Vendre à perte du carburant, c'est l'idée du gouvernement pour faire baisser les prix à la pompe en septembre 2023. En 1985, c'était une réalité dans des stations des Ardennes. L'occasion d'une passe d'armes entre concurrents en justice et dans les pages de la presse locale.
Ces derniers jours, la vente à perte a été présentée par le gouvernement comme une solution pour faire baisser le prix de l'essence à la pompe. La proposition qui était prévue pour s'appliquer pour six mois à compter de décembre, n'a pas eu le succès escompté. Carrefour, E.Leclerc, Intermarché et Système U ont tour à tour annoncé ne pas vouloir utiliser cette possibilité, qui doit être rendue possible par une modification de la loi.
Car depuis 1963, année de l'installation du premier supermarché en France, la vente à perte est interdite par la loi. Ce qui n'a pas empêché certains de s'autoriser de franchir la ligne jaune. Pour le carburant, c'était le cas par exemple en 1985, à Rethel dans les Ardennes.
Les magasins Intermarché du secteur avaient alors décidé de frapper fort, en vendant le super à 4,77 francs le litre. "C'est le record de France, mais surtout, c'est la première fois en France que le super est vendu à perte", notait le journaliste de FR3 Champagne-Ardenne dans un reportage diffusé en février 1985 et repéré par nos confrères de l'émission C à vous sur France 5.
Bataille à coup de pages de pub
Le concurrent, Stoc, proposait le litre de super à 5,29 francs le litre. Il avait aussitôt porté plainte pour concurrence déloyale. Pour lui répondre, Intermarché avait choisi de prendre la parole par l'intermédiaire d'une pleine page de publicité dans la presse locale. "Merci Stoc, vous faites la démonstration éclatante qu'Intermarché est le moins cher."
La passe d'armes ne s'était pas arrêtée là, avec une pub de Stoc pour répondre à son concurrent. "Non, monsieur le Mousquetaire, vous ne faites aucune démonstration. Stoc a été le premier le moins cher concernant l'essence. Stoc se bat sur le front des prix en respectant la loi."
"Aujourd'hui, une pratique se développe. Pas mal de succursalistes prennent trois ou quatre produits et les vendent à perte pour appeler la clientèle. Nous avons voulu démontrer que sur ce créneau, nous pouvons aussi les battre", se justifiait le responsable d'Intermarché, Jean-Pierre Michel. Interrogé sur le risque de se faire rappeler à l'ordre par la direction de la concurrence et des prix, il ne se démontait pas. "Faites le ménage chez vous, condamnez les gens qui vendent à perte et ensuite, condamnez-nous !"
Près de quarante ans plus tard, la guerre des prix fait toujours rage, mais sans la vente à perte. En ce 21 septembre 2023, l'Intermarché de Sault-lès-Rethel vend son SP95-E10 à 1,942 euro le litre. Le Stoc de Rethel, ou plutôt devrions-nous dire le Carrefour de Rethel, propose exactement le même prix. Même chose pour le gazole, 1,929 euro le litre pour les deux enseignes.