Dans l’Aube, les jeunes décrocheurs font l’objet depuis janvier d’un programme de soutien coordonné par le Département. Son fer de lance est une structure baptisée Dynamo. Elle accueille des 16/ 25 ans qui ne sont ''ni dans l’emploi, ni en études, ni en formation.''
Des vrombissements de perceuses ou des marteaux frappés énergiquement : dans le jardin du restaurant Les Oiseaux de Passage cette semaine, une petite bande de menuisiers d’adoption s’affaire pour fabriquer des cadres en bois… Dans leurs rangs, 4 stagiaires de la structure d’insertion troyenne Dynamo créée en mars 2020. Sous la houlette de deux architectes troyens, ils vont remplir les cadres de torchis à base de terre locale puis les alvéoler à l’aide de bouteilles en plastique recyclées. Le tout sera installé à la Kantinetik de Troyes, le réfectoire du Rucher Créatif.
''Le bricolage n’est pas forcément mon ami !'' avoue Léa, 19 ans, entre deux actions pourtant pleines d’assurance. ''Moi ce que j’aimerais faire c’est de la vente, dans le textile ou l’agro-alimentaire. Mais les personnes qui dirigent le chantier nous ont expliqué à quoi cela allait servir. C’est un mur qui devrait insonoriser le réfectoire… je trouve ça utile !''
''Il faut voir sur la semaine, bien sûr, commente Antoine Dierstein mais pour le moment ces stagiaires ne passent pas leur temps sur leur téléphone, ils ne font pas 50 pauses pipi ou cigarettes ! C’est un bon début.''
Attirer les décrocheurs avec un enseignement moins rigide
Cette activité constructive n’est qu’une des nombreuses facettes de Dynamo, un dispositif destiné à repérer et aider des jeunes dits invisibles ou décrocheurs…
A Troyes, sur le mail des Charmilles, une équipe de 5 salariés de l’association Aurore Foyer aubois a créé un nouvel espace d’accueil ouvert 5 jours sur 7 de 9h à 17h.
Des enseignements traditionnels y sont proposés comme le français, les mathématiques ou l’anglais, mais aussi des ateliers très ludiques comme de la musique assistée par ordinateur, du slam, du jardinage ou de la cuisine.
''Nous travaillons tous les savoirs, savoir-faire, savoir-être mais surtout aussi beaucoup la confiance et l’estime de soi'' précise Carine Petit, cheffe de service.
Car le secret pour attirer et maintenir l’attention de jeunes éloignés de l’emploi, c’est d’adopter des méthodes et un ton différent !
Mieux maîtriser ses émotions
Ce matin, Gaëlle, conseillère en insertion professionnelle chez Dynamo, semble avoir fait mouche auprès des stagiaires. Pour un atelier sur les émotions, elle a choisi de diffuser une minisérie dénichée sur la toile ''Et tout le monde s’en fout'' qui évoque l’intelligence émotionnelle. Brillante sur la forme et documentée sur le fond, elle sert de base à une mise au point sur la colère ou la peur par exemple… ''Vous avez entendu, nos peurs ne sont fondées qu’à 8% sur des menaces concrètes !'' reprend Gaëlle. ''Et la colère, c’est souvent parce que notre système de valeurs est différent de celui de l’autre. Se mettre à la place de votre interlocuteur vous permettra de mieux le comprendre et cela peut la désamorcer.''
Après le film pas d’interrogation écrite mais un questionnaire à choix multiples auquel Lisa, Sullivan et Léa répondent via leur téléphone portable.
''Ce n’est pas comme à l’école'' réagit Lisa, 18 ans, déçue par ses années de formation en service à la personne.'' Ici, on fait d’autres choses plus intéressantes. C’est plus ouvert, je trouve !''
‘Surtout Ils ne jugent pas, ils sont à notre écoute. Ils nous aident pour les démarches. Il y a du soutien''… estime Léa.
Quant à Sullivan, 17 ans, il est très enthousiaste et explique courageusement son parcours. Je suis allé jusqu’au brevet en 3e mais depuis, je ne suis pas parvenu à retrouver une scolarité. Ici, j’arrive à progresser et à m’aventurer !
On est moins nombreux, plus en sécurité…'' Une sorte de cocon qui comprend un accompagnement individuel et collectif.
L’Aube très concernée par le décrochage
Pour participer à ce programme, les jeunes doivent avoir entre 16 et 25 ans et n’être ‘’ni dans l’emploi, ni en études, ni en formation.’’ Selon Eurostat, en 2018 la part des jeunes ayant ce profil était de 16,6% dans l’Aube contre 14,2% à l’échelle du Grand Est. Le Conseil départemental a donc décidé de se mobiliser en répondant à un appel à projets de la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi Grand Est). Il a bénéficié d’une subvention de l’Etat de 875 000 euros dans le cadre du Plan Pauvreté. Des fonds régionaux et départementaux s’y ajoutent.
Un consortium a été créé qui comprend de nombreux acteurs aux côtés de l'association Aurore comme les Missions locales, ou l'Adapt.
Plus on s’occupe tôt des publics éloignés de l’emploi, moins la mission est difficile
''Les jeunes nous rejoignent grâce aux Missions locales, ou au bouche-à-oreille'' précise Carine Petit, la cheffe de service. ''Pour déverrouiller la situation de certains, 10 places au foyer d’hébergement des jeunes travailleurs du Pont de la Pielle leur sont réservées. Nous en suivons 22 actuellement pour une durée maximum d’un an.''
''En Ile de France où Dynamo a été testé, les résultats ont été probants. Il s’agit pour nous de les ramener dans un dispositif de droit commun : formation, stage, première mission…'' conclut Carine Petit.
''Moi en tout cas, j’espère pouvoir gagner en autonomie, mieux rédiger mes projets… et aussi trouver un futur travail'' affirme Sullivan avec conviction.
Hors de Troyes, d’autres ''invisibles''
Et parce qu’il n’est pas question de tout cantonner à Troyes, deux annexes ponctuelles de Dynamo pourraient s’ouvrir à l’automne à Nogent-sur-Seine et en 2021 à Vendeuvre-sur-Barse. En attendant, des efforts importants ont déjà été fournis par les Missions Locales de la Côte des Bar ou du Nord-Ouest Aubois pour aller vers elles aussi vers les jeunes adultes dits invisibles. Deux postes de conseillères itinérantes ont été créés sur chacun de ces territoires.
''Nous assurons des permanences dans les mairies et nous communiquons beaucoup via les réseaux sociaux pour faire venir les jeunes'' affirme Laurie Dufaut la référente pour la Mission locale de la Côte des Bar. Nous organisons des ateliers d’expression ou des entretiens individuels.''
''Ce qui fonctionne avec ce public, c’est l’immédiateté'' note Yousra Bourass qui officie elle pour la Mission locale du Nord-Ouest Aubois. ''On ne peut plus se permettre de consacrer le premier rendez-vous à une inscription, ils doivent repartir tout de suite avec un premier CV !''
Savoir donner du temps ou l’accélérer? Avec Dynamo et les autres acteurs du département il reste du ''pain sur la planche''. Avant le confinement les décrocheurs étaient évalués à 6000 personnes dans l'Aube… Ils risquent d’être plus nombreux du fait de la crise qui s’annonce.