Rund Um. Westhoffen, capitale de la cerise d'Alsace, fêtera son fruit emblématique le 18 juin, après deux années d'interruption due à la crise sanitaire. Dans les vergers, les producteurs sont en pleine cueillette, et les pâtissières du village préparent de succulents desserts.
Tout autour de Westhoffen, les arbres fruitiers abondent. De très nombreux habitants possèdent des vergers de pommes et de fruits à noyaux, quetsches, mirabelles, et principalement de cerises.
Le nombre de cerisiers de la commune pourrait dépasser les 10.000. Depuis de longues décennies, ce fruit fait la réputation de Weshoffen.
Sa traditionnelle Fête des cerises, interrompue durant deux années, se tiendra à nouveau ce samedi, 18 juin, avec un marché du terroir, un bal et, bien sûr, des dégustations de spécialités aux cerises.
La cerise se cueille à la main
La cerise, craquante, juteuse, nécessite des soins attentifs pour arriver intacte chez les consommateurs. Pas question de secouer l'arbre comme un prunier, ou un mirabellier. La cueillette se fait à la main, avec concentration, pour veiller à ne prélever que les fruits vraiment mûrs.
"Si on cueille celles qui sont trop petites, le calibre n'est pas bon. Et si on les prend trop rouge clair, ce n'est pas bon non plus" explique Germaine Hausswald, saisonnière. "Alors il faut les jeter, et c'est dommage. Donc mieux vaut les laisser à l'arbre, et repasser les chercher dans quelques jours."
La ferme fruitière Hufschmitt est l'une des deux grandes exploitations agricoles de la commune. En cette journée de juin, toute la famille, ainsi qu'une dizaine de saisonniers répartis sur deux parcelles, sont à pied d'œuvre.
C'est le premier fruit qu'on récolte, elle lance la saison qui va suivre, mais c'est la récolte qui coûte le plus cher en main d'oeuvre.
Verena Heili, agricultrice
"C'est le premier fruit qu'on récolte, elle lance la saison et tout ce qui va suivre, mais c'est la récolte qui coûte le plus cher en main d'œuvre" rappelle Verena Heili. Cette jeune agricultrice se présente comme "la troisièmes génération qui fait des cerises. J'ai grandi là-dedans : les cerises, les mirabelles, les quetsches, c'est un ensemble" sourit-elle.
L'exploitation avait été créée par sa grand-mère. Puis son père, Willy Hufschmitt, "a tout développé, et a fait passer la structure de deux à vingt-quatre hectares d'arbres fruitiers." Dont 600 cerisiers, qui produisent 25 variétés.
Cette diversité leur permet de proposer des cerises à leur clientèle "durant six à sept semaines, et près de huit variétés simultanément." Depuis six décennies, la famille Hufschmitt tient un stand au marché du boulevard de la Marne, à Strasbourg. Et les cerises y ont bien sûr une place importante.
Deux étapes de tri
Dès qu'un seau est plein, le cueilleur vient le déposer au pied d'un petit stand, installé au centre du verger. Là, c'est Willy Hufschmitt qui officie. Il déverse le seau sur la table, et écarte tout fruit indésirable qui a échappé à la vigilance du saisonnier, avant de remplir les cagettes.
"Certaines cerises sont trop petites, moins de 24 mm" explique-t-il. "D'autres ont éclaté à cause de la pluie, ou ont été piquées par un oiseau. Je ne vois pas tout, à 100%, mais ce que je repère, je l'enlève." Avec une pointe d'humour, il désigne son stand : "Durant toute la saison des cerises, c'est ça, ma vie. Personne d'autre ne veut le faire, trier n'est pas très intéressant."
Son travail diffère selon les variétés. Celle-ci, la "Guillaume", nécessite une vigilance accrue. "Celles-ci ont beaucoup de petits fruits" explique Willy Hufschmitt. "Particulièrement cette année, ils sont très déséquilibrés. Car les arbres ont fleuri longtemps, presque trois semaines. Donc il est évident qu'entre les premières et les dernières floraisons, les cerises ne sont pas toutes mûres en même temps."
Heureusement, le gel de cette année n'a pas fait trop de dégâts. "Certains cerisiers ont fleuri durant les journées froides d'avril, et c'est un miracle que ça se soit bien passé. Les cerises sont belles et bonnes" se réjouit l'agriculteur. Globalement "sur l'ensemble", les pertes sont anecdotiques.
Durant toute la saison, c'est ça, ma vie. Personne d'autre ne veut trier.
Willy Hufschmitt, agriculteur
Mais l'exploitation connaît actuellement d'autres problèmes, et elle n'est pas la seule. "On a d'autres soucis, on subit souvent des vols" soupire Thierry Hufschmitt, frère de Verena Heili. Des fruits volés, ils en ont malheureusement l'habitude, mais "depuis deux-trois ans" le phénomène monte en puissance et se produit même en plein jour.
Voici quelques jours, un témoin a vu une demi-douzaine de personnes en voiture s'arrêter près du verger. Et, en quelques minutes, faire main basse sur "environ 200 kg" de cerises. Une semaine plus tôt, une quantité encore plus importante s'était envolée, cette fois de nuit.
