Rund Um. 6 août 1870 : première grande bataille de la guerre franco-prussienne, et première défaite des Français. A Froeschwiller, un grand spectacle historique va rappeler l'événement - mais à l'échelle de ce village, qui s'est alors retrouvé malgré lui au cœur du conflit.
Le 6 août 1870, 80.000 Prussiens et leurs alliés allemands, et 40.000 Français mal préparés, s'affrontent dans le Nord de l'Alsace. Après une seule journée de combat, 21.000 morts restent sur le champ de bataille. Cette première défaite de la France annonce déjà les suivantes, et à l'issue du conflit, l'Alsace et la Moselle deviennent allemandes.
Côté français, on appellera cet épisode la "bataille de Reichshoffen". Puisque c'est de la gare de cette commune que le général Patrice de Mac Mahon envoie un télégramme à Napoléon III pour lui annoncer sa défaite. Mais en réalité, les combats se déroulent sur une vingtaine de kilomètres carrés de vergers et de vignobles, près de Woerth et Froeschwiller.
Ce dernier village est particulièrement impacté. Maisons touchées, église incendiée, petit château transformé en lazaret de fortune pour accueillir des blessés. Et les habitants mettent cinq jours à enterrer des milliers de cadavres de soldats dans des fosses communes.
Le spectacle historique en préparation, "1870 Froeschwiller – l'Alsace dans la tourmente – Achdung ! D'Braïsse komme !" (Attention ! les Prussiens arrivent !) qui sera donné fin juillet et début août, veut surtout transmettre un récit à taille humaine. "Ce qui nous intéresse, c'est ce que les gens, les villageois, ont vécu" explique l'auteur du texte, et metteur en scène, Joseph Fenninger, créateur du théâtre de la Chimère à Haguenau. Narrer la petite histoire, pour mieux faire comprendre la grande.
Un spectacle tragique où l'on rit beaucoup
Les préparatifs sont bien avancés, et la plupart les scènes, déjà rodées. Elles sont principalement jouées en alsacien, avec quelques dialogues en français ou en allemand, et le tout sera surtitré.
Les tableaux racontent les tribulations des habitants de Froeschwiller, depuis les prémices de la guerre, jusqu'à la perte de l'Alsace-Lorraine suite au traité de Francfort. Des scènes souvent drôles, qui font replonger dans l'ambiance villageoise d'il y a 150 ans.
Des vieux sur un banc se racontent les derniers potins, et tombent des nues en apprenant que la guerre est imminente. Une famille chipe des objets délaissés sur le champ de bataille, et les planque dans un lit, dans l'espoir que les Prussiens ne les retrouveront pas. Un vieux couple fait un petit mix linguistique entre l'envie de "vivre" et celle de "Wiiwer" (de bonnes femmes).
"On rit beaucoup, ce qui est rare dans une pièce historique" reconnaît son auteur. En précisant que ces scènes, à peine enjolivées, "juste retranscrites avec un peu de fantaisie" sont toutes basées sur des faits avérés.
La plupart sont tirées de la "Fröschweiler Chronik aus dem Jahre 1870-71" (Chronique de Froeschwiller de l'année 1870-71), un ouvrage par un témoin direct de l'époque, le pasteur Charles Klein. Joseph Fenninger l'avait découvert il y a près de 40 ans, alors qu'il était enseignant à Woerth. A l'époque il avait déjà écrit une première version de la pièce actuelle. Et les gravures qui illustrent l'ouvrage l'ont largement inspiré pour la mise en scène.
"Cette pièce raconte ce que les gens du village ont ressenti" résume Andrée Steinmetz-Meichel, l'une des comédiennes. "Soudain ils disent : les Prussiens arrivent, les Prussiens sont là. Et après, les événements s'enchaînent, les destructions, les morts, les soucis, les gens qui ont peur, d'autres qui fuient. C'est la guerre. Comme actuellement, en Ukraine."
