Aube, Marne... mais d'où viennent ces étranges boutons qui grattent ?

Plusieurs dizaines de personnes ont attrapé des boutons inhabituels dans l'Aube et la Marne depuis le retour de l'été. Et on ne sait pas exactement ce qui les cause : plusieurs hypothèses sont possibles, des chenilles urticantes aux piqûres de mouches mangeuses de sang.

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Des boutons à l'origine mystérieuse, des démangeaisons qui durent plus d'une semaine... On pourrait croire que des moustiques géants échappés d'une partie de Jumanji piquent et sévissent dans l'Aube et la Marne.

Hélas, d'après les retours de certaines personnes piquées (si ce sont des piqûres), les produits pour repousser les moustiques seraient... totalement inefficaces. Il ne s'agit donc pas de ces insectes qui ont fait leur retour en même temps que le soleil estival.

Difficile alors de trouver le coupable si ce n'est pas le moustique. Il n'y a pas (encore) d'étude à ce sujet, et les experts en sont réduits aux hypothèses et autres conjectures.
 

Pour une fois, le moustique n'est pas le coupable... (via GIPHY)

 

Ça gratte fort, et on ne sait pas pourquoi

Françoise Munier est l'une des infortunées victimes de ces boutons. Ceux-ci peuvent être impressionnants mais ils ne sont apparemment pas accompagnés d'autres symptômes (il ne manquerait plus que ça).

Pour cette jeune retraitée, tout a commencé après une intense tonte de son jardin, "dans un état terrible" après ses vacances, le jeudi 10 juin 2021. Elle vit dans les hauteurs d'Épernay (Marne), plus précisément à Champillon. C'est un village qui se trouve en bordure de forêt (voir sur la carte ci-dessous).
 


"Deux jours après, j’ai commencé à avoir des boutons un peu partout. Alors je me suis dit que j’avais été piquée par des moustiques. Sauf que ces piqûres, ça dure en général deux-trois jours. Et là, ça a persisté, certaines d’entre elles ont pris un aspect un peu bizarre. C’est-à-dire qu’elles avaient un petit trou au milieu du bouton qui se mettait à saigner, et devenait une petite croûte au bout de deux jours. Je me souviens que quand mes enfants ont eu la varicelle, en cicatrisant, ça leur a fait ce genre de petits boutons avec croûtes. "

Françoise Munier a d'abord pensé à une morsure d'araignée. "Sauf que j’en ai eu à peu près six ou sept sur le cou, à peu près autant sur chaque bras, sur l’abdomen, à l’arrière des cuisses... Depuis, ça ne se passe pas, ça démange très fort." Et l'Apaisyl ne fait pas de miracle... 
 


"Curieusement, mon mari n’en a pas. C’est étrange : on vit pourtant au même endroit. C’est pour ça que j’ai pensé que c’était après cette journée dans le jardin que je m’étais fait piquer... En plus, de nouveaux boutons sont apparus bien après cet épisode du jardin, par exemple sur ma cheville." 
 

Ça pourrait être des simulies : l'hypothèse d'un pharmacien

Ces boutons peuvent faire penser à ceux de la varicelle, on l'a vu précédemment. Mais les porteurs et porteuses de ces satanés boutons parlent aussi parfois de piqûres de punaises de lits. Un pharmacien de l'Aube en a vu passer des dizaines, et formule - très prudemment - une hypothèse. 

"Dès le retour de la chaleur, on a ça. Et ça fait trois ou quatre ans. Je vais contacter le centre de parasitologie de Reims, ça m’étonne qu’ils ne soient pas en train de chercher ce qui provoque ça. Je ne suis pas un spécialiste et je ne parle pas pour la profession des pharmaciens, ce ne sont que mes observations au comptoir, mais je pense qu’il faut alerter. Tous les ans, c’est la même chose. Et aujourd’hui, on n’a pas d’articles scientifiques sur ça."

"J’ai appelé un pharmacien de Bar-sur-Seine... On en parlait. Il me disait que ceux dans les vignes, en train de faire le palissage, sont dévorés par ce truc-là." 
Les retours existent bien. Le pharmacien compte les mettre à profit via une démarche scientifique, en photographiant les boutons, en recueillant les témoignages, en notant scrupuleusement les périodes où se produit le phénomène.
 


"On a ces gens qui viennent au comptoir, qui ont des piqûres. Je pense que c’est la simulie, mais je n’ai pas de certitude. Une petite mouche noire qui, apparemment, provoquerait ces piqûres [elle est hématophage, c'est à dire qu'elle se nourrit de sang; ndlr]. Les gens viennent au comptoir, disent que ça ressemble à des piqûres de puces... On entend de tout."

