Depuis le déconfinement, un groupe de commerçants et d'habitants troyens dénonce une montée en puissance des incivilités et un sentiment croissant d'insécurité dans le "bouchon", le coeur historique de la ville. Ils ont lancé une pétition pour interpeller les pouvoirs publics.
Violences verbales, insultes, tapages nocturnes ou encore bagarres sur fond d'alcoolisation ou de courses sauvages de scooters et de mobylettes : à la nuit tombée, au sein du "bouchon", le quartier historique de Troyes dans l’Aube, se serait installé un sentiment d'insécurité. Un constat partagé par plusieurs commerçants et habitants depuis le déconfinement.
Marjorie (le prénom a été changé) habite le cœur de ville de Troyes depuis plus de 15 ans. Pourtant habituée au bruit en centre-ville les week-ends, les jeudis lors des soirées étudiantes ou encore l’été, elle ne dort plus et ne sort presque plus depuis le mois de mai 2020.
Je suis obligée de dormir sur un matelas dans ma cuisine à cause du bruit !
"Ma chambre est située côté rue, je dors donc depuis plusieurs mois sur un matelas dans ma cuisine située au calme. Car toutes les nuits depuis le déconfinement, c’est la même chose. Rodéo en deux-roues, cris, insultes, musique d’une heure à cinq heures du matin non-stop. J’ai donc décidé d’alerter la préfecture et la mairie après plusieurs appels aux forces de l’ordre qui n’ont pas permis d’apaiser les choses," confie à bout de nerfs, la Troyenne.
Reçue une première fois en préfecture après ce courrier, la riveraine n’a pas eu le sentiment d’être comprise par les autorités. "J’ai été entendue, on m’a assurée que l’on comprenait mon problème, avant de m’expliquer que ceci était en partie lié au covid-19 qui empêchait les départs en vacances de certains habitants des quartiers, ou la réouverture des boites de nuit, et qu’il fallait juste que l’on apprenne à tous cohabiter. Avant de m’affirmer que j’étais la seule à me plaindre de ce changement en cœur de ville. Sauf, que pour avoir parcouru les réseaux sociaux et en avoir discuté avec des voisins, je savais que je n’étais pas la seule à appeler les forces de l’ordre et à demander un changement," s’insurge la riveraine.
Certains commerçants, qui n’ont pas souhaité communiquer leur identité de peur de représailles, verraient même leur activité réduite du fait des incivilités de la nuit. Le matin, plusieurs d’entre eux ramasseraient des cadavres de bouteilles et du matériel servant à l’usage de drogue, et procéderaient au nettoyage de régurgitations et défécations des jeunes se retrouvant chaque nuit devant leur établissement. Des comportements qui finiraient par leur faire perdre des clients, d’après leur dire.
170 Troyens décidés à faire changer les choses
"J’ai été très irritée de m’entendre dire que j’étais la seule à avoir des soucis avec ces nuisances. J’ai donc décidé de lancer une pétition auprès des habitants et des commerçants. 170 personnes l’ont signée. Certains diront que ce n’est pas beaucoup, mais je ne suis pas d’accord. Beaucoup de personnes n’ont pas souhaité signer par peur soit des représailles, soit de perdre certaines de leurs subventions accordées par la mairie. Et surtout en pleine canicule, en août, tout le monde n’était pas chez soi pour pouvoir signer", explique l’Auboise.
Depuis que ces incivilités ont commencé, Marjorie a appelé à plusieurs reprises les forces de l’ordre pour qu’elles interviennent, et elle sait qu’elle n’est pas la seule à l’avoir fait. Cependant, il faut un flagrant délit pour qu’une intervention ait lieu, du moins c’est ce qu’on lui a expliqué lors d’une réunion à la préfecture.
Des appels réguliers aux forces de l'ordre
"On m’a indiqué que pour qu’il y ait tapage, il faut que les personnes soient prises en train de hurler, ou d’écouter de la musique très fort. Mais évidemment quand la police arrive gyrophares allumés, les cris et la musique cessent. Les agents ne s’arrêtent même pas. Cela devient une visite de courtoisie", se désole la Troyenne."Je me souviens que lorsque mes enfants étaient petits l’un d’eux avait été verbalisé parce qu’il faisait du roller sur une place interdite à la circulation dans le coeur de ville. Quatre agents lui étaient tombés dessus alors qu’il n’avait que 11 ans et qu’il n’était pas motorisé. Aujourd’hui, sur cette même place chaque nuit, des voitures et des deux-roues circulent et lorsque je préviens les autorités, on me répond : "s’il y a course poursuite, c’est nous qui aurons des problèmes." Donc les rodéos continuent", rajoute-t-elle.
J’aimerais juste pouvoir dormir chez moi, dans ma chambre et ne pas avoir peur une fois minuit passé
"J’aimerais juste pouvoir dormir chez moi, dans ma chambre et ne pas avoir peur une fois minuit passé. Lorsque ma famille est venue en vacances, je ne voulais pas que passer cette heure, il y est des allers-venus chez moi. J’avais trop peur qu’elle se fasse agresser. J’étais très inquiète qu’il arrive quelque chose au milieu de la nuit à mon père hospitalisé en fin de vie, car je n’aurais pas pu sortir de chez moi pour aller le voir, en toute sécurité," déplore Marjorie.
La riveraine a prévenu les forces de l’ordre et la mairie que l’agacement était poussé à son comble chez certains habitants du cœur de ville, qui sembleraient d’après elle, vouloir faire justice seuls et se réunir en "milice", si rien ne bouge.
Une nouvelle réunion prévue en mairie début septembre
De son côté, la municipalité assure avoir compris les doléances. "Nous avons rencontré les commerçants et riverains, début juillet et ce jeudi 13 août, une nouvelle réunion a eu lieu, explique Bruno Beaudoux, adjoint au maire en charge de la sécurité et de la tranquillité publique. C'est vrai que depuis la fermeture des discothèques, les clients de ces dernières se retrouvent aux abords de la place Jean Jaurès dans les quelques établissements qui ferment tard dans la nuit, aux alentours de 3 heures du matin. De concert avec la police nationale, la police municipale intervient régulièrement pour disperser les attroupements et nous avons pris un arrêté pour interdire l'une des causes de ces nuisances : la consommation de gaz hilarants sur la voie publique."L'élu l'assure : une nouvelle réunion est programmée début septembre avec les riverains et les commerçants pour faire un nouveau bilan de la situation.
Une solution loin de satisfaire Marjorie et les autres signataires : "Nous avons déjà dû appeler la police pour des bagarres qui tournaient très mal entre les jeunes qui se réunissent. D'ici début septembre, il y a le temps d'y avoir des blessés, voire des morts."