Un village-témoin et son église de la Paix
A Froeschwiller, passé et présent restent intimement mêlés. La plupart des maisons à colombages qui bordent l'artère principale sont restées inchangées depuis cette période. Les deux églises, elles, ont été construites peu après, grâce aux fonds réunis par l'empereur Guillaume II lui-même, pour remplacer l'église simultanée qui avait brûlé le jour de la bataille.
"Tout est lié" rappelle Marc Bastian, maire de la commune. "Guillaume II a collecté de l'argent dans toute l'Allemagne. La somme a suffi pour reconstruire la grande église - aujourd'hui protestante - appelée église de la Paix ("Friedenskirche"), mais aussi pour en édifier une seconde - catholique - l'église Saint-Michel de la Réconciliation ("Versöhnungskirche").
Les vitraux de l'église de la Paix, achevée dès 1876, ont été offerts par les monarques des différents Länder de l'Allemagne naissante. Les cloches ont été financées par l'empereur lui-même, l'orgue par la Bavière, et le lustre monumental par trois villes du Nord : Hambourg, Brême et Lubeck.
L'édifice a beaucoup souffert durant les deux conflits mondiaux qui ont suivi : "Certains vitraux ont volé en éclat, une grenade a atterri dans le chœur" rappelle le maire. Le chœur, très fragilisé, nécessiterait d'importants travaux de consolidation, mais aujourd'hui, les finances manquent. Malgré cela, tout récemment, le bâtiment dans sa totalité a pu être classé comme Monument historique.
Le projet d'un centre culturel européen de la paix
Mais la commune et la paroisse voudraient aller encore plus loin. "La signification de cette église était de promouvoir la paix après cette guerre" explique Marc Bastian. "Aujourd'hui, la paroisse porte le projet d'en faire un centre culturel européen de la paix." Un lieu symbolique, ouvert sur l'Europe, qui permettrait, par le biais de manifestations, de concerts, d'expositions, "de pouvoir expliquer ce qui s'est passé ici, et ce qui fait notre spécificité en tant qu'Alsaciens."
L'idée est née avant le début du conflit en Ukraine, mais l'actualité dramatique aux portes de l'Europe ne la rend que plus nécessaire. Pour rappeler que la paix n'est jamais réellement acquise. "Les 21.000 morts du 6 août 1870, et beaucoup d'autres choses, ont été oubliés" déplore Marc Bastian. "Or, si on sait d'où l'on vient, on peut bien mieux se projeter, et prévoir où l'on voudrait aller."
Passé et présent se font écho
Ce travail sur la mémoire collective est également au cœur de la pièce de Joseph Fenninger. Là aussi, passé et présent entrent en résonance. Le tableau des Froeschwillerois, réfugiés dans une cave voûtée alors qu'autour d'eux, les combats font rage, fait douloureusement écho aux civils ukrainiens entassés dans les sous-sols de leurs immeubles bombardés.
Il y a aussi des tableaux plus métaphoriques, comme ce dialogue drolatique entre un aigle prussien et un coq gaulois. Et, surtout, l'émouvant finale, avec une Alsace tiraillée, écartelée entre la France et l'Allemagne.
"Lohn mi doch en Ruh, ehr zwei Simbel !" (Laissez-moi tranquille, espèce d'imbéciles) s'exclame-t-elle. Laissez-moi accomplir ma propre existence. Je veux garder mon héritage, ma langue, mon passé historique et culturel (…) Laissez-moi vivre, non en esclave, mais en être libre, avec son caractère, ses particularismes et son identité (…) Je ne veux pas mourir."
Un finale déjà écrit et joué il y a plus de quarante ans. Qui n'a rien perdu de sa brûlante actualité.
Le spectacle "1870 Froeschwiller – l'Alsace dans la tourmente – Achdung ! D'Braïsse komme !" sera donné à la salle des fêtes de Froeschwiller les jeudi 28, vendredi 29 et samedi 30 juillet ainsi que les jeudi 4, vendredi 5 et samedi 6 août.
Ce 6 août, date anniversaire de la bataille, d'autres animations seront proposées tout au long de la journée. Et dès la nuit tombée, un mapping vidéo sera projeté sur l'église de la Paix.