Deux pisciculteurs sont accusés d'avoir empoisonné des espèces protégées, notamment un pygargue à queue blanche. Ils étaient jugés par le tribunal correctionnel de Troyes ce vendredi.
Le tribunal correctionnel de Troyes (Aube) a examiné ce vendredi 30 août 2024 dans l'après-midi une affaire d'empoisonnement d'espèces protégées. En mai dernier, le cadavre d'un rapace, un pygargue à queue blanche, a été découvert à proximité d'étangs dans le sud du département des Ardennes.
Une enquête a été menée par les inspecteurs de l'environnement de l'Office français de la biodiversité (OFB) et les gendarmes de la Communauté de brigades de la commune de Vouziers. Trois suspects ont été interpellés en juillet. L'un d'entre eux a été mis hors de cause, mais les deux autres ont donc été jugés ce 30 août.
Lors de leur audition, ils ont reconnu l'empoisonnement du rapace, mais aussi "la destruction par empoisonnement et à tirs par armes à feu de cormorans, de grèbes huppés, de hérons et d’une cigogne noire, toutes espèces protégées", comme l'indique la procureure de la République de Troyes dans un communiqué, daté du 28 août.
Des pisciculteurs "en situation de désespoir"
Devant le tribunal ce vendredi, environ 80 pisciculteurs professionnels ou propriétaires d’étangs ont tenu à venir soutenir Frédéric Mahaut et son salarié Alexandre Caron, accusés d’avoir détruit des oiseaux protégés. Pour les prévenus comme pour leurs soutiens, l'usage d’appâts au carbofuran, une substance toxique interdite, est regrettable et même condamnable.
Mais il s’agit d’un geste ultime face au pillage des poissons par les cormorans. "Ça fait vingt ans qu'on dénonce la prédation aviaire. Notre filière est microscopique, nous ne sommes pas audibles. On a des adhérents de nos syndicats professionnels qui sont en situation de désespoir", affirme Paul-Francois Bachelier, pisciculteur dans l’Aube et président de l’association française des professionnels de la pisciculture d’étang.
Le pygargue à queue blanche qui a été tué par empoisonnement n’était pas visé spécifiquement. Mais pour la quinzaine de parties civiles comme pour l'Office français de la biodiversité ou des associations environnementales, ce geste est très grave. "C'est une espèce qui avait disparu du territoire dans les années 1950, qui revient progressivement, mais d'une manière très lente. Il y a sept couples en France, donc cinq installés dans le Grand Est. Donc ça confère à notre région une responsabilité très forte dans l'accompagnement de cette réinstallation", précise Etienne Clement, président de la Ligue de protection des oiseaux de Champagne Ardenne.
L’avocat de la défense dénonce de son côté des méthodes disproportionnées, dans l’arrestation des prévenus notamment. "On n'a toujours pas tiré les conséquences de la crise agricole de février 2024. Mais cette crise n'est pas terminée. N'oublions pas qu'elle a débuté sur cette notion de défense avec la police de l'environnement qui parfois se comporte comme des cowboys", indique l'avocat Thomas Dufour.
Danger critique d'extinction
En juillet un chasseur qui avait abattu sciemment un pygargue a été condamné en Isère à quatre mois de prison avec sursis et 60 000 euros d’amende. Mais il a fait appel et doit être rejugé. Les peines prévues pour l’empoisonnement d’espèce protégées vont jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende. Compte tenu du nombre de parties civiles qui doivent être entendues, les débats vont être longs. Le délibéré ne devrait pas être rendu ce vendredi soir.
Le pygargue à queue blanche est une espèce classée en danger critique d'extinction. Le rapace retrouvé sans vie dans les Ardennes a pu l'être car il était équipé d'une balise permettant de surveiller à distance son activité et sa position géographique. Un équipement financé par un plan national d'actions mis en place en 2015.
En 2021, le tribunal de Troyes a été désigné comme juridiction spécialisée pour traiter des affaires complexes liées à l'environnement dans l'Aube, la Marne et les Ardennes. La Haute-Marne dépend, elle, du pôle environnemental de Dijon (Côte-d'Or). "Dans le cadre de cette désignation, nous nous sommes attachés à mettre en œuvre une politique pénale dynamique sur la lutte contre les atteintes à l'environnement", nous indiquait la procureure de la République de Troyes, Julie Bernier, en 2022.