Ils sont sortis de leur isolement, se sont préparés comme de vrais acteurs pendant deux ans. Leur représentation au Festival mondial des théâtres de marionnettes de Charleville-Mézières est un vrai succès. Histoire d’une belle rencontre.
Michèle, Grégory, Raymond, Jean-Pierre et quatre autres de leurs amis, forment une équipe bien joyeuse à les regarder s’esclaffer dans la petite salle de la rue Gailly à Charleville-Mézières. A moins de trois heures du début de leur représentation "Les confidences d’une boîte à livres", cette ultime répétition est la bienvenue. Dans leurs beaux habits de scène, ils vont voir, enfin, leur travail récompensé par le public du Festival mondial des théâtres de marionnettes.
Le théâtre, comme bon médicament
C’est l’Etablissement public de santé mentale, le centre hospitalier Bélair de Charleville-Mézières, qui a eu la belle idée d’inviter ses patients dans des ateliers théâtres dès 1976. Plus de 40 ans plus tard, les volontaires sont toujours aussi enthousiastes, et les animateurs prennent à cœur de les stimuler dans une activité culturelle commune. Eux ne sont plus dans la structure, car leur autonomie leur permet de vivre chez eux. Ils sont simplement suivis par le Centre-Médico-psychique de la ville et ont fait le choix de venir participer à ce projet de spectacle.Devant la petite scène improvisée du jour, c’est un maître de la marionnette qui donne ses dernières consignes, Philippe Rodriguez-Jorda, un ancien élève de l’ESNAM (l’Ecole Nationale Supérieure des Arts de la Marionnette). Parlant de ces acteurs amateurs aux talents différents, il nous confit :
Ils sont en hôpital de jour en quelques sortes, ils vivent chez eux, mais ils peuvent essayer une activité marionnette pour briser leur isolement. Depuis deux ans, ils sont venus deux après-midis par semaine préparer ce spectacle, et s’investissent beaucoup malgré des problèmes de concentration pour certains, alors on découpe l’histoire en plusieurs épisodes.
- Philippe Rodriguez-Jorda, marionnettiste professionnel.
J’y pense, et puis j’oublie
Le défi est de taille : raconter ce qui se passe dans une boîte à livres. C’est le thème de la pièce, avec des marionnettes qui échangent leurs expériences après leurs passages chez les emprunteurs de bouquins. C’est Pierre Jacquemart, éducateur au Centre Bélair, qui leur a écrit ce spectacle. Depuis 2006, il fait partie de l’aventure et suit d’un œil averti les tirades et les déplacements de ces marionnettistes en herbe.Les scénettes sont courtes, les marionnettes doivent interagir entre elles, se regarder, exécuter des gestes précis, et tout le monde garde le sourire même si le texte est oublié. Philippe, le marionnettiste professionnel répète encore et encore les mouvements de la marionnette de Jean-Pierre, qui doit apparaître un livre à la main au bon moment.
Vas-y, Jean Pierre, on refait à : «C’est quand même pas de ma faute si le titre du livre c’est Le crime parfait !»
(Jean-Pierre s’avance et joue)
On recommence, c’était trop tard.
(Jean-Pierre se trompe)
On recommence, c’était trop tôt, tu dois attendre le signal.
- Philippe Rodriguez-Jorda, marionnettiste professionnel.
Quelques minutes plus tard, la scène est enfin prête pour Jean-Pierre. A côté, on s’applique à corner la page du livre de Michèle qui devra retrouver facilement un passage au moment voulu. "Ils animent les marionnettes seulement, ils ne parlent pas car, ce serait trop. C’est une bande-son enregistrée bien avant, avec leur voix, qui se déroule pendant le spectacle et ils la suivent", explique le marionnettiste. Le filage se poursuit, entrecoupé de petits conseils de dernières minutes à Raymond et Bernard.
"Le public ne me fait pas peur, au contraire"
Dans son costume bleu d’ambassadeur, Grégory, 21 ans, se dresse fièrement au milieu de la salle. Depuis tout à l’heure, c’est lui que l’on remarque le plus avec son sens précis de la comédie. Ses gestes sont méthodiques, sa marionnette semble être une extension de son bras, son travail est parfait. Quand il parle de sa passion pour le théâtre, son visage s’illumine.
Au début, c’est de la créativité, on conçoit les marionnettes. Ensuite, on fait les voix, la bande-son, on répète, on apprend à jouer le spectacle et à guider les marionnettes. Moi, le public ne me fait pas peur, au contraire, j’aime bien, je suis très fier. Je réfléchis pour jouer plus tard des rôles de clown, j’aime bien les histoires drôles.
- Grégory, marionnettiste dans l'âme et futur acteur.