Salon de l'agriculture : dans l’Aube, Ludovic Renaudin pratique l'agriculture raisonnée, refuse d'être un bouc émissaire

Installé au nord de Troyes sur une exploitation de 200 hectares, Ludovic Renaudin, 53 ans et agriculteur "raisonné", publie un livre pour expliquer son métier au public. Il regrette la scission entre sa profession et "les citadins". Parole d'agriculteur face aux défis environnementaux d'aujourd'hui.

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Recevoir des journalistes, l'agriculteur de l'Aube s’en réjouit, car selon lui, sa profession n’est pas assez connue du grand public et gagnerait à l’être. Trop de clichés entourent encore ceux qui travaillent la terre de manière "raisonnée". Avec nous, il jouera la transparence totale, dévoilera tout, car "il n’a rien à cacher"

Ludovic Renaudin nous accueille ce 1er février dans son bureau, au milieu de son exploitation de 200 hectares, sur fond de musique classique. Un local aux murs blancs, où sont affichés des tableaux remplis de graphiques qui illustrent l’utilisation de produits organiques et phytosanitaires depuis la création de l’exploitation, il y a 40 ans. Des photos de paysages et quelques effets personnels.

Ce père de trois enfants est agriculteur depuis 1994. Après des études de philosophie, Ludovic a choisi de reprendre la ferme de son père. Il s’est formé sur place, pour faire quelque chose de concret. "Mon père avait 400 hectares. Je me suis lancé dans les éoliennes pour diversifier, j’ai pensé aussi cultiver des trèfles à quatre feuilles, mais j’ai renoncé car c’était trop incertain". 

Idéaliste, je me suis rendu compte, que j’avais besoin d’être confronté au réel. Donc de faire un métier concret pour garder les pieds dans la terre.

Dans cette vidéo, Ludovic Renaudin nous présente son exploitation au nord de Troyes :

 

Une question de dosage


Située au coeur de la "Champagne pouilleuse", la ferme de Ludovic a toujours eu besoin d’engrais. Avant, sur ces terres agricoles capricieuses, rien ne poussait.

Avec les engrais, on s’est aperçu que c’était fabuleux. Depuis, l’Aube est devenue une terre nourricière. 

Il faut savoir que la zone située entre Troyes, Chalon et Epernay, était jadis sans habitation. C'était de la forêt de sapin jusqu’aux années 1950-60. Ensuite des paysans ont tout défriché. Mon père en a fait partie." 
 

Cet engrais, il le considère comme une nourriture et un médicament pour les plantes qu’il cultive, betteraves, blé, orge, et colza. "L’être humain tu le nourris et le protèges, la plante c’est pareil, affirme-t-il. Il faut les protéger des attaques extérieures. Les mauvaises herbes, on les élimine." Selon lui, "tout est dans le dosage".

Cet agriculteur, dit conventionnel ou intensif, essaye de toucher le moins possible la terre, bien conscient des ravages de l’utilisation de pesticides de manière déraisonnable. Anticipant nos questions, il affirme qu’il ne répand jamais plus de produits qu'il ne le juge nécessaire, en-dessous des normes autorisées. "Si un certain dosage suffit, je ne vais pas en épandre davantage pour me faire plaisir. Ce n’est pas nécessaire et en plus, ça me coûte cherM’occuper de ma terre, c’est apporter les éléments qu’il faut. Et prendre soin de mes champs, c’est regarder sur le long terme." 
 

L'incohérence des citadins

Pour lui, les agriculteurs ont un rôle évident à jouer dans la transformation écologique. "On veut faire de l’écologie sans nous, regrette-t-il. Or, nous sommes la seule profession qui capte le carbone de l’air. Je le remets dans le sol. Les agriculteurs ont un rôle crucial. Vouloir faire sans nous, c’est absurde." En cause, "l’incohérence du citadin". Et de développer : "Il critique mais ne se préoccupe pas de ce qu’il va faire chez lui. Par exemple, l’eau qui tombe sur sa maison, il en fait quoi ? 99% de cette eau qui tombe chez un citadin ramasse les huiles et graisses des voitures pour ensuite filer dans le sol..." 

Dans cette interview, Ludovic Renaudin défend son utilisation du glyphosate :
Ce qui exaspère Ludovic, c'est que l'agriculture intensive pointée du doigt a pourtant évolué. "Désormais, on apporte le strict besoin de la plante en engrais. On fait des analyses d’azote. Avant, on balançait sans savoir. Il y a aussi des analyses de sols. Regardez les vers de terre, nous explique-t-il le doigt creusant la terre, ils sont bien présents. 