"Le maire à 100 mètres de nous, s'est fait voler également, ainsi qu'un autre collègue, un peu plus loin. Ils vont chez tous, et ils prennent" se résigne Thierry Hufschmitt. Difficile de contrer le phénomène. Enclôturer les vergers, ou organiser une surveillance constante s'avère mission impossible.
Et le pire, c'est que les malfaiteurs, pour faire vite, occasionnent des dégâts aux arbres. Ils arrachent les cerises par bouquets entiers, entraînant les minuscules bourgeons qui portaient déjà en eux la future récolte de 2023.
Pourquoi des cerises à Westhoffen ?
Comment Westhoffen s'est-elle intéressée à ce fruit, au point de se proclamer capitale de la cerise d'Alsace ? Son sol, peu adapté aux céréales, s'est toujours prêté à la vigne et à l'arboriculture.
"Dès la fin du 19e siècle", et jusqu'après-guerre, "Westhoffen était relié à Strasbourg par un tram" rappelle Willy Hufschmitt. "C'était principalement une commune viticole, mais le phylloxéra a ravagé la vigne. Les habitants ont donc planté beaucoup de cerisiers."
"Ce n'étaient pas de grandes exploitations, mais avec ces fruits et quelques autres produits, les gens ont tenté de survivre. Et grâce au tram, ils pouvaient facilement écouler leur production sur les marchés strasbourgeois."
Le phylloxéra a ravagé la vigne, les habitants ont donc planté beaucoup de cerisiers.
Willy Hufschmitt
Longtemps, il se racontait que Westhoffen comptait environ 8.000 cerisiers. Selon Willy Hufschmitt, ce nombre est dépassé depuis longtemps. "Les 8.000 arbres, on en parlait aux débuts de notre Fête des cerises" se souvient-il.
"Mais à l'époque, on avait des arbres hautes tiges, de 10 à 12 mètres de haut, qui étaient plus écartés. Aujourd'hui, on plante surtout de petits arbres, et il y en a bien plus sur la même surface."
Les crêpes aux cerises noires de Sylvia Martin
Pour la Fête des cerises, les dames de Westhoffen préparent traditionnellement des desserts : mendiants (les "Bettelmànn"), tartes et, version plus moderne, tarte au streusel. Et pour la Westhoffenoise Sylvia Martin, rien ne vaut une bonne crêpe aux cerises.
Mais attention, pas n'importe quelles cerises. Cette spécialité se fait uniquement "aux cerises noires de Westhoffen, une variété locale très juteuse, mais pas trop grande." Les qualités idéales pour cuire à point, et fondre dans la bouche.
Les crêpes aux cerises de Sylvia, "ce sont plutôt des cerises à la crêpe" s'amuse-t-elle. Et vu la quantité de fruits qu'elle verse dans la pâte, on veut bien la croire. "C'est comme ça que ma mère les faisait quand on rentrait des champs, et comme ça qu'on les aimait" raconte-t-elle.
La recette est simple… du moins en apparence : un œuf pour 60 grammes de farine, un peu de lait, un peu de sucre et une giclée de schnaps "du kirsch, de préférence" évidemment. Ne surtout pas mettre trop de liquide, la pâte doit rester bien épaisse.
On ajoute les cerises noires équeutées, mais pas dénoyautées "sinon, le jus partirait avant" précise la pâtissière. "Quand la crêpe cuit, les cerises éclatent et le jus se répand sur la pâte, c'est trop bon." Alors, bien sûr, il faut recracher les noyaux "mais on ne peut pas tout avoir."
D'ailleurs, pour le "Bettelmànn" non plus, elle ne dénoyaute pas ses cerises. "Mais pour le reste, j'ai le dénoyauteur sur mon plan de travail durant toute la saison" précise-t-elle.
Le mélange est versé dans une poêle bien chaude, préalablement huilée. La cuisson demande du temps, une dizaine de minutes, pour que la pâte puisse bien prendre, et les cerises, exploser et libérer leur jus.
Quand les cerises éclatent et le jus se répand sur la pâte, c'est trop bon.
Sylvia Martin
Soudain, un fort grésillement, presque un craquètement, très caractéristique : "C'est l'huile chaude qui se mêle au jus aqueux des fruits" explique Sylvia Martin. Il est temps de retourner le gâteau, sans le casser. "Ma mère le faisait avec une spatule, mais moi, je n'y arrive pas" confesse la pâtissière. "Je prends une seconde poêle."
Opération réussie, même si un mélange de graisse et de jus éclabousse la table de cuisson. "On en met un peu partout, mais ce n'est pas grave" estime Sylvia Martin. "Quand on aime, on nettoie volontiers."
La crêpe retournée dévoile les cerises ouvertes, aux noyaux apparents, et les filets de jus rouge lie de vin qui imbibent la pâte. Encore quelques minutes, et le plat est prêt. Saupoudré de sucre à la cannelle, la touche finale indispensable, il est prêt à offrir toutes ses saveurs. Made in Westhoffen, et nulle part ailleurs.