"Qu'est-ce que j'ai fait de mal ?" Vingt jeunes migrants "très sérieux" menacés par une OQTF d'être expulsés des Ardennes

Une vingtaine de jeunes migrants est menacée d'expulsion par le biais d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Le collectif Réseau éducation sans frontières (RESF) des Ardennes se mobilise pour éviter leur expulsion.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Entre 18 et 21 ans. C'est l'âge que possède une vingtaine de jeunes migrants qui a été accueillie, hébergée, et éduquée par les services de l'État français pendant plusieurs années (entre trois et cinq).
Depuis l'été 2022, la vie de ces jeunes est en suspens. Une obligation de quitter le territoire français (OQTF), ordonnée par la préfecture des Ardennes, plane au-dessus d'eux.
Ces OQTF ont été soumises à un recours devant le tribunal administratif (TA) de Châlons-en-Champagne (Marne), qui siège pour les quatre départements de la région Champagne-Ardenne.

Quatre tirailleurs, et bien plus derrière

La situation de ces jeunes a été récemment médiatisée car France Bleu a révélé que quatre d'entre eux avaient été figurants dans Tirailleurs, le film tourné dans les Ardennes (où ils vivent) avec Omar Sy. C'est exact, mais leur vingtaine d'autres camarades (au moins) est elle aussi menacée. 
Ce qu'a tenu à rappeler l'association s'en occupant, Réseau éducation sans frontières (RESF), laquelle a publié un communiqué. "Au-delà du caractère symbolique que revêt la menace d’expulsion de ces quatre figurants, le collectif de défense des droits des jeunes majeurs porte sa vigilance sur une
situation tant inédite dans le département qu’incompréhensible alors même que les patrons ardennais peinent à recruter"
, décrit ce dernier (lire in extenso via le lecteur ci-dessous).

Communiqué RESF08 by France3 Alsace on Scribd

Bien intégrés

Anne-Laure, bénévole de l'association, explique à France 3 Champagne-Ardenne que "Il y a une vingtaine de jeunes garçons - et de jeunes filles - qui n'ont pas tourné dans Tirailleurs. Mais ils ont fréquenté des écoles ardennaises, ont réussi leurs diplômes, ont fait des stages qui ont donné entière satisfaction à leurs patrons. Voire qui ont commencé à travailler. Et pour des raisons administratives, ces garçons et ces filles se retrouvent du jour au lendemain avec une OQTF depuis le mois d'août." 
"Ces jeunes gens attendent le résultat de leurs recours au tribunal administratif de Châlons, en attendant, ils ne peuvent pas travailler, suivre leurs stages... C'est une situation très précaire, très angoissante." En attendant que le recours aboutisse (ou non), les OQTF sont stricto sensu suspendues et leurs sujets sont libres de leurs mouvements... mais plus du tout de travailler.
Leurs contrées d'origine se trouvent en Afrique francophone : Mali, Guinée, Côte-d'Ivoire, Cameroun.

C'est une situation très précaire, très angoissante.

Marie-Laure, bénévole chez Réseau éducation sans frontières des Ardennes

"Quand ils arrivent en France, ils ont des rudiments de français. Comme ils sont souvent issus de milieux très pauvres, certains n'ont souvent jamais tenu un crayon. Ils apprennent tout à l'école... et apprennent bien. Ils sont extrêmement motivés et on très envie. Mes collègues en voie professionnelle disent que ce sont des éléments-moteurs dans ces classes-là. Ils sont très sérieux, très touchants aussi. On n'a rien à redire contre ces gamins-là."
"Ils choisissent la France parce qu'ils ont un idéal, en plus. Ils la voient comme la terre des droits de l'Homme. C'est donc encore plus douloureux quand ils reçoivent ces OQTF. Leur première réaction, c'est : 'qu'est-ce que j'ai fait, madame, je ne comprends pas?' Et ils cherchent quelle erreur ils ont pu commettre pour mériter cette punition, quelque part."

