"Si j'écris, c'est pour être sûr que j'existe encore" : dans la prison centrale de Clairvaux (Aube), un atelier d'écriture réunit une fois par mois quelques détenus condamnés à de longues peines qui cherchent dans les mots une échappatoire à la réclusion.
"Ici on s'évade grâce à nos écrits mais sans se faire la belle en vrai", plaisante Djamel qui, à bientôt 50 ans, aura passé presque la moitié de sa vie en détention. "L'écriture nous permet de mieux se connaître, d'exister encore, c'est libérateur même si les mots qui nous viennent sont souvent durs et tristes. En prison, même quand on parle des fruits, ils sont souvent amers", lâche-t-il.
Ici on s'évade grâce à nos écrits mais sans se faire la belle en vrai
Djamel, 50 ans
De la prison au festival Ombres et Lumières
Depuis cinq ans qu'il participe à l'atelier d'écriture, certains de ses textes ont franchi les hauts murs ultra-sécurisés de la centrale pour être récités ouchantés dans le cadre du festival de musique "Ombres et Lumières" qui se tient fin septembre dans l'ancienne abbaye cistercienne du 12e siècle, en bordure de la prison.
Les textes, dont certains portent la signature du terroriste Carlos ou de Régis Schleicher d'Action Directe, incarcérés un temps à Clairvaux, servent ainsi de matériau à des compositeurs, comme Thierry Machuel ou plus récemment Philippe Hersant, dont les créations constituent le point d'orgue du festival.
Une parole libérée
"Entre les détenus et moi il y a une relation de confiance très forte, ils ont leur part d'ombre bien sûr mais c'est ce qu'il y a de positif et d'intense en euxqui m'intéresse et qu'il faut valoriser pour qu'ils puissent se réhabiliter un jour", explique Mme Sallé. Chaque mois, elle retrouve quelque six détenus pour trois heures de travail dans la salle d'activité au bout d'une coursive où résonne le bruit des innombrables grilles continuellement actionnées par les gardiens.
Dans ce local de la taille de trois cellules où le plafond peint par d'autres prisonniers figure un ciel bleu où flottent quelques nuages, les auteurs sont invités à lire à haute voix leur texte dont le thème a été défini à l'atelier précédent. Certains, étrangement timides, délèguent l'exercice à un voisin, et les heures passent à discuter syntaxe, vocabulaire, et des moyens d'améliorer la prose. "C'est le travail d'un groupe soudé et très respectueux les uns des autres, le temps aussi d'une parole libérée", raconte Anne-Marie Sallé.C'est ce qu'il y a de positif et d'intense en eux qui m'intéresse et qu'il faut valoriser
Anne-Marie Sallé
Des textes récités le 25 septembre prochain
Alors que l'abbaye fondée par Saint-Bernard en 1115 célèbre son 900e anniversaire,les détenus ont travaillé sur le thème de la double identité du lieu : réclusion monacale et carcérale, avant le concert d'ouverture le 25 septembre où les textes des prisonniers seront lus lors d'un récital de piano. "Je suis confronté à cette muraille médiévale, du haut de ses 900 ans elle me nargue et m'impose la méditation, la privation, la patience et l'expiation de mespéchés dans la soumission", écrit ainsi Djamel dans sa dernière copie.
Un atelier thérapeuthique
Rares sont les textes où l'enfermement, la solitude, le regret ou la souffrance n'affleurent pas à chaque ligne jusqu'à l'obsession, comme le souligne un autre détenu qui signe sa prose du pseudonyme de "Carthagenois". "C'est un travail thérapeutique, parce que l'image qu'on a de soi est si horrible",affirme l'homme à la carrure d'athlète. "Les mots, c'est toujours plus nobles que les poings, je montre que je peux exister autrement que par la violence et ne pas être réduit à l'acte qui m'a conduit ici", poursuit-il.
Avant l'été, les détenus de l'atelier ont écrit et enregistré une fiction radiophonique pour RFI (Radio France internationale) dont la diffusion est prévue fin septembre, à l'occasion du festival Ombres et Lumières.