Coronavirus : couvre-feu, port de masque obligatoire, les maires tentent de prendre le pouvoir

Face à une crise sanitaire sans précédent, des maires prennent des arrêtés: masque obligatoire, patrouilles de police et videosurveillance renforcée ou encore demande d'appui de l'armée. Mais quels sont leurs droits ?

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Polémique sur les masques, jeudi 9 avril 2020, devant l'Assemblée Nationale, Christophe Castaner, le ministre de l'Interieur, a demandé aux maires qui ont rendu les masques obligatoires de retirer leur arrêté. Devant la volte-face du gouvernement sur le port des masques même artisanaux pour l'ensemble de la population, d'abord juger inutiles, plusieurs maires avaient envisagé de les rendre obligatoires et de se débrouiller pour s'en procurer par leurs réseaux. Parmi eux, François Baroin, maire (LR) de Troyes dans l'Aube et président de l'Association des Maires de France. Mais pas si facile pour un maire de prendre une telle décision et de l'imposer dans sa commune.

Selon Olivier Dupéron, politologue et directeur adjoint du centre de recherche Droit et Territoires, c'est un point juridique classique. "C'est une combinaison entre les pouvoirs de police du maire et les pouvoirs de l'Etat, représentés par les préfets. Le maire est chargé de l'ordre public, de la salubrité, de la sécurité. Les mesures doivent être prises dans le respect de la loi. S'il veut aller plus loin, il faut qu'il se justifie. S'il veut prendre des mesures plus contraignantes que celles décidées par l'Etat, elles doivent être justifiées par des circonstances locales particulières. Il faut que la situation sanitaire soit alarmante dans la commune concernée." Pas si facile donc de rendre obligatoire le port du masque, d'interdire la vente de pain ou encore de restreindre les sorties à deux mètres autour du seuil des maisons.
 

Des masques pour tous

A Charleville-Mézières, dans les Ardennes, le maire (LR) Boris Ravignon a donc revu sa copie. Sans le rendre obligatoire, il souhaite que tous les citoyens de l'agglomération puissent avoir un masque. Et, devant les difficultés du gouvernement à s'en procurer, il s'est débrouillé tout seul depuis plusieurs semaines. "J'ai fait une première commande groupée par l'Association des Maires de France, des masques chirurgicaux pour les personnes exposées et en premier lieu les soignants. Elle devrait arriver dans une quinzaine de jours. Pour l'ensemble des habitants, j'ai opté pour des masques-barrière en textile. Une partie sera fabriquée sur place par 200 couturières. Les dix mille premiers masques arriveront la semaine prochaine. D'autres masques seront produits dans une entreprise des Vosges.

J'en ai commandé près de 300.000 qui seront livrés fin avril, début mai. Ils ont été payés par le département et Ardennes Métropole (il en est le président). Cela a coûté 325.000 euros. C'est vrai que ces masques sont moins efficaces que des masques chirurgicaux, mais ils ont le mérite de limiter en partie la propagation du virus."

On a fait croire aux gens que les masques n'étaient pas importants simplement parce qu'on n'en avait pas. Du coup, on a perdu trois semaines pour en commander et en acheter.
- Boris Ravignon, maire (LR) de Charleville-Mézières
 

Des mesures sécuritaires

S'il n'a pas pris d'arrêté pour imposer les masques, Boris Ravignon en a pris un très vite, dès le 21 mars, pour instaurer un couvre-feu. Charleville-Mézières est une des rares communes de France à l'avoir fait. "Durant la période de confinement, explique Boris Ravignon, aucune personne non-autorisée ne doit sortir entre 22 heures et 6 heures du matin. J'ai averti le préfet. Il a lui-même sorti un arrêté préfectoral."

 

Et le maire ne s'est pas arrêté là. "J'ai mobilisé toute la police municipale, une quarantaine de personnes, et j'ai élargi les plages horaires de video-surveillance." Fort de sa mission de protection de la population, le maire a été jusqu'à demander au préfet l'appui des militaires. "Je voulais des militaires pour aider nos patrouilles de police municipale, mais on m'a répondu que ce n'était pas possible."

Olivier Dupéron n'est pas surpris."Pour prendre une telle mesure, il faut que le caractère exceptionnel de la situation le nécessite. Dans tous les cas, une mesure de police prise par un maire peut être contestée par un citoyen devant un tribunal administratif. Elle est soumise à un contrôle des juges, qui doit déterminer s'il y a abus ou pas."

"Je ne change pas les règles, je veux simplement qu'elles soient respectées, se justifie Boris Ravignon. Nous faisons cinquante verbalisations par jour à Charleville-Mézières. Cela signifie que certains habitants ne respectent pas le confinement et sortent sans autorisation dérogatoire. On dénombre dans les Ardennes neuf morts et soixante-quinze personnes hospitalisées. Si on ne veut pas de flambée des hospitalisations et des contaminations, il faut renforcer les mesures. Notre situation sanitaire se joue aujourd'hui."

Les efforts du maire de Charleville-Mézières n'auront pourtant pas été entièrement vains puisque le 3e régiment du génie a été mobilisé pour la protection de l'hôpital Manchester et de ses abords dans le cadre de l'opération Résilience lancée le 25 mars par le ministère des Armées. une protection qui sera assurée du 11 au 19 avril 2020. Une mission qui renntre dans "le domaine protection"  qui précise que : "les militaires de l’opération Résilience peuvent assurer la protection de sites sensibles militaires et civils, ainsi que des missions de surveillance et de présence dissuasive en appui des forces de sécurité intérieure à titre d’exemple. Les armées n’ont cependant pas vocation à participer directement aux mesures de respect du confinement."

 
 

Des mesures disproportionnées

Pour le communiste Sylvain Dalla-Rosa, représentant de l'opposition municipale de gauche, ces mesures sont disproportionnées: "Très peu de villes en France ont instauré un couvre-feu. Il n'a pas lieu d'être car on le voit bien dans les rues, les Carolomacériens respectent les gestes barrière. Ils font la queue sur les trottoirs pour aller faire leurs courses et respectent la distanciation soiale. C'est vrai que, dans certains quartiers populaires, on voit des rassemblements de jeunes. Mais je suis plus pour la pédagogie que pour des mesures sécuritaires. Et puis il vaudrait mieux s'occuper de protéger les salariés sur les chantiers du bâtiment et des travaux publics."

En situation de crise, certains maires prennent des mesures d'urgence. Reste à voir si certaines seront maintenues après le déconfinement. Une question d'urgence sanitaire mais aussi de liberté publique.
 
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