La préfecture dit faire ce qu'il faut

"Leur comportement n'est pas du tout en cause, ce ne sont pas des délinquants ou des personnes dont on ne sait pas quoi faire. On leur reproche d'avoir des papiers qui ne sont pas tout à fait aux normes européennes. Ça dépend. Parfois, il y a des papiers qui auraient été mal rédigés par la personne qui a renseigné leur date de naissance avant leur départ, sur place. On leur dit que ces papiers sont mal faits, après, ce sont les avocats et le tribunal administratif qui jugent "
"On se demande : pourquoi ne pas les régulariser ?" Interrogée par France 3, la préfecture tient à répondre que "les situations sont toutes instruites au regard du dossier transmis à la préfecture et des échanges avec les structures en charge du suivi des jeunes concernés. La date d'arrivée, les liens privés et familiaux, le respect de l'ordre public et le parcours de la personne, y compris son parcours d'inclusion dans la société caractérisé par la situation scolaire ou professionnelle, sont pris en considération." Sans ajouter d'autre commentaire.

La date d'arrivée, les liens privés et familiaux, le respect de l'ordre public et le parcours de la personne, y compris son parcours d'inclusion dans la société caractérisé par la situation scolaire ou professionnelle, sont pris en considération.

Préfecture des Ardennes

"Pourquoi ces jeunes gens-là qui sont irréprochables", interroge Anne-Laure. "Pour une histoire de papier ? Pourquoi ne pas leur permettre de s'insérer complètement dans la société alors qu'ils y sont déjà bien ? Ce qui me fait réagir aussi, c'est que tous les patrons qui les ont eus chez eux sont unanimes : ce sont des jeunes garçons et des jeunes filles qu'ils veulent garder." France Bleu a d'ailleurs interrogé l'un d'eux : pour lui, son apprenti est "parfait"

Après l'expulsion, ce à quoi s'attendre

"Beaucoup sont tout seuls et n'ont pas de famille", prévient Anne-Laure. "L'un d'eux avait été élevé par sa grand-mère, et quand elle est morte, il est parti. Ceux qui ont encore quelques parents comptaient sur leur départ pour qu'ils subviennent à leurs besoins, donc si ils reviennent, ce serait considéré comme un échec : au pays personne ne les attend."
Mais tous les arguments ne sont pas sociaux ou économiques. Il peut y avoir parfois "un danger. Il peut y avoir des situations plus dramatiques. On a des jeunes qui ont fui leur famille car le père voulait les exciser pour les marier : vous imaginez comment elles seraient accueillies ? On a aussi eu le cas de deux garçons qui auraient pu être réduits en esclavage par les chefs des villages d'où ils venaient, parce qu'ils étaient d'un ethnie qui est traditionnellement réduire en esclavage..."

Les patrons de petites entreprises démunis

"Ces jeunes ne peuvent plus être dans leurs entreprises", relance, amère, une autre bénévole qui préfère rester anonyme. "Ils étaient soit en apprentissage, soit en CDD, soit parfois en CDI, soit en contrat intérimaire. Beaucoup d'entre eux travaillent dans des métiers dits en tension, récemment mis en avant ces dernières semaines. Comme la restauration, l'artisanat, ou les petites industries ardennaises, notamment de la métallurgie et du bâtiment." (particulièrement dans les Ardennes, voir carte ci-dessous)

"Ce qu'on observe, et ce sur quoi on veut porter la vigilance du citoyen, c'est que ces jeunes ont été pris en charge par les services du département, comme le droit l'impose puisque les mineurs sont tenus d'être pris en charge. Ils ont été identifiés comme tels par les services à l'époque et par les jugements qui ont été prononcés sur le fait que du fait de leur minorité, ils devaient être pris en charge par les services sociaux à l'enfance. Tout ceci a eu un coût."
"Ils sont scolarisés : CAP, bac pro, lycée général parfois. Ensuite, certains d'entre eux passent par l'apprentissage, commencent à travailler comme tout jeune lambda français, ou recherchent du travail et cela passe souvent par l'intérim. Et ils arrivent à leur majorité. Là, ce qui s'est passé, c'est qu'au moment où ils deviennent majeurs, la préfecture réexamine leur dossier. Et parce qu'ils sont majeurs, souvent, on leur reproche quelque chose autour de la validité de leurs papiers. Qui parfois tiennent à une virgule ou un accent sur un document administratif."

