A l’occasion de la semaine de la presse et des médias à l’école, Isabelle Moret, professeure documentaliste au lycée Paul Verlaine de Rethel, nous explique comment les jeunes s’informent et utilisent les réseaux sociaux.
Ils sont nés avec un smartphone entre les mains, mais n’ont pas appris à l’utiliser. Les adolescents d’aujourd’hui sont tous ou presque sur les réseaux sociaux. Et cela commence très jeune. A 10 ans, déjà, ils ont un compte Instagram, TikTok ou Snapchat. En France, officiellement, l’âge d’inscription légal à un réseau est de 13 ans. « Avant, c’est donc théoriquement interdit, on n’a pas tous les clés pour maîtriser ces outils », rappelle Isabelle Moret, professeure documentaliste au lycée Paul Verlaine de Rethel, dans les Ardennes. Sa mission : former les élèves aux médias et à l’information.
Depuis 10 ans, elle enseigne cette nouvelle matière devenue incontournable. Elle travaille actuellement sur l’identité numérique « comment se protéger par rapport aux réseaux, protéger sa réputation, limiter ses informations personnelles. » Différencier l’intime du public, pas facile à 15 ans de savoir ce que l’on peut ou non publier, partager. « J’explique à mes élèves que les données qu’ils laissent sur internet (photographies, numéros de téléphone, loisirs) peuvent être utilisées à mauvais escient. On doit pouvoir maîtriser l’image que l’on renvoie. » Dans son établissement, Isabelle Moret s’adresse à des collégiens, lycéens, mais l’enseignante regrette que cette éducation aux médias ne se fasse pas plus tôt, dès l’école primaire.
Par accident ou volontairement, mes élèves me disent qu’ils ont eu accès à des sites interdits aux moins de 18 ans. Ils ne s’en cachent pas, mais ne réalisent pas leur dangerosité
S'informer tout de suite en un clic
Cette année, la 32ème édition de la semaine de la presse et des médias à l’école (du 22 au 27 mars 2021) a eu pour thème "s’informer pour comprendre le monde."
Les adolescents sont à la fois hyper connectés et déconnectés de la réalité. Ils pensent maîtriser l’outil, mais manquent de maturité. Au lieu d’en être maîtres, ils en deviennent esclaves.
Ils veulent l’info, tout de suite, pour tout. Les collégiens et lycéens sont adeptes des chaînes d’info en continu. L’époque est à l’immédiateté. Les ados ne connaissent pas la patience, ils ont tout à portée de clic, alors pourquoi attendre ? Quand Isabelle Moret projette un film d’une durée de 2h30, c’est pour eux très compliqué. Ils ont l’habitude de formats très courts, visibles, par exemple, sur Youtube. "On peut difficilement leur demander de lire un article de 5 ou 6 pages", regrette l’enseignante. Il faut que ce soit rapide. Si c’est trop long, ils zappent. "La société est comme ça. On a adapté notre enseignement pour que leur concentration reste efficace."
TikTok, le réseau social controversé
"Les jeunes voient dans des émissions de téléréalité des célébrités qui s’exposent, ne font pas la différence entre vie privée et vie publique. Ces émissions ont une forme de responsabilité", ajoute la professeure. Les adolescents peuvent confondre, tout est mélangé, banalisé. Et les dérives peuvent arriver. Cyber-harcèlement, vidéos violentes, images pornographiques. "Il faut les accompagner, ne pas les laisser seuls. Par accident ou volontairement, mes élèves me disent qu’ils ont eu accès à des sites interdits aux moins de 18 ans. Ils ne s’en cachent pas, certains l’assument, ils ne se rendent pas compte de leur dangerosité", raconte Isabelle Moret qui rappelle l’importance des autorisations parentales avant un certain âge.
En ce moment, le réseau social TikTok pose question. Certains jeunes se mettent en scène, reçoivent ou font des remarques violentes, certaines vidéos montrent des images de harcèlement. "Les élèves nous en parlent beaucoup. Dans mon cours, je rappelle les risques encourus si l’on partage ou l’on filme une action violente. Je leur explique la citoyenneté." Quelques années en arrière, les jeunes pensaient être plus aptes que les adultes, plus doués sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, ils sont plus ouverts et ont compris que tout le monde les utilise. Ce qui donne lieu, en classe, à des débats plus intéressants où professeurs et élèves peuvent échanger sur l’utilisation de ces outils.
"Il ne faut pas diaboliser les réseaux sociaux mais les utiliser correctement"
L’établissement scolaire Paul Verlaine de Rethel est un lycée 4.0. Les professeurs utilisent beaucoup le numérique. Les élèves ont leur ordinateur, mais cela reste un outil de travail. Isabelle retrouve ses élèves toutes les deux semaines, ce qui permet de garder le contact. Pour elle, les réseaux sociaux ont des avantages comme des inconvénients. "Il ne faut pas les diaboliser, mais les utiliser correctement."
Depuis deux ans, avec internet ou la photographie numérique, ils font partie du programme de seconde générale. Le thème est suffisamment important pour devenir un sujet d’étude.
L’information, un produit de consommation comme un autre
Les élèves d’Isabelle Moret ont en moyenne 15-16 ans. Ils ne lisent pas Le Monde, mais s’informent, en majorité, sur BFM TV. Ils sont abonnés à des flux, ils reçoivent, dès le réveil, directement des notifications. Ils ont leurs réseaux sociaux de prédilection et n’ont pas la curiosité d’aller sur d’autres médias. Ce qui les enferme parfois. La professeure documentaliste leur apprend justement à aller vers l’info (et non l’inverse), à croiser les sources, faire la chasse aux fake news (fausses informations), rechercher l’info, la sélectionner, la hiérarchiser. "Depuis une dizaine d’années et l’explosion de Facebook, les réseaux sociaux font partie des médias, il faut les aborder. Les adolescents pensent les maîtriser, mais quand on creuse, on se rend compte que ce n’est pas le cas. On doit les accompagner dans ces pratiques."
L’éducation aux médias n’est pas innée, cela s’apprend. Aujourd’hui, les jeunes ne regardent pas la télévision ou très peu, dans un cadre parental ou pour des émissions particulières. Ils n’utilisent quasiment plus Facebook, mais Instagram, Snapchat ou TikTok. Dans leurs recherches, ils privilégient les informations de proximité, sportives ou culturelles (cinéma, musique), les questions politiques ou économiques ne les intéressent pas.
L’information est devenue un produit de consommation comme un autre. Cependant, depuis mars 2020, le premier confinement les a obligés à réfléchir sur ce qu’ils recevaient. Leur regard est devenu plus critique, sur les notifications par exemple.
En ces temps confinés, ces applications leur permettent aussi de garder le contact, d’avoir des nouvelles de leurs proches. Les réseaux sociaux font partie de leur vie. Un peu comme des amis. Il suffit d'un mauvais usage pour qu'ils deviennent leurs ennemis.