Il s'appelle Jean-Rémi François. Le directeur de la bibliothèque départementale des Ardennes est aussi bibliothécaire de l'année 2023. À 44 ans, cet homme passionné de lectures et d'ouvrages est aussi un fervent défenseur de la démocratie et croit toujours que les bibliothécaires ont un rôle à jouer dans l'ouverture au savoir, nécessaire à la liberté d'opinion et au débat.
Comment devient-on bibliothécaire de l'année ? La question est posée à celui qui a décroché le titre 2023. Jean-Rémi François, ardennais d'adoption depuis 2016, depuis qu'il est devenu directeur de la bibliothèque départementale des Ardennes.
Ce prix est organisé par l'hebdomadaire Livre Hebdo, le spécialiste de la chaine des métiers du livre. "C'est le magazine professionnel qui relie le monde des éditeurs, le monde des libraires, des diffuseurs, des auteurs et des bibliothécaires aussi, explique le lauréat de l'année. Il fait le lien entre l'ensemble des acteurs de cette chaine et chaque année organise différents prix, dont le bibliothécaire de l'année. C'est une mise en avant, une promotion. Il sélectionne des bibliothécaires qui ont eu des activités spécifiques au cours de l'année, qui ont montré des initiatives intéressantes ou qui ont participé à un travail ou des aventures particulières. Nous sommes 5 ou 6, il y a un petit concours et les lecteurs de Livre Hebdo votent".
Etudiant, j'imaginais qu'une bibliothécaire, parce que c'est un métier très féminisé dans la tête des gens, se résumait à un chignon et une jupe plissée et qu'elle conservait des livres
Jean-Rémi François, bibliothécaire de l'année
Il y a quelques semaines, fin 2023, Jean-Rémi François a donc reçu ce fameux prix. "La cérémonie de remise des prix s'est déroulée sous la coupole de la bibliothèque Richelieu à Paris, précise-t-il encore. Je n'ai pu m'y rendre, mais j'ai envoyé une vidéo depuis les Ardennes pour remercier tous ceux qui ont voté pour moi".
L'illettrisme au cœur de son action
Jean-François Rémi est un bibliothécaire actif, passionné. Une passion, au service des autres, et d'un métier, finalement, peu connu. Quand il était étudiant, Jean-Rémi François imaginait le métier de bibliothécaire comme "une bibliothécaire, parce que c'est un métier très féminisé dans la tête des gens, qui se résumait à un chignon et une jupe plissée et qu'elle conservait des livres !"
Depuis, évidemment, il porte un autre regard sur cette profession. Ce qui lui a permis de décrocher le titre cette année, c'est, pense-t-il, son investissement "au sein de la profession via l'association des bibliothécaires de France, l'association historique. Je suis membre du bureau. J'y œuvre depuis 2015 avec une spécialité autour des problématiques de la maitrise de la langue, la prévention et la lutte contre l'illettrisme. On travaille beaucoup avec le ministère de la Culture sur cette problématique-là. Et puis j'ai piloté la programmation, sur la question des collections, au congrès national des bibliothécaires qui s'est déroulé à Dunkerque. Chaque année, l'association des bibliothécaires de France organise un congrès annuel qui est aussi un salon professionnel avec l'ensemble des prestataires. Il réunit 600 bibliothécaires. Tout cela nous met un peu en avant. Je fais aussi pas mal de formation auprès des centres de formation universitaire, mais aussi du Centre national de la fonction publique territoriale"(CNFPT).
Un bref résumé de son métier dans lequel la prévention est au cœur des actions menées par la bibliothèque départementale des Ardennes. "L'illettrisme, c'est dramatique, reprend-il. Il n'y a pas que les étrangers qui arrivent en France qui ont des difficultés avec la langue. Il y a aussi toute une partie de personnes françaises, scolarisées en France et qui ont perdu la capacité de lire ou d'écrire ou qui la maitrise très mal. Les bibliothèques sont très importantes parce qu'elles agissent sur la question de la prévention".
Comment les bibliothèques réussissent-elles ce défi ? "On inscrit la lecture au sein des foyers, au niveau des crèches, des écoles maternelles et primaires aussi. On tente de favoriser des temps de lecture partagés avec les enfants". Qu'elle puisse ainsi s'insérer dans le quotidien comme quelque chose de courant, de normale. "C'est effectivement toujours un défi. Les bibliothèques sont les lieux parfaits pour cela. Elles travaillent pour promouvoir ce goût et cette pratique de la lecture d'albums notamment".
Un métier passion que l'on transmet
Les autres préoccupations de Jean-Rémi François et de ses collègues ardennais sont de réussir à nouer des partenariats avec des associations qui font de la remédiation linguistique. Mais aussi avec des villes ou villages pour soutenir les actions ou la création d'une structure. "Leur donner des espaces de travail pour des gens bénévoles qui vont accompagner des adultes dans le réapprentissage des savoirs et fournir aussi toutes les ressources. Nous ne sommes pas des formateurs dans les bibliothèques, mais on peut aider les associations qui travaillent avec des gens en difficulté avec la langue. Il y a une centaine de bibliothèques pour favoriser la lecture dans les Ardennes avec des niveaux très différents. Cela va de la grosse bibliothèque à 450 m² jusqu'à des points lecture de 30 m². La bibliothèque départementale, elle, anime les bibliothécaires et le réseau et elle accompagne aussi des élus quand ils ont des projets d'installation d'équipement ou de réaménagement. Elle a aussi pour mission de fournir des documents dans des bibliothèques qui n'auraient pas assez d'argent."