Quand tout s'arrête du jour au lendemain

"Tout le projet du jeune s'arrête. Parce qu'en attendant le réexamen de la préfecture, les décisions du tribunal : plusieurs semaines, voire plusieurs mois s'écoulent. Ça dure parfois des années, où ces jeunes étaient insérés : des patrons ont témoigné. Pour nous, il y a là quelque chose de l'ordre de l'incohérence. Les services de l'État ont mis des moyens pour accompagner ces jeunes, construire des projets. Parfois ils jouent au club de football ou se sont faits des amis."
"Et c'est perturbant d'observer, en tant que simple citoyen, qu'au moment où ces jeunes sont proches de l'autonomie, voire autonomes et vont pouvoir subvenir à leurs besoins... Certains commencent à devoir déclarer des impôts... Et là, tout s'interrompt du jour au lendemain, alors que la situation est favorable pour tout le monde, jeunes et société. Parce que dans les Ardennes, ce n'est pas comme si on arrivait à beaucoup recruter." Des patrons ont d'ailleurs écrit des courriers indignés en ce sens à la préfecture.
"Cette procédure vient interrompre tout espoir par rapport à un avenir. Alors qu'on leur a expliqué qu'en allant à l'école, en passant leurs diplômes, en travaillant... C'est assez extraordinaire, ce qu'on a parfois observé d'un point de vue humain, pour des jeunes ayant des parcours tout à fait remarquables. Ce n'est peut-être 'que' des CAP ou de l'intérim, il peut y avoir des échecs aux examens. Mais apprendre à lire et à écrire à parfois quinze, seize ans : c'est d'une difficulté absolue."
"Mais ils y arrivent. Et ensuite font parfois jusqu'à vingt bornes à vélo pour faire les 3x8 chez Peugeot. Bien sûr, on ne fait pas d'angélisme, on a aussi parfois des situations plus complexes, des jeunes vont moins bien et l'insertion peut être plus difficile... comme pour n'importe quel autre jeune, français ou étranger. Mais ici, aucune des OQTF n'indique que ces jeunes sont inquiétés par la justice pour avoir commis une quelconque infraction."

Quand la précarité devient un argument

"On n'avait encore jamais vu une situation d'une telle ampleur sur la préfecture des Ardennes. On identifie et annonce 25 jeunes. Mais il y en a probablement d'autres derrière. Les conditions demandées sont respectées par quasiment chacun d'entre eux, mais la validité d'un document administratif remet tout en cause, document dont la préfecture disposait parfois depuis très longtemps..."
"On a aussi eu un autre motif d'OQTF récemment : la précarité, sur le prétexte que les jeunes sont en intérim. Cet intérim est pourtant présenté sous un tout autre angle par le gouvernement, qui vante sa souplesse et son adaptabilité... C'est le sort des gamins lambdas sur le territoire français, qu'ils soient étrangers ou non. Ça ne semble pas aberrant qu'un jeune de 18-19 ans qui vient de sortir de ses études commence à bosser en intérim avant de se stabiliser. Invoquer cette précarité à ce stade, c'est curieux." 
Que le motif soit administratif ou précaire, le résultat est là, avec des risques. "D'un coup, tout s'arrête. Les jeunes ont des doutes, des angoisses. Tout le travail mené par les différents acteurs sociaux, éducatifs : tout ce processus long et coûteux s'arrête. Les jeunes peuvent alors être tentés de tout laisser tomber et disparaître dans la clandestinité. Et tomber dans une vraie précarité."
La réponse du tribunal administratif est attendue pour la fin du mois de janvier 2023.

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité