Rétrogradé en National 2 par la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) de la ligue professionnelle de football, le club de foot de Sedan a fait appel de la décision. Son président Marc Dubois et toute l'équipe juridique et financière qui l'entoure ont jusqu'au 4 juillet pour présenter des comptes à l'équilibre à la commission d'appel.
"Tout est brouillé par la décision d'appel du 4 juillet prochain, mais nous avons un vrai projet, mature".
Ces mots, ce sont ceux du président du CSSA, le club de football de Sedan, Marc Dubois. C'est presque une montée en Ligue 2 qui se joue pour lui et pour le club. Si ce coche-là est loupé, "ce ne sera pas un drame, nous reconstruirons depuis la National 2, mais je ne suis pas dans cet état d'esprit là". Mais si la commission d'appel décide de maintenir le club en National, il faudra compter sur des mécènes, des partenaires, nombreux, solides et fidèles.
La fédération avait envisagé de former une Ligue 3 professionnelle. Mais le nouveau président a précisé que ce n'était plus à l'ordre du jour
Marc Dubois, président du club de Football de Sedan
Pour que l'investissement du mécène Marc Dubois, 14 millions d'euros depuis 2013, ne soit pas de la pure perte, il faut de l'ambition, et il en a pour son club mais aussi pour l'ensemble du football français. Il est d'ailleurs devenu président de l'Union Patronale des Clubs amateurs français en janvier dernier. Son objectif, faire bouger les lignes pour structurer ces clubs soi-disant amateurs. "Il faut un nouveau modèle économique pour ces clubs. Dans notre championnat cette année, il y avait des joueurs payés 25 000 euros par mois, explique-t-il. La réforme des clubs mise en place condamnait, dans chaque championnat, 6 clubs sur 18 cette année et ce sera pareil la saison prochaine. Il faut tenir sportivement. Une réforme des clubs qui entraîne aussi une baisse de subvention fédérale de 35%. Et en échange, la fédération avait envisagé de former une Ligue 3 professionnelle. Mais le nouveau président a précisé que ce n'était plus à l'ordre du jour".
Quasiment, voire impossible, d'être à l'équilibre pour un club de National dans ces conditions. "C'est une obsession constante pour moi depuis 10 ans que je suis à la tête du CSSA. Mais après discussion avec mes enfants et vu la somme engloutie, c'est totalement hors sol, nous avons décidé de ne pas continuer ainsi. Un club ne peut tenir avec un seul mécène"
Un modèle économique transfrontalier
Marc Dubois et son équipe travaillent sur le dossier depuis des années. Et plus spécifiquement depuis 6 mois, sur l'ouverture au capital à de nouveaux partenaires et sur un modèle économique original.
"Nous souhaitons mettre en place des alliances transfrontalières avec des clubs luxembourgeois, belges voire même allemands avec lesquels il n'y a pas de rivalités. L'objectif est de créer des alliances sportives, économiques et sociétales. Trouver des synergies entre nos communautés de sponsors, mécènes et supporters avec la mise en place des valeurs autour de la santé, la prévention dont la lutte contre la sédentarité et l'insertion professionnelle". Et tout cela sera bientôt acté. Le club ardennais sera le premier ou l'un des tout premiers clubs de football professionnel français à devenir un club à mission. "Cela a été introduit grâce à la loi Pacte et ces missions sociales et sociétales seront ajoutées à nos statuts".
C'est ce qui fait la beauté de notre sport, cette identité. Nous avons de l'ambition mais sans lien capitalistique.
Marc Dubois, président du CSSA
Trouver une "utilité" aux clubs de football professionnels ou semi-professionnels. Les ancrer dans la société, alors qu'ils sont plutôt, de par l'argent qui y circule, en marge de la réalité et du quotidien de la population. "Nos missions seront environnementales, un grand classique en ce moment, mais indispensable, poursuit Marc Dubois. Mais aussi nous sensibiliserons à la santé physique, mentale et sociale. Dans un club de sport, on met souvent le focus sur la jeunesse et ces 1 ou 2% qui réussissent à faire une carrière. C'est dommage de ne pas s'occuper des 98% restant".
Résister
Le sport attire les jeunes. Le football est le premier sport français en nombre de licenciés, alors pourquoi ne pas se servir de cette notoriété pour servir une cause. Une cause pour tous ceux qui franchiraient la porte du CSSA. Voilà le projet ambitieux de Marc Dubois et de son équipe. À l’opposé, presque, d'un football professionnel qui vend, pour ceux qui l'aime, du plaisir, du rêve parfois avec une ascension sociale encore possible, mais rare. Mais le tout, à coups de millions d'euros. A coup de rachats des clubs français par des fonds américains, qataris ou saoudiens. "Avec le gros risque qu'un jour, ces puissances financières décrètent l'organisation de leur propre Champion's League comme c'est déjà le cas dans d'autres sports comme la Formule 1 où les fédérations ont totalement perdu la main. Je pense que ce n'est pas une bonne chose. J'étais à Lyon, il y a quelques jours. Lyon, avec son président emblématique, Jean-Michel Aulas, mis sur une voie extérieure en 5 minutes. Etre un club à mission, c'est une façon de faire de la résistance pour garder les clubs identitaires. C'est ce qui fait la beauté de notre sport, cette identité. Nous avons de l'ambition mais sans lien capitalistique. Tout cela, ce ne sont pas mes valeurs". Le club de rugby de Niort, mais aussi le basket féminin de l'ASVEL, le club de foot de Lyon La Duchère ou encore l'Aviron Bayonnais sont devenus en 2022 des clubs à mission. Chacun a inscrit ses objectifs sociétaux dans ses statuts et s'est engagé à promouvoir un monde meilleur bien au-delà de la rentabilité.
Un rôle de santé publique et d'insertion professionnelle
Lutter contre la sédentarité, "4e cause de mortalité dans le monde, explique le président du CSSA. Plus de deux heures d'écran par jour et moins de 30 minutes de sport = sédentarité. Utilisons l'attractivité de nos clubs, attirons les jeunes et les moins jeunes et montrons que nous pouvons agir dans ce domaine". Tout comme dans l'insertion professionnelle qui devient pour le CSSA un engagement fort du projet du club. "Nous voulons travailler avec les lycées, les écoles supérieures et créer un maillage territorial. Nous serions en complément de ce qui existe déjà, pas question de se substituer à quelconque organisme. Nous souhaitons mettre en place un pôle de mécénat avec les entreprises et ainsi créer des passerelles entre le milieu des entreprises privées, publiques et les jeunes en recherche d'emploi. J'étais au Grenelle de l'emploi à Paris, il y a 15 jours, utiliser un club sportif, sa communauté pour créer de la valeur universelle, voilà notre ambition.. Nous allons mettre en place un club d'entreprises pour co-construire ce programme et travailler avec les services d'insertion de la ville de Sedan".
Donner du sens. Être un modèle qui rayonne sur tout un territoire. Apporter des moyens à une ambition sportive bien au-delà du mécanisme mécène argent. "On n’abandonne pas le club. On l'accompagne et on le met dans de bonne disposition pour le pérenniser. En 104 ans d'existence, finalement, jamais le club n'a été pérennisé. Il faut trouver la solution pour cela et l'innovation économique et sociale".
Le projet est là, ambitieux. Et il faudra du temps pour le mettre en place. Un projet présenté depuis quelques semaines à de potentiels sponsors, mécènes ou actionnaires. Car l'urgence est de trouver la solution pour maintenir le CSSA en National. La bagarre est permanente. Elle durera encore une semaine, jusqu'au 3 juillet au soir.
"Il manque entre 500 000 et 800 000 euros"
Le président du CSSA se bagarre aussi contre les petites phrases entendues ou lues ici où là. "Quand je lis que le club est au bord du gouffre... Quand je l'ai repris il y a 10 ans, oui, il y avait un trou de 12 millions d'euros, s'exaspère un peu Marc Dubois. Aujourd'hui, il manque entre 5 et 800 000 euros". Pourquoi ces chiffres ? Les 300 000 euros de différence correspondent en fait à une provision demandée par la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG). "Nous avons trois contentieux aux prud'hommes et des demandes d'indemnisation de 350 000 euros. Nos experts-comptables, la société KPMG, qui ne sont pas des débutants, ont provisionné 60 000 euros. Les clubs professionnels ne sont pas astreints à provisionner la totalité des contentieux. Je ne comprends pas pourquoi la DNCG nous demande de le faire".
300 000 euros qui grèvent un peu plus le budget qu'il faut rééquilibrer d'urgence. "C'est très très pénalisant, mais on travaille sur 800 000 euros à trouver, on ne prend pas de risque". Et puis, il y a aussi les 300 000 euros de frais supplémentaires liés à la gestion du stade Dugauguez. "Nous avons géré le stade jusqu'en décembre 2022. Pour cela nous recevions une subvention de 300 000 euros. Mais sur l'année 2022, les coûts, liés à l'énergie notamment, ont explosé et nous nous sommes retrouvés avec une facture non pas de 300 000 euros de frais mais de 600 000 euros."
Ardenne Métropole a apporté 100 000 euros de subvention exceptionnelle et Marc Dubois espère la même somme de la part du département et de la Région. Si c'est le cas "nous serons à 0 euro de dette. Pas de dettes structurelles ni courantes." Autre message à faire passer à certains détracteurs : "le projet tourisme ne se fera pas sur le site de Montvillers à Bazeilles. J'ai souvent entendu dire que nous avions racheté le club pour cela, ils se trompent. Ce projet verra bien le jour mais pas à cet endroit".
Rester en National et remonter
Le projet sportif du président du CSSA reste le même. "Notre ambition est de remonter en Ligue 2 dans les deux ans", précise encore Marc Dubois. Un objectif clair porté par ce nouveau projet de club à mission s'appuyant aussi sur des institutions et des infrastructures. Le business plan sur 5 ans est finalisé et le pari fou engagé. La dernière semaine de juin sera cruciale pour "finaliser les discussions avec les partenaires potentiels et être prêts au niveau juridique et comptable. Aujourd'hui, les clignotants sont au vert concernant les contacts qui me paraissaient favorables. Et puis, il y aura les négociations de dernière minute avec d'autres. Ce serait ahurissant de rétrograder en National 2, quand on voit les efforts sportifs accomplis". L'équipe termine effectivement 7e du championnat de National, et si sa destinée 2023-2024 est de rester en National, il faudra absolument tenter cet équilibre fou d'être sportivement compétitif et financièrement équilibré. "Aujourd'hui, dans le football professionnel, seuls les clubs de Ligue 1 réussissent à équilibrer leurs comptes et cela se joue sur les recettes de leurs transferts".
Les joueurs sedanais peuvent compter sur des infrastructures nécessaires à une remontée en Ligue 2. Le château de Montvillers à Bazeilles, siège du club, centre d'entraînement, avec des locaux dédiés à la formation, à l'arrêt pour l'instant. Et puis le stade Dugauguez à Sedan. "Les partenaires actuels ou futurs m'interrogent sur la gestion du stade. Depuis 23 ans, Dugauguez n'a pas fait l'objet de l'entretien nécessaire pour rester un outil adapté. Mais, pouvoir compter sur un stade c'est déjà extraordinaire. Regardez Concarneau qui monte en Ligue 2, ils n'ont pas de stade homologué. Le nôtre existe mais encore faut-il, à minima, avoir une pelouse qui tient la route. Nous avons eu la chance de jouer sur notre terrain sans qu'il y ait de blessures. Récemment un arbitre me disait qu'il était content que le match se termine car il craignait de se blesser. Il faut aussi savoir qu'en Ligue 2, un classement des pelouses détermine les droits télé. La pelouse, c'est le poste le plus contraint".
Marc Dubois, accompagné de son équipe et du maire de la ville de Sedan, Didier Herbillon, auront tout donné pour voir leur club, l'ADN de tout un département, rester en National. La commission d'appel décidera le 4 juillet prochain du sort du CSSA.