Je mets de moins en moins d’engrais, j’ai du lisier local avec la proximité des cochons. De toute façon je ne peux pas forcer la nature, sinon ça craque. Le vivant? ça ne triche pas.


"Ce serait une catastrophe écologique d'arrêter le glysphosate"

Et le glyphosate alors ? "Ce serait une catastrophe écologique de l’arrêter, affirme tout net cet exploitant agricole. On n’a rien d’autre. On l'utilise pour détruire les mauvaises herbes, avant de semer. Si je désherbe de manière mécanique, j'utilise plus de pétrole. Et ça enlève une couche de bactérie dans le sol et j'enlèverai aussi les vers de terre. Il faut bien savoir qu'on ne verse pas de glyphosate sur le sol, mais sur la plante." Des produits phytosanitaires, oui, il en utilise comme ses colègues. D'ailleurs il nous emmène dans son local, nous montre les dizines de bidons en plastique blanc. 

Alors quels produits pourrait-il le remplacer ? Aucun, selon lui. "On peut tous faire du bio. Mais ce ne serait pas sans risque d'un autre genre. Et puis, s'emporte-t-il, si on arrête le glyphosate, on arrête aussi les médicaments !"  

"Soyons sérieux, les agriculteurs travaillent sur du vivant. On ne peut pas réfléchir sur du court terme, il faut du temps. Mais les agriculteurs ne sont pas des ennemis de la nature. Je ne connais pas beaucoup d’agriculteurs qui n’étaient pas passionnés depuis l'enfance. 90 % des agriculteurs le sont pas amour de la nature." 

A-t-il été approché par l'entreprise Monsanto ?  "Non, jamais ! Je ne dépends pas de cette entreprise. Mes achats de roundup ne représentent même pas 1%. J’achète des produits à la coopérative du secteur. Les pubs, je les mets à la poubelle. Je fais mes choix avec des conseillers techniques locaux." 
 

Retrouver la fierté d'être paysan

Ludovic ne tarit pas sur ce dossier qu'il défend dans son livre avec vigueur (Une face cachée des agriculteurs, éditions l'Harmattan). Il fait un parallèle entre le glyphosate et le paracétamol.

Ça soulage, ça guérit, mais c'est mortel si on en prend trop. Les produits phytos c'est pareil. Moi je veux bien que tout soit bio. Mais ce n'est pas parce que c’est naturel, que c’est bon. Le souffre est aussi dangereux. Le cuivre est largement utilisé dans le bio...

Dans cette interview, Ludovic Renaudin explique qu'il a choisi ce modèle par "amour de la nature" :

Selon lui, le grand public manque d'informations fiables sur ces sujets. Dans dix ans, il souhaite retrouver une unité des agriculteurs, bios et intensifs. "Nous sommes différents, mais c’est une richesse. Il faut rechercher ensemble. On travaille déjà ensemble. On avance, j’ai acheté une herse à 30.000 euros par exemple, pour arracher les mauvaises herbes. J’aimerais que l'on retrouve la fierté d'être paysan. L’agriculture doit revenir au centre..." 

Réaliste, il avoue ses craintes pour l'avenir. "J'ai peur que l’agriculture française devienne dépendante des exportations. De certains pays comme le Canada ou l'Argentine qui exportent des produits agricoles qu'on n'a pas le droit d’utiliser en France. Les politiques ont ouvert le marché aux biocarburants argentins. Dans l'Aube, on a la plus grosse usine européenne de bio carburants, mais on achète aillleurs..."

Une situation qu'il qualifie d'hypocrite, car d'un côté on interdit certains produits phytosanitaires en France, mais de l'autre, on importe des produits alimentaires traités avec des produits interdits en Europe. Pour lui, la France ne pourra pas assurer le besoin alimentaire de la population avec uniquement du bio. 

Avant de nous séparer, Ludovic Renaudin évoque la suite, l'avenir de son exploitation dans une dizaine d'années. Quand il aura lâché l'affaire. Transmettre à ses enfants, les encourager ? Il hésite, se reprend. Il ne pense pas que ce soit forcément la solution. "Une exploitation de 200 hectares ce sera peut être trop juste dans une production mondialisée." Ses collègues voisins possèdent des exploitations de taille variable, parfois plus importante. Aujourd'hui, il continue de faire son métier avec passion et à observer l'évolution de ses cultures et de la météo, un oeil rivé sur le ciel, l'autre sur ses tableurs Excel. 
 

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