Le conseil des prud’hommes de Saverne doit statuer ce mardi 1er février sur l’affaire de Radah M. Au cours de sa carrière chez Kronenbourg à Obernai, ce sexagénaire, aujourd’hui retraité, a signé 177 contrats d’intérim en plus de 30 ans. Son avocate réclame une requalification en CDI.
A Obernai, dans le Bas-Rhin, la société Kronenbourg est poursuivie par l’un de ses anciens salariés pour "abus de contrats saisonniers". Le plaignant, Radah M., aujourd’hui à la retraite, a passé plus de 30 ans de sa vie à travailler chez le brasseur. Trente ans et 177 contrats de courte durée depuis 1992. On ne le verra pas, on ne l’entendra pas. Ce sont les autres qui parlent pour lui : "Rabah M. est un homme très pudique et timide", explique son avocate Maître Nicole Radius, "du genre passe-muraille".
Il a des droits, il faut les faire respecter
"Il s’appelle Radah mais nous on l’a toujours appelé Ali ou Bijou". Bernard Schwartz est un ami de longue date. "Je connais Ali depuis qu’il est arrivé à Obernai. C’était en 1976. Son père, militaire de carrière à Berlin, venait d’arriver à Entzheim". Après quelques années passées à l’étranger, Bernard Schwartz, cariste aux fûts, retrouve son ami à la brasserie en 1999.
Radah lui confie alors ses difficultés : "Ils me traitent de terroriste". Bernard Schwartz dédramatise en lui disant qu’avec "son 1 mètre 50 et ses 45 kilos, il n’avait vraiment pas la carrure". Quelques temps plus tard, Radah M. entend dans un bureau "Moi je ne veux pas être commandé par un sale bougnoul…l’Arabe n’a qu’à ramasser les mégots dehors".
A ces propos racistes s’ajoute la frustration de voir que d’autres, arrivés plus tard que lui à Kronenbourg, décrochent des CDI. Lui n’accumule que des CDD depuis des années. "Je vous mets au défi de trouver des noms à consonance maghrébine parmi ceux qui sont embauchés", note Bernard Schwartz qui préfère parler de défiance plutôt que de racisme.
Choqué par cette situation, il décide de mettre son ami en lien avec une avocate. Sans lui, Radah M. n’aurait sans doute pas bougé : "Je le connais, c’est un mec bien. Ça n’est pas un bagarreur. Il est calme, tranquille, il ne boit pas d’alcool, il est toujours de bonne humeur. Moi ça me dégoûte. Il a des droits. Il faut les faire respecter. A un moment donné, il faut dire stop. Il ne faut pas seulement tendre la joue".
Il ne comprend pas comment une entreprise peut dire à un salarié qu’il n’est pas apte à être embauché, tout en le faisant travailler pendant plusieurs décennies.
Deux affaires en une
Sur son bureau, le dossier de Radah M. mesure une bonne quarantaine de centimètres. Pour Maître Nicole Radius, il y a bien deux affaires : "Une, plus classique, de requalification de contrats à durée déterminée et de contrats d’intérim en contrat à durée indéterminée. L’autre relève de la discrimination à l’embauche".
Nicole Radius étaie son propos : "J’ai pu me procurer des documents de la société Kronenbourg qui prouvent qu’entre 2012 et 2020, il n’y a eu aucune embauche de personne ayant des noms à consonances maghrébines. Au cours de cette période, 177 personnes ont été embauchées, dont 30 chauffeurs". Radah M. n’en faisait pas partie.
La précarité, un problème récurrent
L’histoire de Rabah M., Brigitte Perret la connaît. Déléguée CGT à Kronenbourg depuis 35 ans, elle précise qu’elle n’a jamais eu l’intérimaire au téléphone mais que son histoire est loin d'être unique : "Le personnel précaire, c‘est un problème récurrent chez Kronenbourg mais il est difficile de monter des dossiers".
Beaucoup préfèrent se taire pour préserver leur emploi, même précaire. Concernant d’éventuels comportements racistes de la part de certains collègues à l’égard de Radah M., Brigitte Perret s’en étonne : "En 35 ans de syndicalisme à Kronenbourg, la seule discrimination que je vois, c’est celle de l’égalité homme/femme. Nous n’avons jamais été saisis pour des problèmes de racisme".
La précarité, en revanche, est bien réelle. Elle est dénoncée dans un mouvement de grève historique qui court depuis huit jours parmi les salariés du site de Kronenbourg à Obernai. Un accord est sur le point d'être trouvé avec la direction.
Devant le conseil des prud’hommes de Saverne, Nicole Radius, l’avocate de Radah M., a plaidé la requalification de cette carrière en pointillée en un seul et unique contrat à durée indéterminée. Le jugement devrait être rendu demain mardi 1er février.