J'adore la littérature, j'adore les livres. J'ai été un peu libraire avant, j'aurais pu être bouquiniste, mais je suis bibliothécaire pour le service public.
Jean-Rémi François, bibliothécaire de l'année
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Et puis, au sein de la bibliothèque départementale installée à Charleville-Mézières, il est une autre mission importante : celle de former et de transmettre. La formation des bénévoles et des salariés des bibliothèques est une action assez inédite. "Dans ce cadre-là, nous avons un partenariat avec l'association des bibliothécaires de France pour organiser le passage de ce diplôme, certifié par l'État, d'auxiliaire bibliothécaire. Nous avons un groupe de 20 personnes en formation, chaque lundi, au sein de la bibliothèque départementale des Ardennes et cette formation sera itinérante, dans l'Aube et la Marne. L'objectif : être au plus proche de personnes pour qui il est difficile de se déplacer. C'est le diplôme de base pour être agent de bibliothèque, mais c'est très important pour professionnaliser des services de lecture publique dans les campagnes qui sont parfois sous-dotées ou qui n'ont pas accès à la formation. Il y a des formations de base comme les IUT autour des métiers du livre. Mais parfois on devient bibliothécaires sur le tard et cela permet de professionnaliser tous ceux qui y travaillent. C'est inédit ce partenariat-là et cela va faire des petits en France".
C'est le dernier lieu, en France, où l'accueil est gratuit et sans barrière. On accepte tout le monde. Pas de pièce d'identité, rien du tout. C'est important de préserver ces lieux-là
Jean-Rémi François, bibliothécaire de l'année
Jean-Rémi François a découvert ce métier "par hasard" dit-il. ÀA la faveur d'un travail de fin d'études sur la question culture et territoire en milieu urbain. "J'ai rencontré des bibliothécaires, et notamment à Reims, qui maitrisaient très bien les enjeux de politique publique, avec un discours très structuré sur l'accompagnement de la société pour le développement de l'accès à la culture, à la lecture notamment. Et contrairement aux autres domaines culturels, parce que je voulais bosser dans la culture, j'ai eu vraiment quelqu'un qui répondait vraiment à mes questionnements et donc cela m'a mis la puce à l'oreille et je suis parti dans ce domaine".
Mais il est aussi devenu bibliothécaire, "parce que j'adore la littérature, j'adore les livres. J'ai été un peu libraire avant, j'aurais pu être bouquiniste, mais je suis bibliothécaire pour le service public".
"Construire des démocraties avec des citoyens éclairés"
Comme Jean-Rémi François l'explique et contrairement à ce qu'il pensait quand il était étudiant : être bibliothécaire est un métier à responsabilités. Une profession dans laquelle il faut aimer les gens, savoir les aider, les orienter ou tout simplement les accueillir. "Pour être bibliothécaire, pour moi, il faut deux qualités et après les choses s'apprennent sur le tas. Il faut une curiosité totale vis-à-vis des gens. Une curiosité relationnelle, être vraiment à l'aise avec l'accueil du public. C'est le dernier lieu, en France, où l'accueil est gratuit et sans barrière. On accepte tout le monde. Pas de pièce d'identité, rien du tout. Vous pouvez rentrer dans n'importe quelle bibliothèque sans décliner votre identité, on ne vous embête pas. C'est quand même important de préserver ces lieux-là".
Nous sommes là pour mettre à disposition les ressources et je suis convaincus que c'est essentiel pour construire des démocraties avec des citoyens éclairés. Les fondamentaux de notre société : se forger son opinion, débattre. Quand les ressources que l'on propose sont utilisées, pour nous, c'est gagné.
Jean-Rémi François, bibliothécaire de l'année
La curiosité et le goût du relationnel sont donc essentiels. "Il faut aussi toujours se questionner sur le service que l'on apporte à la société. Est-ce que cela rend bien compte des besoins de nos usagers ? Le bibliothécaire ne construit pas son offre culturelle en fonction de ses goûts et ses plaisirs, mais bien en fonction de ce que cela peut apporter en termes de politique publique, aux besoins de son territoire, de ses partenaires et de sa population".
Depuis le 21 décembre 2021, la loi de la sénatrice Robert précise le métier des bibliothécaires et le rôle des lieux de lecture. "Nous sommes les garants, comme les journalistes, de la diversité des opinions et plus on est nombreux à travailler sur ce domaine-là, mieux c'est. Par exemple, on se positionne sur des actions culturelles d'éducation aux médias et à l'information. Les bibliothèques peuvent aussi agir dans ce domaine-là. On est un peu couteau suisse". Un rôle essentiel d'ouverture à la culture, aux œuvres littéraires quelles que soient leurs époques, mais pas que, au cinéma, aux documentaires. Les fonds des bibliothèques sont très fournis et répondent à l'évolution de la société.
Et le summum du bibliothécaire "c'est de pouvoir constater que les usagers, les enfants, les personnes âgées viennent utiliser ses services d'accès à la culture, à la formation. Nous sommes là pour mettre à disposition les ressources et je suis convaincu que c'est essentiel pour construire des démocraties avec des citoyens éclairés. Les fondamentaux de notre société : se forger son opinion, débattre. Quand ses ressources que l'on propose sont utilisées, pour nous, c'est gagné".
À 44 ans, celui qui est passé par Montreuil, Chalons-en-Champagne et Charleville-Mézières après avoir décroché son concours de conservateur des bibliothèques, n'est pas prêt à laisser tomber ce qui est devenue sa passion. Une partie de sa vie à transmettre l'envie de lire et de se cultiver pour être un citoyen éclairé, et cela vaut bien un prix.