Citée par nos collègues de l'Union, l'agence régionale de santé (ARS) avance qu'il pourrait s'agir de chenilles processionnaires du chêne, ou encore d'aoutats. Sollicitée par France 3 Champagne-Ardenne, l'institution maintient ces éléments. Le pharmacien aubois est moins convaincu. "Ici, on n’a pas de chênes... Et on a ces piqûres même dans des zones qui ne sont pas boisées, périphériques. On en trouve un peu partout, plutôt aux alentours des villes, où il y a des rivières qui coulent. Après, attention, je n’en ai aucune certitude scientifique. C’est juste ce que je vois."

"Et ce n’est pas les mêmes symptômes. Ces chenilles, ça peut créer des lésions quand on se gratte, mais ça ne ressemble pas à ça… Ici, c’est très caractéristique, c’est quelque chose de très différent des piqûres de moustiques, d’araignées, etc. On sait que c’est autre chose, mais pas quoi."
 

On sait que ce n'est pas des moustiques, des araignées... On sait que c'est autre chose, mais pas quoi.

Un pharmacien dans l'Aube


"On ne croit pas trop non plus que ce soit des aoutats – même si on se trompe peut-être – car les aoutas, ça ne ressemble pas à ça. D’habitude, ça se balade, ça pique plutôt dans les plis de la peau. Alors qu’ici, toutes les parties du corps exposées sont touchées; celles sans vêtements, en contact avec le soleil. Un moustique aurait piqué à travers les vêtements, par exemple."

En tout cas, une maison de champagne - qui a tenu à rester anonyme - confirme, sans aller jusqu'à dire qu'elles sont "dévorées", que les personnes effectuant les travaux de palissage dans ses vignes ont fait des retours sur ces piqûres... qui pourraient venir d'aoutats. Difficile d'y voir clair.
 

L'avis d'un entomologiste

Christophe Brua est entomologiste, c'est à dire qu'il s'agit d'un spécialiste des insectes. Il œuvre à la Société alsacienne d'entomologie, et pense de son côté que la chenille processionnaire pourrait être la coupable. "Les simulies, ce sont de petits moucherons, plus petits qu’un moustique et un peu globuleux, qui sont assez agaçants. Ils rentrent dans les oreilles, sous les cheveux... C’est un désagrément. Mais de là à ce qu’il y ait des pustules ?" Après, il existe beaucoup d'espèces de simulies : ça reste à voir.

"L’autre piste pourrait être les poils de [chenilles] processionnaires du pin. La processionnaire du pin est plutôt présente dans la région méditerranéenne. Chez nous, il y a la processionnaire du chêne. Leurs poils peuvent voler dans le vent, ça peut être très urticant et le rester longtemps. Même après que les chenilles ont fait leur cycle de développement et laissé leur nid vide, ces poils restent très urticants, parfois toute une année. Donc si ils s’envolent, ou qu’ils tombent par terre dans un parc par exemple et que ça se propage..."
 

Les poils des chenilles processionnaires peuvent voler dans le vent, ça peut être très urticant et le rester longtemps.

Christophe Brua, entomologiste


Les gens ne peuvent pas voir si un poil urticant de chenille les a touchés... poil qui "pourrait aussi provoquer des pustules sous les vêtements une fois ceux-ci contaminés. Les simulies piqueraient les zones du corps accessibles." 

Une étude est donc nécessaire. "Il faudrait corréler ça avec la présence de nids sur les chênes, ou sur les pins... Celle du pin est une espèce plutôt méridionale, mais une étude de l’Inrae [voir vidéo ci-dessous], qui travaille sur cette espèce, montre qu’elle est en pleine expansion. C’est une espèce du sud, mais qui se propage vers le nord. Un foyer avait été repéré en Île-de-France, en Alsace aussi à Obernai [et à Reims; ndlr]. Ce serait une piste."
 


L'expert en insectes ne se prononce pas sur les aoutats... qui sont des arthropodes. Comme les araignées. Et suggère que ces boutons pourraient avoir une origine "multi-factorielle". C'est à dire qu'"il pourrait y avoir les deux en même temps, simulies et chenilles : ça brouillerait le diagnostic... C’est aussi une éventualité." On n'y avait pas songé. Reste à voir ce qu'en pensera le centre de parasitologie de Reims...
 

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