Rimbaud alors qu'il voyageait à travers l'Europe et le monde, le documentaire indique qu'ils "sont toujours présentés de manière retouchée, avec un fort contraste, et parfois même redessinés. Dans leur état original, tout contraste a disparu, les traits ressortent si peu qu'ils se fondent dans le grain de l'image." Malgré les retouches, son visage demeure illisible sans pour autant cesser de contribuer au mythe de "l'homme aux semelles de vent" décrit par Paul Verlaine.
3- Parce que le vrai visage de Rimbaud demeure insaisissable et propice aux fantasmes
Finalement, il n'est pas si aisé de démêler ce qui relève de la légende et de la réalité avec Rimbaud. L'œuvre littéraire du poète elle-même est propice aux fantasmes. Ses textes, souvent obscurs, sont propices aux récupérations et aux interprétations, chacun pouvant y trouver ce qu'il y cherche, se l'approprier. Pour Guillaume Meurice, auteur de Cosme, sur les traces de Rimbaud, l'œuvre du poète "est un puit sans fond parce qu'il y a tellement de zones d'ombre, chacun peut y projeter à peu près tout et n'importe quoi." Le chanteur, peintre et photographe CharlElie Couture confirme cette universalité que l'on attribue au poète : "chacun peut retrouver une partie de lui dans la proposition qui est faite. Tout le monde aura tort et tout le monde aura raison à la fois".
Les nombreux mystères et questionnements qui entourent la vie de Rimbaud ont eux aussi généré leur lot de fantasmes. Le fait qu'on en sache finalement assez peu sur sa vie personnelle, notamment au moment où il décide de renoncer à la poésie pour vivre une vie d'aventurier à travers le monde, alimente la fascination. Pourquoi n'écrit-il plus ? Pourquoi a-t-il décidé de tout quitter ? Pourquoi est-il allé et est-il resté en Éthiopie ? À ce moment-là de sa vie, le poète ne donne que peu de nouvelles de lui, laissant ainsi place à l'imaginaire pour tous ceux qui tentent d'imaginer sa vie loin de la France.
L'aspect insaisissable du poète ressort également à travers les photographies de cette période. À cause de la qualité médiocre des clichés, "le jour où il se montre, il nous échappe encore plus" s'amuse Jacques Desse : "on n'a même pas un visage irréfutable où on pourrait dire 'oui c'était bien Rimbaud adulte, c'était bien à ça qu'il ressemblait' ". Un véritable pied de nez, à l'image de ce qu'était ce poète de génie.
Les trois visages d'Arthur Rimbaud, ou la fabrication d'une icône, un documentaire d'Alexis Metzinger (Canal 32 / Cérigo Films).